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31 décembre 2024 2 31 /12 /décembre /2024 09:02

Grâce à mon histoire du patrimoine végétal de la ville d'Yvetot en cours, 

on connait désormais Yvetot, la cité des ifs,

Yvetot, la cité des pommiers et des pépiniers

 

mais aussi Yvetot, grâce à L.A. Beaucousin, J. Delamare, L. Abensur, D. Clatot et L. Lapert et R. Couasnon :

la cité meurtrie par la guerre, la cité des manufactures, des imprimeurs, des rois et princes.

 

 

Il faut souligner en avant-propos qu'avant l'apparition des innombrables jardins accessibles au plus grand nombre à la fin du 19e et surtout en 1914,  les jardins et potagers se dissimulaient derrières les maisons de rue comme on peut le lire dans "Yvetot au fil des patrimoines" (2013) 

"Derrière les façades de briques ou de colombages, le bord des rues ou des routes, rien ne laisse présager l'existanece de cours intérieures. Néanmoins, les anciens cadastres dévoilent l'existence de "fermes de subsistance" au coeur de la ville.

Elles comportent, pour les plus grandes d'entre elles : un potager, un verger, utile à la fabrication du cidre, et les bâtiments dispersés, destinés à accueillir le bétail, la bergerie et le poulailler. Vestiges d'une époque durant laquelle la campagne imprègne la ville, on croise ça et là, quelques pommiers faisant anciennement partie d'un alignement plus conséquent, ou des murs de clôture ceignant les jardins. Ce sont les dernières traces d'une organisqation agricole de la ville. Durant les deux dernières décennies, la construction de résidences ou de lotissements a réduit le nombre de ces cours intérieures, havres de paix au coeur d'Yvetot."

 

 

C'est pourquoi je vous propose aujourd'hui de vous conter

Yvetot, la cité des jardins

Yvetot Cité-Jardins

"Théâtre d'Agriculture Urbaine"

(1000 parcelles en 1947),

objet de cette recherche sur le patrimoine végétal de la ville d'Yvetot dont l'arrière des maisons vous sera conté prochainement dans un chapitre consacré à ce théâtre d'agriculture urbaine qu'a fait décrire en son temps Martin du Bellay en 1566 dans le terrier de sa principauté d'Yvetot.

Pascal Levaillant,

membre de la Société Centrale d'Agriculture depuis 2022, membre de Faire vivre le manoir du Fay depuis 2020, membre des vergers de Bremontier-Merval, du Vallon...

 

 

 

Localisation en 1947 des jardins privés, ouvriers et familiaux sur un fonds de carte de la ville (1898)

ADSM 76

De même la plupart des vergers se trouvaient en périphérie de la ville dans les cours, closages et masures.

quelques vergers subsistent chez les privés dont un des plus anciens de la ville  qui voisinne avec le Tennis Club coté du Court couvert...

 

Côté jardins et potagers, c'est sans compter de tous les jardins en arrière des façades des rues (Thiers, Etang, Calvaire, Bellanger, Carnot, Chouquettes, Niatel, mare Bridelle, Briqueterie ....) où se nichaient potagers et micros-vergers

Dans ce quartier Clos des Parts  en dehors de la "Pépinière" quelques lopins  de terre étaient loués à deux pas, Sente des Courses,  en majorité aux gendarmes d’Yvetot. Ces jardins étaient situés,  côté droit en remontant la sente des Courses à peu près au trois quart avant la longère où habitaient les Fessard et Mme Jousset-Lamontagne (mes aînés, petits, appelaient cette femme « la dame aux chats » car dans son enclos,  elle en possédait une bonne dizaine) non loin où j’habitais encore  la sente au 2bis de 1988 à 1998.

D'autres contenus vont bien sûr venir étoffer cet article.

Remerciements à Marc Benoist, M. Hauchard, la famille Hétru et Lemonnier pour la transmission d'archives depuis 2019.

 

Crédit photo Siméon Levaillant, 2006

Remerciement spécial à mon fils Siméon Levaillant, photographe professionnel  pour cette prise de vue dans les jardins ouvriers et familiaux  à Yvetot en 2006 à Yvetot en vue d'une exposition à Yvetot  en 2006-2007 : "Du théatre sans représentation" exposition montée par le Théâtre en Face dont j'ai été cofondateur en 1978 (Théâtre du Perce-Neige) et 1983 associativement Théâtre en Face.

Acteur-jardinier - Dominique Dehays, rue des Fonds Yvetot, avec son aimable autorisation.

 

 

ai"Denis Hauchard, président des Jardins Ouvriers et Familiaux, est inquiet pour l'avenir de la parcelle rue des Champs. Lui et les jardiniers craignent devoir quitter ce lieu, exploité depuis 63 ans" in : Le Courrier Cauchois du 20 12 2024

Intrigué par cette affaire relayée dans la presse locale je rencontre quelques jours après Denis Hauchard qui m'explique la situation et le contexte.


Stupéfaction !


Dans l'histoire du patrimoine végétal de la Ville d'Yvetot, j'avais prévu en temps et en heure de consacrer un grand chapitre aux jardins familiaux de la ville et des autres jardins privés qui en 1947 approchaient le millier de parcelles en périphérie de la ville.

Près de 400 parcelles par les JOF yvetotais et 600 parcelles sur des terrains privés de la rue Clos des Parts, à la route de Caudebec en passant par celles de la route de Doudeville...
C'étaient des jardins gérés et entretenus par les salariés des entreprises (entreprise Couturier, de la Gendarmerie (sente des courses), de la SNCF (le long de la voie ferrée) et d'autres loués par des privés comme ceux qui donnèrent place à la Compagnie Hangar route de Caudebec et la "pépinière" dans laquelle le père d'Annie Ernaux louait deux parcelles aux sœurs Valentin, rue Clos des Parts.

 

Alors à l'heure de la désartificialisation, du développement durable, de l'économie circulaire, sociale et solidaire, à  l'heure de l'écologie urbaine, de l'agriculture urbaine,  des circuits courts et de "la Terre à l'Assiette" :  Yvetot et sa Communauté de Communes  Y.N. semblent plus attirés à rogner sur des parcelles de jardiniers  au profit d'un projet de rond-point...! comme le font remarquer les jardiniers dans  l'article du 3 janvier 2025, dernière édition du Courrier Cauchois faisant suite à l'article du 20 décembre 2024.

ALORS sur un air de Nino Ferrer et de "la maison près de la fontaine"

 

"Les jardins près de la Moutardière
Couverts de légumes et de fleurs en été
Sentent bon l'compost, l''terreau et  l'humus,

L'histoire d' Yvetot et de sa postérité

Dedans il y a d'la biodiversité
Les jardiniers y sont du lundi au dimanche 
Arrosent les légumes de leurs potagers
Et leurs oripeaux écartent les oiseaux

Les jardins, près du château d'eau
Pourraient faire place à un rond-point
Qui ferait tache, bitume et Nature Morte
Sur l'hôtel du Progrés

C' n'est pas terrible !
C' n'est pas normal !
Est-c'la le progrès?"

 
 
 
P.L.2025

Moralité de la fable avec la rime :

en deux mille vingt-cinq,

qui trinque?

 


 

ant

Les premiers jardins non privés furent des jardins scolaires

 

1863, Fondation de la  Société d’horticulture de l’Arrondissement d’Yvetot.


Naissance des jardins scolaires. 

 

Le patrimoine  s’enrichit d’une nouvelle société dédiée à l’horticulture créée le 9 décembre 1863.

« Ayant pour objet l’horticulture, prise dans son acception la plus large et la plus générale : la taille des arbres, la culture maraîchère, la floriculture, la Société propage les espèces utiles, indigènes ou exotiques, et importe dans l’arrondissement les outils et les instruments perfectionnés.
Il est délivré aux instituteurs, admis à titre gratuit, des graines potagères ou des fleurs et quelques sujets d’arbres fruitiers, à la condition toutefois qu’ils justifieront des résultats obtenus.
Des jardins scolaires sont créés. Chaque élève du pensionnat d’Yvetot a la charge d’un petit jardinet.

L’enfant cultive à sa façon, rassemblant dans cet espace restreint, un ou deux sujets des plantes les plus utiles, et les classe par famille. Tous les ans, après un concours, la Société d’horticulture décerne des récompenses aux plus méritants. Ces jardins scolaires sont déjà imités dans plusieurs écoles rurales.


Un cours public et mensuel d’arboriculture fruitière est professé par M.Vilaire, au jardin de l’école-pensionnat d’Yvetot. La Société étudie par analyse et la culture, les meilleures variétés de fruits et les propage, notamment les pommes à cidre.»
 

  In : Bulletin de liaison du « Cercle d’Etudes  du Patrimoine Cauchois », Michel Traversat, la Gazette du patrimoine cauchois, n°  3 – 2ème Semestre 1994, p.8. et 5– 2ème Semestre 1995, p.21-22.

Voici l'histoire contemporaine d'Yvetot,

la Cité-Jardins

110 ans  déjà...

et voilà que dès 2025 des parcelles des JOF se voient demain menacées !!!

C'est bien dans le Nord que l'on a vu naître et se créer les jardins ouvriers qui, au fil du temps, sont devenus jardins ouvriers et familiaux et plus spécifiquement à Hazebrouck grâce à l'abbé Lemire en 1896.

L'abbé Lemire, Maire et député de sa ville Hazebrouck.

A la Chambre des députés il a cotoyé Ferdinand Lechevallier, maire et député d'Yvetot à la même époque.

Ferdinand Lechevallier a commencé à encourager la pratique du jardin et du potager  dès qu'il a pu l'organiser à Yvetot, lui-même Président de la Société Pratique d'Horticulture  de l'arrondissement d'Yvetot créée en 1863.

Les  talentueux pépiniéristes yvetotais y contribuaient comme Legrand, Dieppois, Mail, Acher, Valentin...

De leurs idées progressistes est née une amitié qui conduira  l'abbé Lemire à remettre l'extrème onction à son ami député Lechevallier à  Paris en 1905 losque celui y décéda subitement.

L'abbé Lemire a fondé  la « Ligue du coin de terre et du foyer ». Pour lui, « la terre est le moyen, la famille, le but ». La ligue qu’il a instituée a été reconnue d’utilité publique dès 1909.

En 1921 la « Ligue du coin de terre » devient la « Fédération nationale des jardins ouvriers de France ». La loi votée en janvier 1933 à l’initiative de Robert Thoumyre, vice-président de la ligue, favorise l’achat de terrains par l’accès aux prêts des jardins ouvriers. La loi du 7 mai 1946 constitue le véritable code des jardins ouvriers.

En 1952, le terme de « jardins ouvriers » est abandonné et la structure nationale devient la « Fédération nationale des jardins familiaux ».

En 1930, le principe d’une fédération départementale est mis en place et les statuts sont déposés.

La Seconde Guerre renforce le rôle de la fédération. Elle compte jusqu’à 200 groupements adhérents. À la fin du conflit le nombre de jardiniers diminue fortement. En 1949, la fédération départementale ne compte plus que 50 groupements. Une loi de novembre 1976 va favoriser le renouveau des jardins ouvriers.

Les jardins, une tradition ancienne des politiques d’intérêt général


La création des premiers jardins ouvriers par l’abbé Volpette à St Etienne en 1894, puis repris et très largement amplifiée par l’abbé Lemire à partir de 1896 était déjà une réponse sociale à une crise sanitaire cette fois ci, mais aussi économique. L’abbé Lemire (Cf. l’article du dossier « Un notaire et un prêtre à l’origine des jardins ouvriers et familiaux »poursuivait plusieurs objectifs au travers de ces jardins ouvriers. Ils donnaient l’accès à un air sain, au moins le dimanche, aux familles d’ouvriers vivant dans des taudis humides contaminés par la tuberculose. Ils amélioraient l’apport alimentaire. Une des intentions était «d’éduquer » les ouvriers pour qu’ils acquièrent des pratiques de « petits propriétaires », mais aussi, qu’ils évitent de fréquenter les bistrots. Il s’agissait de contribuer à la lutte contre l’alcoolisme, mais surtout d’atténuer la « contamination » des ouvriers par les idées modernes du syndicalisme ou du communisme. L’abbé Lemire, Député de la Nation, siégeait à gauche de l'assemblée certes, mais restait abbé….
 
Un complément de salaire


Ces jardins pouvaient voir le jour au côté des usines, non seulement grâce à la persuasion de ce personnage hors du commun, mais aussi à la contribution du patronat éclairé : c’est lui qui fournissait les terrains. Bien souvent, les « dames » patronnesses participaient à la gestion de ces jardins dans le cadre de démarche d’éducation populaire, tels des cours de tricot ou d’hygiène corporelle. Ces jardins permettaient de compléter les salaires des ouvriers sans apport numéraire supplémentaire. De plus, en maintenant les ouvriers sur place, les jardins facilitaient le regroupement familial. En ce temps, les ouvriers étaient souvent jeunes et célibataires. Ils prenaient facilement leur lundi à l’improviste pour aider leurs familles aux champs ou simplement retrouver leur dulcinée au village d’origine. Les jardins contribuaient donc à une bonne « gestion » de l’usine d’à côté.
 
in : https://www.jardinsdefrance.org/les-jardins-partages/

 

Les Jardins ouvriers

L'oeuvre des jardins ouvriers est peut-être la plus intéressante des oeuvres que peut créer la philanthropie. Elle est d'autant plus intéressante qu'elle est plus facile et moins coûteuse. Elle est, pour ainsi dire, gratuite. On loue un champ assez vaste que l'on divise en modestes fractions, dont on demande un prix de location proportionnel au prix du loyer total. Et si l'on veut aller plus loin, et donner à des malheureux la jouissance gratuite de ces lambeaux de terre, on se trouve décupler son aumône ; car cette aumône, confiée à la terre nourricière, fructifie rapidement.

In : Manuel pratique d'économie sociale : guide pour la formation et l'organisation de syndicats agricoles, associations, syndicats professionnels, sociétés coopératives (consommation, crédit, production), jardins ouvriers... / Léon de Seilhac, 1904
 

 

 

L'abbé Lemire - Jules Lemire fut un homme politique avant-gardiste. Il a défendu pour que les femmes ayant accouché puissent bénéficier d'une période de repos avant de reprtendre le travail ; pour qu'un ministère du travail  soit créé ; pour que la durée du travail hebdomadaire soit réduite ; pour que la journée de repos hebdomadaire se généralise ; pour que l'on interdise le travail de nuit des enfants ; pour que la peine de mort soit abolie... et pour que l'ouvrier bénéficie d'un logement décent et d'un coin de terre. 

In,  la brochure : L'abbé Lemire (1853-1928), témoin de la Gande-Guerre raconte [Malvache, Hazebrouck, 2018]

 

 

Dans les pas de l'abbé Lemire

 

Ferdinand Lechevallier 

 

Député Maire d'Yvetot entre 1871 et 1905

Président de la Société Pratique d'Horticulture  de l'arrondissement d'Yvetot

 

Il fut cet ancien maire et député d'Yvetot, né à Bolbec en 1840 et qui mourut à Paris au palais-Bourbon le 26 janvier 1905. Il fut d'abord conseiller municipal le 30 avril 1871 et industriel rue du Couvent puis maire en 1876 et député en 1881 jusqu'à sa mort (1905), soit 29 ans à la mairie d'Yvetot ce qui lui permit de lier amitié avec l'abbé Lemire, député d'Hazebrouck.

Je connais bien cette ville et le Musée de l'abbé Lemire à Hazebrouck car j'ai exposé à cinq reprises à la biennale de mosaiquenenord entre 2011 et 2020.

Ferdinand Lechevallier est député de Seine-Maritime de 1881 à 1905, siégeant chez les Républicains progressistes. Il est président et rapporteur de la commission de la comptabilité de 1895 à 1898, et questeur de la Chambre en 1898-1899 et de 1903 à 1905. Il est président fondateur de la Société de prévoyance mutuelle d'Yvetot.

Ferdinand Lechevallier œuvra pour la Société Pratique d'Horticulture de l'arrondissement d'Yvetot au temps de Hauchecorne, Legrand, Valentin, Mail, Dieppois, Varin célèbres pépiniers et horticulteurs.
Les premiers jardins sont à situer sur cette période même si leur rôle a été accentué grâce à Robert Lemonnier après la mort de M. Lechevallier (1905) mais en 1914 et développés en jardins ouvriers et familiaux par R. Lemonnier et Maurice Hétru (Après la seconde guerre mondiale).


Dans son portrait dépeint par Louis Lapert, journaliste et historien dans un article du Courrier Cauchois du 18 février 1978, il raconte ce fait qui explique bien des choses à propos des jardins ouvriers et familiaux impulsés à Yvetot grâce à Ferdinand Lechevalier en lien avec l'action de M. Lemonnier père et fils en 1914

En effet je cite : Le 27 janvier 1905, pris d'un malaise qui devait l'emporter peu après dans les couloirs du Palais-Bourbon, M. Lechevallier fit appeler un de ses collègues, l'abbé Lemire, député d'Hazebrouck, dont il reçut "les suprêmes consolations"
Ce premier fait qui parait anecdotique indique une amitié entre lui et L'abbé Lemire, le créateur des jardins familiaux : "Il fonde en 1896 la ligue du Coin de Terre et du Foyer qui a pour mission la mise en place des Jardins ouvriers". in : https://www.ville-hazebrouck.fr/decouvrir-hazebrouck/patrimoine/la-maison-musee-de-labbe-lemire/."


Ainsi sur cet héritage, sur cette amitié citoyenne en faveur des ouvriers, les jardins ouvriers sont nés.

Brève biographie réalisée par Pascal Levaillant 2024
 

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Dans les pas de l'abbé Lemire

 

Robert Lemonnier, l'artisan créateur des premiers jardins ouvriers en 1914 à Yvetot


Le 16 mai 1970 a été publié au « Journal Officiel » la nomination au grade de chevalier dans l’ordre national du Mérite attribué à Robert Lemonnier pour « 55 ans d’activités sociales » par le décret du 14 mai 1970. Il l’apprit à la réception du courrier de M. Albin Chalandon, ministre de l’équipement et du logement.
Interviewé par le Courrier Cauchois, Robert Lemonnier déclara :
« 55 ans c'est peut-être un peu trop long […] car je suis né en 1893 et mes services à l'âge de 21 ans étaient tout de même assez modestes ; je m'occupais pourtant de la société d'horticulture et des jardins ouvriers"
Il a présidé durant 20 ans la société des H.L.M. D’Yvetot durant laquelle Yvetot lui doit une forte augmentation de sa population ; il fut secrétaire du Conseil d’administration de la société H.L.M. de la Seine Maritime. Il sera encore pendant plus d’une décennie président-fondateur du Comité du logement d’Yvetot et de sa région. Il fut également président de la Caisse d’Epargne et de Prévoyance d’Yvetot et membre du conseil d’administration de l’union des Caisses d’Epargne du Nord-Ouest. Il fut aussi membre du Conseil d’Administration de la société de crédit immobilier rural du département et président du Centre ménager des Dames-Blanches d’Yvetot. 
Auparavant en avril 1958, il avait reçu la rosette du Mérite social et la médaille de Vermeil de la Croix-Rouge.
Marié, il eut 9 enfants et 22 petits-enfants ce que le journal souligna dans cet article.
Parallèlement à ses « fauteuils » il présida près de quarante ans (35 ans en 1970) le Comité de la Croix-Rouge d’Yvetot. Il a participé aux secours de 40 militaires allemands et alliés abandonnés à leur sort à Yvetot à la Libération.
in : le Courrier Cauchois du 23 mai 1970
Brève biographie réalisée par Pascal Levaillant 2024

Complément biographique  :

 

Robert Lemonnier 1893- 1973


Robert Lemonnier amateur des arts a voué sa vie aux activités sociales, au service de sa ville. Il avait aussi le goût pour la botanique cultivé jeune, rue du Calvaire.
Robert Lemonnier est né le 19 octobre 1893 à Yvetot, rue du Calvaire. Son père était entrepreneur de travaux publics. 


Le 16 mai 1970 a été publié au « Journal Officiel » la nomination  au grade  de chevalier dans l’ordre national du Mérite attribué à Robert Lemonnier pour « 55 ans  d’activités sociales » par le décret du 14 mai 1970. Il l’apprit à la réception du courrier de M. Albin Chalandon, ministre de l’équipement et du logement.


Interviewé par  le Courrier Cauchois, Robert Lemonnier  déclara : « 55 ans c'est peut-être un peu trop long […] car je suis né en 1893 et mes services à l'âge de 21 ans étaient tout de même assez modestes; je m'occupais pourtant de la société d'horticulture et des jardins ouvriers"
Il est entré dans la « maison d’Yvetot » dans la classe enfantine de la « Sœur Dominique » pour n’en sortir qu’à la fermeture autoritaire d’août 1908.  » « Il termina ses études  secondaires à l’institution Saint-Joseph du Havre
Durant sa jeunesse il habitait rue de la République en face des Lefresnes qui possédait une belle propriété avec pelouses,  avec surtout cultures florales et potagères modèles. Ce voisin  amateur de botanique « initia  tant et si bien le jeune Robert, doué pour tous les arts, que cela se sût et valu au jeune clerc de notaire sa première Présidence à la tête de la Fondation des Jardins ouvriers, fondé à sa diligence  ».  Sa passion pour les rosiers reste dans les esprits de ses petits-enfants car Annick Nion, une de ses petites filles se rappelle de son talent pour greffer les rosiers. Robert Lemonnier qui avait le plaisir des arbres, des parcs et des fleurs dit un jour : « une rose d’automne est plus qu’une autre exquise » 
Dans le cadre de ses études à la Faculté de Droit de Paris, il fit son stage réglementaire à l’Etude de M. Achille Legrand. Il finit ses études en 1914 après avoir obtenu brillamment  sa licence. Destiné à être notaire le destin en décida autrement car il succéda a son beau-père, M. Rimbert avoué en 1921. Il transmit cette charge à son fils Jacques Lemonnier en 1949.
Il a donc commencé sa carrière comme Avoué au Tribunal Civil d’Yvetot au début des années 1920. 


Il fut conseiller municipal de 1935 à 1943.


Il a présidé durant 20 ans la société des H.L.M. D’Yvetot  durant laquelle Yvetot lui doit une forte augmentation de sa population ; il s’occupa des mal-logés : la Cité de l’Abbé Pierre fut sa première réalisation bien modeste en 1954. Il accompagnera le projet de création  des logements des Béguinages qui permirent aux personnes âgées de bénéficier du bien-être dans la sécurité . Il fut secrétaire du Conseil d’administration de la société H.L.M. de la Seine Maritime. Il sera encore pendant plus d’une décennie président-fondateur du Comité du logement d’Yvetot et de sa région. Il fut également président de la Caisse d’Epargne et de Prévoyance d’Yvetot  et membre du conseil d’administration de l’union des Caisses d’Epargne du Nord-Ouest. Il fut aussi membre du Conseil d’Administration de la société de crédit immobilier rural du département et président du Centre ménager des Dames-Blanches d’Yvetot, il fut membre du Conseil d’Administration du Centre de Rééducation Arcaux de Bois-Himont. 
Auparavant en avril 1958,  il avait reçu la rosette du Mérite social et la médaille de Vermeil de la Croix-Rouge.
Marié, il eut 9 enfants et 31  petits-enfants.
Parallèlement à ses  « fauteuils » il présida près de quarante ans (35 ans en 1970)  le Comité de la Croix-Rouge d’Yvetot. Il a participé aux secours de 40 militaires allemands et alliés abandonnés à leur sort à Yvetot à la Libération.
in : le Courrier Cauchois du 23 mai 1970

 

Rédaction Pascal Levaillant 2019-2024
 

Aux Jardins Ouvriers et Familiaux d’Yvetot depuis 1944 des yvetotais s’adonnent au jardinage

Yvetot 1944 :   


Naissance de M. Marc Benoist  
et

Création des Jardins Familiaux à Yvetot.

Les Jardins Familiaux d’Yvetot sont créés   alors qu’il existait auparavant d’autres jardins privés loués à des particuliers  à deux endroits d’Yvetot dont les terrains des sœurs Valentin et de M. His et sur le terrain actuel des cars Hangard, rue Ferdinand Lechevallier.


C’est à l’initiative de Maître Lemonnier, Avoué que ces jardins ont été créés,  rue des Fonds sur une première bande à l’emplacement du local actuel. Puis au fil du temps d’autres parcelles ont été attribuées  en prolongement de la première bande  et sur d’autres terrains rue du Champ de Courses et rue Rodin sur des terres agricoles acquises par la Ville et cédée en gestion à une association des jardins familiaux que préside M. Marc Benoist depuis 1983.


Quant aux jardins de la rue des Champs, ils sont  gérés par l’association toutefois ils appartiennent à l’Hôpital Local Asselin-Hédelin d’Yvetot.


L’association gère 400 parcelles sur ces quatre terrains, elle les loue aux propriétaires  (Ville d’Yvetot et l’Hôpital Local d’Yvetot) et les loue aux particuliers désireux de cultiver  une parcelle de 100 m2 et qui en avait la nécessité.


L’association compte aujourd’hui 190 adhérents. Quand on parle des jardins familiaux, ils sont associés à des jardins ouvriers car ils ont été créés  afin d’augmenter à cette époque en 1944 leur surface de production de légumes, eux-mêmes n’ayant pas des terrains suffisants.
L’association des jardins familiaux est sous l’autorité administrative et juridique du Ministère de l’Agriculture car ils sont considérés avant tout comme des jardins agricoles, à contrario des jardins partagés relavant d’une politique d’aménagement de la ville et des quartiers « où tout le monde cultive et se sert à sa guise » limite et différence soulignée par M. Marc Benoist, trésorier de la Fédération Départementale des jardins Familiaux de Seine-Maritime.
 
Aux jardins familiaux depuis 1944 à l’apparition du motoculteur le travail au jardin se faisait essentiellement à la bèche, à la fourche plate, l’entretien des parcelles se faisait au croc, à la binette et à la bataille (à plusieurs dents) aidant au sarclage et contribuant au maintien de l’humidité de la terre. On dit ici qu’un  bon sarclage vaut mieux qu’un arrosage. Le sarclage était effectué tous les deux jours ce qui permettait d’obtenir un jardin impeccable et propre.
La devise des Jardins Familiaux est de maintenir la propreté du jardin.
 
Cette époque ce fut la meilleure période pour ces jardins me confie Marc Benoist.
L’avènement du motoculteur et du brabant changea et modifia les pratiques, les usages et l’environnement et l’harmonie des jardins.
Travailler au jardin pour la plupart des jardiniers-ouvriers était exigeant et rude cependant c’est l’harmonie qui était à l’œuvre, l’échange, la solidarité entre copains et amis : le territoire des hommes. Aujourd’hui et récemment les femmes occupent des parcelles qu’elles entretiennent à la perfection.
Les ennemies du jardinier sont et restent : le liseron, la queue de rat, la poule grasse, l'ortie, le chardon, la dogue.
On y cultivait à cette époque entre 1944 et 1970 des oignons, des échalotes, des poireaux, des carottes, des endives, des épinards, de la mâche, des salades d’hiver, des salades d’été, des petit-pois, des blettes, du rutabaga, du pissenlit, des courges, des tomates, des pommes de terre (la Binche), des betteraves longues et rondes, de l’oseille, des radis gris et de saison.


La vie  et l’organisation aux jardins Familiaux


Sur chaque parcelle se sont érigés des cabanes de fortune fabriquées et montées avec des matériaux de récupération. L’eau fut installée au commencement des jardins, plusieurs points d’eau (bornes)  étaient à disposition des jardiniers. La seule restriction imposait le seul usage de l’arrosoir, le jet d’eau était proscrit ce qui en encore le cas aujourd’hui. Depuis plusieurs années chaque abri de jardin  a donné un prolongement aux premières cabanes de fortune qui sont désormais toutes équipées d’une cuve de 100 litres adossée à l’abri de jardin.


Il existait une zone de dépôt des déchets et des fanes des légumes qui étaient enlevés une fois par mois. Les jardiniers n’avaient pas recours au compostage à cette période.
Le seul apport était l’engrais et surtout le fumier provenant d’exploitations agricoles (fumier de vache et de cheval).


La bouse de vache servait aussi à fabriquer un substrat mélangé avec de l’eau dans un seau où était déposée la porette avant d’être plantée en terre.
Dorénavant c’est le purin d’orties qui devient un engrais très utilisé.


Aujourd’hui les jardiniers n'introduisent plus ni  engrais chimique ni produit phytosanitaire.


Dès le début des jardins familiaux, les fleurs ont été semées ou repiquées et le sont davantage aujourd’hui. En effet les jardinières incorporent les fleurs dans leurs parcelles.
De même, les  fruitiers s'invitent de plus en plus au jardin.
Deux  ruches ont été installées   rue des Fonds car l’apport des fleurs et des parcelles inutilisées semées de gazon fleuri permettent l’activité des abeilles sur un des sites pour la production de miel.


Ce phénomène floral est accentué par la présence des jardinières qui intègrent au jardin leurs fleurs semées ou repiquées.


Evoquant la permaculture, elle n’est pas développée dans ces jardins pour l’instant.
Certains jardiniers avaient des fins de journée difficile, certains dormaient dans leur cabanon ce qui n'est plus courant aujourd'hui : en effet certains jardiniers dissimulaient quelques bouteilles de vin ou de cidre sous les pieds de rhubarbe. Les jardins étaient à cette époque le royaume des hommes, les femmes n'y mettaient pas les pieds. Désormais hommes et femmes partagent le jardin, c'est même devenu un espace intergénérationnel.

Marc Benoist a trouvé un successeur en 2024 : M. Hauchard

 

Jardins rue du Champs de Courses 2019

Jardins rue Rodin de Courses 2019

Jardins rue des Fonds 2019

Jardins rue des Champs 2019

En 1985, l'Ecole Jean Prévost avait sa parcelle, rue des Fonds


Les jardins Ouvriers et  familiaux  en quelques dates :

 

1916

Le Réveil d'Yvetot les 17-20 mai 1916, pages d'Yvetot

 

 

En juin 1917, distribution gratuite de graines,  REVEIL D'YVETOT

 

En 1920 : communiqué de Robert Lemonnier, secrétaire de la société Cauchoise d'Horticulture  à l'adresse de 120 rue du Calvaire comme l'indique l'archive ci-dessous

 

 

1920

Lors de l'assemblée générale de la société cauchoise d'encouragement de l'horticulture qui s'est tenue dans l'ancienne institution ecclesiastique d'Yvetot, M Lemonnier secrétaire de la Société  relate la visite des cultures  aux côtés de M. Mail, Vice-président de la Société Cauchoise et de son président Rimbert,  dont l'assemnblée fut présidée par le Maire et conseiller Général M. Bocheux,  le 17-20 novembre 1920 :  Le Reveil d'Yvetot relate

les prix  du concours remis aux jardiniers ouvriers d'Yvetot 

dont le 1er prix à M. Lami  rue du Champ de Courses ; 2e prix à M Parmentier, rue Clos du Manoir ; 3e prix à M. Desmoulins, rue Thiers ; 4e prix remis à M. Langlois, rue des Chouquettes, tous d'Yvetot acteurs exposants des fruits et légumes à l'exposition des jardins ouvriers de l'année 1920.

Pour les fruits à cidre le 1er prix fut remis à M. Gueroult chef de culture chez Mme Legrand à Yvetot pour sa plus belle collection de pommes, dont il exposait plus de 60 variétés. Ses légumes lui méritèrent le maximum de points de félicitations du jury.

 

 

ROBERT LEMONNIER - Concours de jardins ouvriers - Réveil d'Yvetot 8 juillet 1922

 

Pour se remémorer  la piste du créateur  des jardins, Robert Lemonnier, je la dois à  l'information  transmise par René Gilles en 2019, qui m'avait indiqué qu'on devait les jardins ouvriers  d'Yvetot à Robert Lemonnier et  par la suite à Raymond Hétru aux alentours des années 1941 : Cette information m'a encouragé à chercher les preuves dans la presse ou les annuaires pouvant restituer l'époque. 

 

Lechevallier Ferdinand                          22 février 1881- 15 mai 1904
Lhermitte Emmanuel                        15 mai 1904- 16 mai 1908
Bocheux Eugène Charles                16 mai 1908-17 mai 1925
Rimbert Charles                                17 mai 1925- 17 mai 1929
Richard Marcel                                   17 mai 1929- 29 mai 1943

Délégation spéciale sous la présidence de M. Orcel  29 mai 1943- mai 1945

Richard Marcel                                 19 mai 1945- 9 mai 1953
François Jean                                        9 mai 1953- 20 mars 1959
Bobée Pierre                               20 mars 1959-1995
Décultot Philippe        1995-2008
Canu  Emile           2008-2022

Francis Alabert 2022- 
 


1943 /  Les statuts sont déposée en préfecture par Robert Lemonnier
Naissance des jardins familiaux sur l'impulsion de M. Lemonnier le 17 janvier 1944.
À la fin du XIXème siècle, l'abbé Lemire crée les Jardins Familiaux afin de permettre aux familles de subvenir à leurs besoins pour leur permettre de cultiver des légumes et fleurs, pour y passer du bon temps, pour y fréquenter des copains non loin de chez eux, non loin de leur maison, non loin de leur appartement.
Jean-Louis fut l'un des premiers jardiniers à Yvetot qui au fil du temps arriva à entretenir 3 parcelles rue des Champs. Il avait 23 ans quand il a pris un jardin en 1944. Il faisait pousser poireaux, petits pois, haricots verts et pommes de terre.

En 1944, M. Horcel, nommé représentant de la ville par Vichy en 1943.

Le Docteur Richard  qui avait quitté la fonction en 43 et l’a reprise de 1945 à 1953.

Entre 1945 et 1970, Raymond Hétru reprend après Robert Lemonnier occupé à la reconstruction d'Yvetot pendant plusieurs décennies aux côté de M. Richard, M. François et M. Bobée.

 

1962  AUX JARDINS FAMILIAUX, Rue des Champs

CC du 10 février 1962

 

 

 

 

M. Raymond Hétru en 1965 dans son jardin, rue de l'Union

RAYMOND HETRU  28 3 1965 aux JARDINS O F

Le Député Constant Lecoeur

remettra la Croix de Chevalier du Mérite Agricole à M. Raymond Hétru,

avec l'aimable autotisation de Didier Clatot (2017)

in : «Jean Hétru, 50 ans de manifestations à Yvetot et ses environs.»

Raymond Hetru


Artisan créateur avec Robert Lemonnier des jardins familiaux

"Raymond Hétru fut une grande figure locale bien avant son fils Jean.
Il a contribué  activement à la vie locale. Le père de jean avait travaillé à la Cordonnerie Delaunay à Yvetot. Durant la seconde guerre mondiale sa maison fut détruite suite aux multiples incendies qui ont frappé Yvetot. 
C’est surement dans ce contexte qu’il rejoignit Robert Lemonnier pour organiser les conditions de subsistance des yvetotais  par l’octroi de nouvelles parcelles de jardins à conquérir afin de leur  céder un lopin de terre pour y créer leur potager.
1941 : Naissance des jardins familiaux sur l'impulsion de M. Lemonnier et de Raymond Hétru  sur une première bande de terrain de la rue des Fonds. 
René Gilles a très bien connu Jean et son père Raymond, il  se souvient des fêtes et des fleurissements dans Yvetot : 
« Raymond Hétru a été président longtemps. Il faisait de très belles décorations en légumes à la st Fiacre à la chapelle paroissiale pour la messe ».
Le 26 mai 1946, Raymond Hétru en compagnie de sa femme participait à la Kermesse du Printemps devant un stand très fleuri.


Il fut membre des Jardins ouvriers puis Vice-Président avant de prendre la présidence tenue à cette époque par Robert  Lemonnier, jusqu’en 1963 date à laquelle il présenta sa démission.
Il reçut la Croix de Chevalier du Mérite Agricole par le député Constant Lecoeur en 1958 lors de la fête de la Saint-Fiacre, patron des jardiniers.
Raymond était attaché à la Saint-Fiacre. Saint-Fiacre fut un moine légendaire et modèle des jardiniers, dans le potager duquel les pauvres avaient le droit de se ravitailler. En somme son potager est l’ancêtre du « jardin partagé ».


Raymond Hétru aimait perpétuer cette tradition en offrant cette année 1958 les plus beaux légumes des jardins Ouvriers et Familiaux exposés lors de la cérémonie religieuse célébrée cette année-là  par l’abbé Carron, premier vicaire aux petites orphelines de la Miséricorde. A cette occasion l’autel fut décoré et orné par un amas de légumes sur lequel reposait une reproduction d’un baromètre géant (toujours au beau fixe, souligne le journaliste réalisé par MM.Jacques et Tétrel aidés par Mme Hétru.


A l’Hôtel de Ville,  après l’office, cette manifestation annuelle fut l’occasion  de remettre à Raymond Hétru, en dévouement de son œuvre sociale,  la Croix de Chevalier du Mérite Agricole entouré de son épouse et de ses deux petites-filles.  


En l’absence de Jean François H. Cahan officia la cérémonie à laquelle assistait MM.Constant Lecoeur, député  et conseiller général, le chanoine Delaune et les abbés Carron et Gaudray, les conseillers municipaux  Lebrun, Hurard,, Jourdain et Caron et m. Plot, vice-président et son épouse, M. Tétrel, vice-président, M. Levitre secrétaire et son épouse, M. F.Lecoeur, secrétaire adjoint, M.Jacques, trésorier, et les membres de l’association :  Varneville, Hautot, Lebourg ,  Caltot. 


Il fut remis à Mme Hétru associée à ces mérites, de magnifiques fleurs.
M Constant Lecoeur rappela le parcours de Raymond Hétru soulignant son inlassable dévouement.


Il reçut en cadeau un véritable baromètre par ses amis jardiniers.
Un repas s’en suivit à l’Hôtel du Chemin de Fer,  selon la tradition instaurée avant-guerre par la Société d’Horticulture que présida Robert Lemonnier."

Rédaction Pascal Levaillant 2019-2024
 

 

Années 1953 à 1959 : M. Jean François, minotier, maire d’Yvetot
En 1963, M. Pierre Bobée,  médecin  est le maire d'Yvetot.
                                                         M. Benoist entre aux jardins familiaux en 1963

1970  

CC - 23 mai 1970 Robert Lemonnier

 

M. Hétru donne sa démission après 25 ans de bons et loyaux services

 

1976

Lors de l'épisode  de la sécheresse  qui sévit partout en France y compris en Normandie, Yvetot et ses jardins Familiaux ne sont pas épargnés. M. Benoist déclarait dans la presse locale : "la terre est morte"
En effet la récolte fut maigre, les rendements faibles pour les haricots, poireaux, salades, carottes. Seuls les tomates, et les mêmes ont tiré  leur épingle du jeu ce que constateront rue des fonds M. Langlois et M. Benoist.
En 1976, M. Pierre Bobée, médecin  est le maire d'Yvetot.

 

 

1981 cette année M Garbe est Président ; M. Benoist, secrétaire

 

1983


Cette année-là,  M. Benoist succède  à M.Garbe.
Sont effectués à cette époque des travaux d'aménagement d'un local pour recevoir du matériel.
L'association sous la nouvelle présidence de M. Benoist à pour mot d'ordre : mettre à disposition des amoureux du jardin des parcelles de terrains qu'elle gère.

 

                           M. Langlois et M. Benoist constatent les effets de la secheresse en 1986

 

1988


L'association des jardins familiaux par la voix de son président Benoist alerte les adhérents sur le niveau d'entretien des parcelles quelques mal entretenues, sur la dégradation de quelques abris  de jardin, sur des vols de légumes  lors de l'Assemblée Générale. Il invita les adhérents au respect du règlement  afin que les jardins soient mieux entretenus.
 

En 1988, M. Pierre Bobée, médecin est le maire d'Yvetot
 

1994


Ce fut l'année du cinquantième anniversaire des jardins ouvriers et familiaux que préside à cette époque M. Benoist en présence de M. Pupin, président de Haute Normandie et le docteur Pierre Bobée, maire, conseiller général. L'association fut déclarée en préfecture par M. Lemonnier, avoué, fondateur de l'association en partenariat avec d’un côté la Ville d'Yvetot et d'autre part l'hôpital Local d'Yvetot.
Dans les années 90, M. Langlois déjà présent en 1976, s'occupait de la section "graines" et son action permit une augmentation de 30% d'adhérents. Faut-il le rappeler,  M. Langlois fut aussi à l'initiative de la renaissance du potager du Manoir du Fay A Yvetot.

 

 

En 1994, M. Pierre Bobée, médecin est le maire d'Yvetot.

2004


Le mercredi 8 septembre 2004 est publié un article dans le Paris-Normandie titrant :
"le bonheur est dans le potager" à l'occasion de la 47eme exposition et concours des jardins ouvriers et familiaux de Normandie où treize équipes ont été en lice dont une d'Yvetot à la salle du Vieux-moulin.
En 2002-2004, M. Philippe Decultot, médecin est maire d'Yvetot et Président de la CCYN

En 2008, M. Canu est maire d’Yvetot

 

De 2004 à  2014, M Leguay  est Président de la CCYN

en 2020 il ya eu même des lectures aux jardins familiaux

https://projets.normandielivre.fr/initiatives-bibliotheques-en-normandie/2020/04/20/yvetot-les-lectures-au-jardin/

"Les lectures dans le jardin ouvrier sont l’une des activités proposées dans le cadre de ce festival mais c’est la seule à être récurrente (sont également proposés des ateliers de construction d’hôtel à insectes et de nichoirs, de sauvetage d’animaux sauvages, la projection gratuite du documentaire Après Demain dans le cinéma de la ville).

Le succès ayant été au rendez-vous, et la parcelle du jardin ouvrier étant louée pour toute l’année, il a été décidé de reconduire les lectures au jardin avec un rendez-vous hebdomadaire pendant l’été."

Qu'est devenu ce projet de lectures aux jardins familiaux?

en 2022, M. Alabert remplace M. Canu, démissionnaire et M Charassier reste président de la CCYN (2014 à 2024)

M. Benoist, rue des Champs en 2019

en 2024 M. Denis Hauchard succède à M. Benoist

C'est donc  sous l'ère nouvelle du successeur de M. Canu, démissionnaire en 2022, et de l'actuel président de la CCYN qu'une menace pèse sur l'avenir des jardins familiaux  à propos d'un projet d'artificialisation (rond point) rue des Champs pouvant menacer  à court terme  un site complet avec 56 parcelles de jardins  de la rue des Champs (créés en 1943-1944 par Robert Lemonnier),  comme l'a indiqué le Courrier Cauchois  le 20 décembre dernier.

 

 

"Denis Hauchard, président des Jardins Ouvriers et Familiaux, est inquiet pour l'avenir de la parcelle rue des Champs. Il craint de devoir quitter ce lieu, exploité depuis 63 ans" In : le  Courrier Cauchois du 20 décembre 2024

Aujourd'hui M. Hauchard reprenant le flambeau d'une même voix avec  tous les jardiniers insiste sur les points suivants :

Le jardinage est la pratique et l'art de semer qui croise un besoin d'esthétisme et alimentaire. Jardiner répond au but d'embellir et entretenir un lieu : un jardin, un potager.

Jardiner c'est apprendre la patience, s'adapter à l'environnement, à la météo et à ses caprices.

Jardiner c'est du lien social, c'est maintenir un exercice physique pour la santé, c'est la production de légumes afin d'obtenir fraicheur et qualité gustative tout en respectant le sol, la nature du sol ; c'est venir chercher un moment de détente pour se ressourcer.

Aujourd'hui ce sont 355 parcelles sur 4 sites,  tient à souligner  Denis Hauchard.

Il faut s'écouter, respecter son environnement et veiller à respecter les espaces communs.

La richesse des parcelles entretenues depuis 1943 concoure à une terre  vivante, nourricière  où grouillent les vers de terre, les meilleurs amis du jardinier.

Le Courrier Cauchois 2021 - Denis Hauchard

Docs transmis par M. Hauchard

M. Hauchard ajoute :

 

"Nous avons mis en place un achat groupé de petites graines pour les jardiniers et c'est plus de 

1500 euros de graines qui ont été commandées!!

 

Un système de mail a été mis en place. Les jardiniers reçoivent toutes les semaines des informations conseils et préconisations

 

Ils posent aussi des questions de jardinage :  C'est plus de 8000 mails qui ont été envoyés.

 

L'association fourni des amendements de la chaux et du boschovos.

 

Les JOF vont installer des hôtels à insectes pour favoriser la biodiversité.

 

Pour l'hiver l'association facilite l'installation de couvert végétal (culture piège à nitrate) avec des plantes qui ameublissent le sol et augmente le taux de matière organique

Pour les jardins en attente les JOF implantent des cultures mellifère pour favoriser la pollinisation.

 

Un suivi régulier des parcelles est organisé avec de l'entraide pour les jardiniers absents pour cause de maladie.

Un système d'échange de plantes et de légumes en surplus est organisé."

 

Les jardins familiaux ou le " réflexe de survie "

En effet le jardin apporte la nourriture donc permet de s'alimenter et vivre tout simplement

 

Un public devenu très hétérogène: JOF jardins ouvriers et familiaux ce sont des jardins familiaux toutes catégories socio-professionnels de l'ouvrier au cadre supérieur en passant par l'employé de banque

Un public qui se féminise : ce n'est plus forcément le couple mais des femmes seules ou divorcées ou veuves qui prennent un jardin.

Un public écolo,  des citoyens qui veulent manger des produits de qualité et respecter l'environnement

Conclusion la société évolue les jardiniers aussi!!

 

 

J'ai contribué à faire diffuser à Yvetot ce film auquel Denis Hauchard a assisté

en septembre dernier

aux Arches Lumière, Yvetot

grâce à  Action Citoyenne Yvetot en présence des réalisateurs Guy et Dominique Chapouillié

Pour compléter votre information, je voulais rendre hommage à Maurice Leperchey, Denis Langlois et à Bernard Boullard, ces passeurs du vivant qui ont été en leur temps des passeurs de la transition écologique, parfois en avance sur leur temps mais dont les écrits restent et resteront...

 

Nature au crible,  Nuances d’humus, levées botaniques, Collectif Corblin-Levaillant, plasticiens-botanistes

a présenté en 2024 à Cahors

LE CHAI (auberge de jeunesse),  52, avenue André-Breton  Cahors  - 1er - 31 Mars 2024 

 


" La vie était revenue. […] 
Kevin s’empara de la bêche, fit quelques pas pour choisir le meilleur emplacement et se mit à creuser. La lame s’enfonça facilement dans le sol. La terre était noire et brillante. 
Elle dégageait une odeur de sous-bois capiteuse. Dans une des mottes qu’il dégageait, 
Kevin remarqua une belle troupe d’anéciques, grouillants et humides, en pleine forme. […]"
Humus, Gaspard Kœnig, 2023
________________________________________
Gaspard Kœnig, Humus, Editions de l’Observatoire / Humensis, Paris, 2023, p. 376-377.


Aux autrices, auteurs et aux experts : 
Bourguignon Claude et Lydia ; Boullard Bernard ; Christophe Jean-Damien ; Cauquelin Anne ; Clément Gilles; Ernaux Annie ; Feller Christian ; Goulfier Guylaine ; Jabiol Bernard ; Koenig Gaspard ; Langlois Denis ; Leperchey et M. & D. Bazire ; Pessis Céline ; Roger Jean-Marie ; Selosse Marc-André ;  Strullu-Derrien Christine ; Tassin Jacques ; Terre Vivante et la revue les quatre saisons ; Touyre Patricia;  Veragrow ; Hervé Brunon et Laurent Le Bon (dir.), Jardins, cat. exp., Paris, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2017.  avec aussi la complicité de Marc Jeanson, botaniste ; Alice Freyet et Guy Chapouillé…

Pour la communication et l'information notamment :
Les Abattoirs : programmation d'art contemporain des Abattoirs, Musée - FRAC OCCITANIE TOULOUSE en région Occitanie de mars à décembre 2024, double page Cahors, Humus miraculum.
https://www.lesabattoirs.org/Expositions/humus-miraculum/


Petit lexique[1] de l’humus

Humus
Substance issue de la transformation de la matière organique, dans le sol ou dans le tas de compost. C’est l’humus qui donne à la terre du jardin sa couleur noire, sa consistance légère et grumeleuse.

Compost
C’est ce qu’obtient le jardinier lorsqu’il fait fermenter des matières organiques fraîches en les disposant en tas (ou en couche sur le sol à fertiliser). Ce sont les micro-organismes et les vers de terre qui sont les principaux agents de cette transformation en humus. 

Terreau 
C’est du compost très mûr, c’est-à-dire assez « vieux ». Le terreau est composé d’éléments fins de couleur noirâtre ; il ressemble à de la terre légère.

Matière organique
Pour le jardinier et l’agriculteur, c’est tout ce qui est issu des êtres vivants et qui peut retourner au sol : feuilles, paille, herbes, épluchures, fumier, compost, terreau, tourbe, humus, etc. La teneur des sols en matière organique est variable : autour de 5% dans un jardin.

Micro-organismes
Ce terme désigne tous les êtres vivants visibles seulement au microscope (bactéries, champignons microscopiques, etc.) Ceux-ci sont très nombreux dans le sol et dans les tas de composts ; ils jouent un rôle très important dans la fertilité (en fabriquant l’humus, par exemple).

Les quatre saisons : 
Premier magazine à se revendiquer “0 phyto” dès 1980, les 4 saisons est aujourd’hui le magazine référent du jardinage bio.
Des experts du jardinage, des essais menés dans les jardins du Centre Terre vivante et des échanges constants avec ses lecteurs, lui permettent de donner les meilleurs conseils pratiques au potager, au verger et au jardin d’ornement.
Et parce que la quête d’autonomie ne se limite pas au potager, il s’intéresse à toute l’écologie pratique : permaculture, habitat, alimentation, santé, alternatives…
In : https://www.terrevivante.org/contenu/le-magazine-les-4-saisons/
[1] In : revue « les quatre saisons » du jardinage. Bimestriel n°1, mars-avril 1980, Editions Terre Vivante, Paris, p.63


EXTRAITS  de « L’intime de l’humus » HERVÉ BRUNON
In : MAQ_RMN_CAT_JARDINS_BLOC_v70.indd 59
Ou file:///C:/Users/rosel/Downloads/essai%20HBrunon3_2017-02-02%20(1).pdf


« S’amorce un processus d’apprentissage, au cours duquel on s’aperçoit « qu’il faut donner à la terre plus qu’on ne lui prend ». Alors, poursuit Capek, « vous serez transporté d’enthousiasme devant un humus bien noir, vous triturerez avec amour le mol humus de feuilles qui tapisse les forêts, vous soupèserez la lourde terre à gazon ainsi que la tourbe légère[1]». En somme, commente l’historien de la littérature Robert Harrison, « jardiner, c’est se donner les moyens de comprendre les efforts déployés par la vie pour s’enraciner dans une argile hostile et réfractaire[2] »

« La bêche se réfère à la fonction primordiale de l’homme, faire fructifier la terre. ¶ Cependant, l’usage de cet outil se verra remis en question à la fin du XXe siècle par de nouvelles connaissances du sol. En effet, les scientifiques ont peu à peu mis en évidence sa composante vivante et l’emploi du microscope a permis d’étudier les invertébrés et micro-organismes produisant l’humus, auparavant considéré comme une matière chimique inerte. En 1875, les travaux de Jean-Jacques Théodore Schloesing et Charles Achille Müntz sur la nitrification orientent dans cette direction les recherches d’un domaine en cours de constitution autonome, la pédologie[3], et l’agronomie connaît un virage biologique. Six ans plus tard, Darwin publie son dernier ouvrage, consacré au rôle des vers de terre dans la formation de la terre végétale, montrant qu’ils n’ont pas un rôle nuisible, comme on le pensait antérieurement, mais bien essentiel[4]. Cependant, l’essor de l’agrochimie et de la mécanisation conduit à oublier le rôle positif de l’humus sur la fertilité ; l’emploi des engrais de synthèse se généralise après la Seconde Guerre mondiale. Le développement d’une écologie des sols aboutit à la prise de conscience, un siècle plus tard, de la nécessité de ne pas bouleverser l’équilibre fragile de ces milieux vivants[5], et donc de procéder à d’autres pratiques de préparation et d’entretien du terrain. C’est ainsi qu’André Grelin fait breveter en 1963 un nouvel outil, la grelinette, qui permet d’ameublir et d’aérer la terre, pour faciliter le développement racinaire des plantes, sans la retourner, contrairement à la bêche, afin de ne pas renverser la distribution entre micro-organismes aérobies, ayant besoin d’oxygène et se situant en surface, et les anaérobies, ne pouvant vivre qu’à l’abri de l’air et proliférant dans les couches inférieures. Apparue dans les années 1950 aux États-Unis, la technique du paillage (ou mulch) consiste à recouvrir le sol de matériaux organiques ou minéraux, pour ne pas laisser la terre à nu comme dans les environnements naturels. Aujourd’hui, tandis que certains, tels Claude et Lydia Bourguignon en France, militent pour une agriculture enfin respectueuse des sols épuisés par la surproduction[6], les manuels se multiplient pour exposer les meilleures manières de soigner ceux des jardins[7]. »

________________________________________
[1] Čapek, L’Année du jardinier, op. cit., p. 114-115.
[2] Robert Harrison, Jardins. Réflexions sur la condition humaine, trad. Florence Naugrette, Paris, Le Pommier, 2007, p. 47.
[3] Voir Boulaine, Histoire des pédologues, op. cit., p. 88 sq.
[4] Voir Charles Darwin, Rôle des vers de terre dans la formation de la terre végétale (1881), trad. M. Levêque, Paris, C. Reinwald, 1882.
[5] Sur l’état actuel des connaissances, voir Jean-Michel Gobat, Michel Aragno et Willy Matthey, Le Sol vivant. Bases de pédologie. Biologie des sols (1998), Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2003.
[6] Voir Claude Bourguignon, Le Sol, la terre et les champs (1989), Paris, Sang de la terre, 2002. Parmi la bibliographie de plus en plus importante sur le sujet, voir aussi Frédéric Dhenez, Cessons de ruiner nos sols ! Paris, Flammarion, 2014.
[7] Voir par exemple Rémy Bachet et Blaise Leclerc, Une bonne terre pour un beau jardin : paillage, engrais vert, grelinette, Mens, Terre vivante, 2009.
                                                       

In : Laurent Le Bon (dir.), Jardins, cat. exp., Paris, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2017.

Humus et compost
Maurice Leperchey, yvetotais

Le compost parfait et idéal de Maurice Leperchey
 
Il doit la réussite de son produit final (BIOTERO) à un subtil mélange de fumier de cheval d'un club hippique à Mont-Saint-Aignan avec des brisures d'écorce de pin sylvestre ou pin maritime (pin des Landes) ce qui explique le port du béret basque pour ceux qui l'ont bien connu.
Récupérant le fumier de cheval, Maurice Leperchey le préférait au fumier de vaches (fumier froid) soignées aux antibiotiques et porteuses de familles de bactéries. Il aimait dire " C'est Pasteur qui m’a aidé à découvrir l'intérêt du fumier de cheval ». Il avait fait le constat que les bactéries cassaient les molécules nécessaires à la vie des plantes. Il disait encore que "si le sol est fécond, avec un bon équilibre carbone-azote, les plantes finissent par s'immuniser contre les maladies et n'ont pas de pucerons".
Le secret d’un bon compostage de ces éléments transformés en plusieurs étapes jusqu'au « produit » prêt à l'emploi, résidait à répartir en tas linéaires de deux mètres de largeur, sur un mètre cinquante de hauteur, de manière à favoriser une bonne fermentation.
La réussite tint à l'idée d'aérer et de brasser ces tas mis en andains pour faciliter le compostage.
Effectivement, il fallait de l’oxygène (principe du compostage en aérobie) et de l'humidité, il fallait remuer les petits tas contrairement à d’autres procédés de fermentation anaérobie des résidus. Les andains étaient remués et aérés par soulèvement à l’aide d’engins de levage. En cas de sécheresse, l’arrosage des andains étaient nécessaire afin de maintenir l'humidité propice à la mise en température.
L'objectif de ce processus était la recherche d’une bonne « combustion » pouvant atteindre presque quatre-vingt degrés afin d’éliminer, parasites, bactéries. Pour ce faire, les tas étaient soulevés, aérés, humidifiés si besoin, régulièrement jusqu'à la phase finale du broyage. Cette ultime étape permettait d'affiner le produit final avant un passage éventuel au crible.
Le produit fini, le compost était friable, il avait une couleur brunâtre et dégageait la seule odeur subtile d'humus de sous-bois.
De 1973 à 1989, ses différents composts étaient destinés aux pelouses d’exception, aux greens des golfs d’Octeville, de Belgique, d’Erquy jusqu’à ceux de la Riviera comme celui de Cannes. Clients fidèles. Ces apports de qualité permettaient aussi de les employer pour couvrir le sol, après carottage de terrain de sport.
Si l’activité des greens fut un succès, celle-ci gagna en diffusion par la qualité remarquable du produit.
Le produit BIOTERO est une fumure biologique à l’ancienne, fruit d’une longue phase d’expérimentation menée par l’homme au béret basque. Il fut soutenu par sa seconde épouse Anne-Marie et efficacement ensuite par sa fille Martine et plus tard par son gendre Daniel. Son concept fut récompensé à plusieurs reprises. Entre autres, l’entreprise a reçu en 2001 l’ECO-Trophée pour son avancée dans le cadre du « développement durable » lancé par le Parc des Boucles de la Seine Normande. La société BIOTERO reçu la somme de 15000 francs. 
La reconnaissance enfin !
BIOTERO devint une marque déposée mais Maurice, le « rebelle » n’a jamais voulu déposer un brevet.
La fumure biologique à base de fumier de cheval était appréciée par les jardiniers de la Ville de Paris et utilisée dans les espaces verts de plusieurs arrondissements de la capitale, entre-autre, aux pieds des rosiers des jardins de Bagatelle, des arbustes du square Georges Brassens ou de l’hôpital Henri Mondor comme dans le superbe jardin de la Fondation Claude Monet à Giverny.
A la fin de sa vie, Maurice Leperchey encore valide, n’aura de cesse d’améliorer la « grelinette » avec l’accord de son inventeur Mr Grelin. La « fourche à bêcher » qui sert à aérer la terre de son jardin sans la retourner. Retourner la terre, pour Maurice était une grave erreur. Il utilisait la « houe maraichère » pour désherber et préparer la terre avant de la cultiver.
Sa devise fut de prôner l’écologie, dispensant souvent à bon nombre de clients, des conseils judicieux pour rester en bonne santé, en se nourrissant sainement à partir de ce que la nature nous offre, sans arrière-pensée démagogique ou politique comme le décrit l’article paru dans GMD information en 1982.
Au fil de sa production il incorpora des compléments naturels aux matières premières, bases de ses composts, comme des algues marines, des déchets végétaux, du sable, de la terre de bruyère, des écorces de pin, de la corne broyée, des minéraux, pour obtenir des fumures équilibrées de qualité supérieure, but atteint dès 1989, après vingt-cinq années d’effort et de ténacité.
Je crois qu’il est certain que ses idées lui survivront ce qui est avéré à l’instar de l’Hora de Pierre Rabhi, ardéchois d’adoption, né en 1938 en Algérie, essayiste, romancier, agriculteur et fondateur du mouvement Colibris (agro écologie).
En 2003, Le rouennais pure souche s’est éteint à l’âge de 96 ans.
Extrait de l’article biographique que j'ai rédigé avec les membres de sa famille en 2020
Maurice Leperchey 1907-2003, un Yvetotais défenseur précurseur de l'écologie.
 
  


 
Dans la fin de sa vie, encore valide il améliora la « grelinette » qui sert à aérer la terre de son jardin sans bêcher. Il utilisait un autre engin à roue pour désherber naturellement.
Crédit photo M. & D. Bazire

Humus et compost
Maurice Leperchey, yvetotais

Un artisan de l’humus[1]
Maurice Leperchey
Par-dessus la haie
 
« En plein cœur du pays de Caux, à Yvetot (Seine-Maritime), c’est un jardinier pas comme les autres que nous avons rencontré.
De l’école d’Horticulture de Versailles à son métier actuel de fabricant d’amendements organiques, l’itinéraire de Maurice Leperchey a été celui d’un amoureux de la terre. Il a consacré toute sa vie au jardin – le sien et celui des autres.
« Jardinier et producteur d’humus », voilà quelle pourrait être sa carte de visite.
Quand on arrive chez lui, il est impossible de se tromper : les immenses tas de terreau et de fumier se voient de loin, derrière la haie d’ifs proprement taillés. 
A soixante-douze ans, Maurice Leperchey ne pense pas encore à la retraite. Pourquoi abandonnerait-il ce chantier artisanal où, visiblement, il est à l’aise comme un poisson dans l’eau ?
M. Leperchey : j’ai fait à peu près tous les métiers touchant à l’horticulture avant de trouver ma véritable vocation : la transformation des déchets organiques en humus. Vocation tardive, car c’est à soixante ans que j’ai cessé mon activité d’entrepreneur de jardins pour me consacrer au compostage !
Les Quatre saisons : Vous êtes en quelque sorte un « récupérateur » de matière organique ?
M.L : Il faut croire que l’endroit était prédestiné, car mes deux voisins sont eux aussi des récupérateurs, dans la ferraille et le chiffon.
Moi, ce qui m’intéresse, c’est tout ce qui est organique et qui finit habituellement dans les décharges ou dans les chaudières : écorces, son de moutarde, déchets de lin, de papeterie, etc. Je traite aussi de grandes quantités de fumier, de la tourbe et même des boues de lavage de betteraves. 
Mon travail consiste à broyer tout cela, à faire de savants mélanges, et à aider la nature à fabriquer un produit utilisable par l’horticulteur et le jardinier.
L.Q.S. : Quels sont les mélanges qui font du bon terreau ?
M.L. : Je fais surtout des mélanges fumier + écorce de pin sylvestre et fumier (de cheval) + son de moutarde.
L.Q.S. : La moutarde n’est-elle pas un peu trop …forte pour les plantes ?
M.L. : J’ai essayé d’en répandre directement de l’herbe.  Le résultat a été excellent. De toute façon, lors du compostage qui dure plusieurs semaines, les substances irritantes du son de moutarde disparaissent.
L.Q.S. : N’y a -t-il pas des risques de pollution lorsque vous utilisez des sous-produits de l’industrie ?
M.L. : Effectivement, j’ai eu un « coup dur » il y a quelques années avec des matériaux issus de l’industrie du lin. Il y avait trop de bore dedans, ce qui a provoqué des « brûlures » de la végétation. Depuis, j’ai appris à être prudent !
 L.Q.S. : Quel est le secret d’un bon compostage ?
M.L. : Il faut tout d’abord choisir une matière première de composition bien équilibrée. Le broyage est très important pour rendre le produit homogène.
Ensuite, il faut faire attention à l’humidité. Dans nos régions où il pleut souvent, les tas sont fréquemment gorgés d’eau et la fermentation a du mal à démarrer. Si tout se passe bien, la température dépasse les 50°C., preuve que les micro-organismes sont actifs. J’incorpore de la chaux, de la magnésie ou des phosphates naturels à mes matériaux de base. Cela neutralise un éventuel excès d’acidité.
L.Q.S. : Et votre jardin ?
M.L. : Vous vous doutez bien qu’il est le premier servi en compost. D’ailleurs, voyez les résidus d’écorce qui couvrent le sol.
Une chose est certaine : les plantes sensibles aux pucerons, comme les artichauds, les capucines, les rosiers, ne subissent jamais une attaque chez moi. Je pense que le compost aide au sol à trouver son équilibre ; la plante est mieux nourrie donc elle résiste mieux.
Le seul problème grave que j’ai, c’est le ver de la carotte. Je vais essayer un produit naturel dérivé de la résine de pin. 
J’ai essayé de cultiver des légumes directement dans le compost. Bien sûr, ce n’est pas à la portée de tous les jardiniers, mais j’ai pu constater que pendant au moins deux ans il est inutile d’apporter un engrais complémentaire.
Le tour du propriétaire étant terminé, j’accompagne Maurice Leperchey à l’intérieur de sa petite maison. En entrant, je remarque de curieux bacs pleins d’eau.
M.L. : Non, ce ne sont pas des aquariums ! ce sont mes radiateurs à moi. Ils pompent la chaleur dans le circuit d’eau qui circule sous les tas de compost. C’st économique, car la seule dépense – faible – provient de la consommation des pompes électriques. C’est une variante du chauffage « à eau froide » qu’on appelle aussi pompe à chaleur.
Ecologiste tranquille mais efficace. C’est l’impression que donne Maurice Leperchey. A une époque où l’on parle de « biomasse », de « pétrole vert », de valorisation des déchets agricoles, il est rassurant de voir quelqu’un qui depuis ans quinze est passé à la pratique. Encore trop rares sont ceux dont la mission est de remettre sur la bonne voie certains déchets organiques qui autrement seraient perdus – voire même polluants. Cette bonne voie, c’est celle du retour au sol après transformation en humus.
  
________________________________________
[1] In : revue « les quatre saisons » du jardinage. Bimestriel n°1, mars-avril 1980, Editions Terre Vivante, Paris, p.51 et p. 63.

 

 

 
Crédit photo M. & D. Bazire

 

Denis Langlois, 


 "Le jardin biologique du manoir du Fay, Yvetot"
  Humus, compost


       
Le manoir du Fay et son jardin biologique, Denis Langlois, Robert Tougard, autoédition A.N.E.T.H., Manoir du Fay à Yvetot, fin des années 1990.
les premiers instants de la vie de la renaissance du jardin clos pour devenir un jardin biologique avec l'A.N.E.T.H. au début des années 1990 ( archives de Denis Langlois)
 


  
Le jardin biologique pris en 1996 par Pascal Levaillant

 


 
Le succès de la production végétale dépend de la présence d’un sol vivant. En effet, un sol fertile est peuplé de milliards d’êtres vivants : bactéries, champignons, algues, lichens, acariens, mille-pattes, vers de terre et d’innombrables autres êtres vivants.
Tous remplissent une fonction précise dans le cycle de la nature. 
Les êtres vivants dans le sol remplissent encore une importante fonction de stockage ; ils empêchent le lessivage des éléments nutritifs excédentaires libérés par la dégradation de la matière organique et l’altération des roches, en les emmagasinant dans leur corps jusqu’à leur mort et leur propre décomposition. Leurs besoins sont donc étroitement liés à ceux de la végétation, c’est un perpétuel échange. Plus ils sont prospères : plus grande est la réserve d’éléments nutritifs à la disposition des plantes et plus fertile est le sol.
On trouve parmi les plus gros habitants du sol : 
Les lombrics ou vers de terre, ils digèrent les végétaux morts de la terre, ils aèrent également le sol grâce à leurs galeries. Toutes les espèces de vers de terre exigent un sol régulièrement humide et beaucoup de matière organique. Les engrais chimiques, facilement solubles leur nuisent et les chassent. Utilisez donc un bon compost, compost signifie engrais composé et désigne un fertilisant à base de fumier, feuille, paille, résidus de récolte, tonte de gazon, déchets de cuisine et d’autres matières organiques déchiquetées, mélangées et mises en tas.
Le compostage n’est au fond rien d’autre qu’un élevage de micro-organismes qui trouve dans le compost des conditions idéales de chaleur, humidité et alimentation pour une multiplication rapide.
Pour bien réussir son compost les bactéries ont absolument besoin de matières organiques riches en azote pour se multiplier et échauffer le compost à 60° C minimum.
Le fumier convient très bien à cet usage et devrait entrer pour environ un cinquième dans la composition du tas. Ce tas doit avoir un certain volume pour bien composter, au minimum 1 m2 à la base sur 1 m de hauteur environ. Vous pourrez ajouter l’activateur de compost biologique qui permet d’améliorer et d’accélérer efficacement le processus de maturation du substrat. Le produit naturel est à la base de micro-organismes spécifiques à bactéries, levures et enzymes. Il existe un autre moyen d’apporter au sol de la matière organique, c’est l’engrais vert. Il consiste à semer sur une surface hors culture une espèce produisant beaucoup de racines. Dès qu’on a de nouveau besoin du terrain, on coupe cette végétation.          
Les racines restent au sol, se décomposent et nourrissent les bactéries puis les plantes. 
Si votre sol est pauvre en azote la vesce (légumineuse) l’enrichira naturellement en fixant l’azote de l’atmosphère.
Votre terrain est en friche avec beaucoup de chiendent : semez du sarrasin.
Vous désirez protéger votre sol des rigueurs de l’hiver : semez en octobre de la moutarde, vous n’aurez pas à vous soucier du broyage car les basses températures des mois d’hiver feront le travail à votre place, il vous suffira de travailler votre terre au mois de mars.
La moutarde blanche est appelée ainsi à cause de la couleur de ses graines, cependant ses fleurs sont jaunes d’or. Semée au début de l’automne, elle protégera votre planche des rigueurs de l’hiver et facilitera l’aération du sol au printemps. Dose du semis : 20 grammes pour 10 m2.
La vesce produit beaucoup de matières organiques, elle fixe l’azote de l’air qu’elle restitue au sol après l’enfouissement. Elle aime les sols lourds et permet d’améliorer sensiblement leur structure, les rendant ainsi plus faciles à travailler. Dose semis : 100 grammes pour 10 m2.
Le sarrasin est idéal en terre pauvre et acide, sur des planches qui restent inoccupées pendant tout l’été. Il permet de nettoyer le sol après défrichement en étouffant les plantes indésirables. Très mellifères, cet engrais vert favorise aussi la présence de nombreux insectes utiles au jardin. Dose de semis : 70 grammes pour 10 m2.
On complètera avec des amendements naturels. On en trouve toute une série convenant à la culture biologique. Ils contiennent des composés organiques ou minéraux peu solubles :
•    Le guano[2] du Pérou, engrais complet 100% naturel, récolté sur les rivages des côtes péruviennes. Il est très riche en éléments fertilisants moyens à action rapide.
•    La corne broyée[3], engrais avec un effet fertilisant beaucoup plus prolongé dans le temps.
•    La corne torréfiée[4], engrais azoté naturel. Son action est progressive et durable, sans risque de brûlure pour les racines.
•    Le basalte[5], exceptionnellement riche en magnésium, très riche en oligo-éléments et en silice, le basalte facilite l’absorption par les plantes des éléments nutritifs présents dans le sol.
•    Le lithothamnium[6] est un produit naturellement riche en calcium, magnésium et autres oligo-éléments. Il rétablit les équilibres biologiques, chimiques et physiques du sol en augmentant l’activité microbienne. Il renferme la résistance des plantes aux maladies.
En été, à l’époque de la plus forte croissance, les jus d’herbes rendent de bons services. On fait macérer dans un récipient rempli d’eau un sac plein d’herbes fertilisantes jusqu’à ce qu’on obtienne un jus brunâtre. Avant on le dilue pour lui donner la couleur d’un thé.
•    Le jus d’ortie produit un précieux engrais foliaire, évite les pucerons, évite le mildiou.
•    La grande consoude fournit aussi un excellent engrais ainsi que la camomille. Pour neutralise l’odeur nauséabonde, ajouter de la poudre d’os[7] ou de roche.
 
On peut se faire une idée sur la nature d’un sol par sa flore, voici quelques exemples :
Laiteron : terre fraîche et argilo-calcaire
Coquelicot, trèfle blanc, moutarde : sol à tendance calcaire
Plantain, prêle : terre lourde, acide et humide
Bouton d’or, liseron, oseille sauvage, pâquerette : terre lourde, acide et souvent humide
Ravenelle : terre légère, manquant de phosphore assimilable
Chiendent : terre légère et siliceuse
Chardon : terre calcaire
Ortie : terre humifère
La terre neutre, ayant un pH égal à 7, convient à la plupart des plantes potagères, mais un sol ayant un pH compris entre 6,5 et 7 (légèrement acide et neutre) se prête aussi à leur culture. Pour corriger le pH d’une terre trop acide il est conseillé d’y faire des apports de lithothamme ; lorsqu’elle est calcaire (pH basique) par des apports réguliers de compost, de poudre de roches.
[2] Guano - In : Engrais coup de fouet. Engrais organique complet en provenance des Mers du Sud (oiseaux de mer). Utilisable en Agriculture Biologique. En savoir plus Référence : CPJA1259 EAN : 3252640012593 – https://agrifournitures.fr/engrais-bio-universels-jardin/9610-guano-marin-800g.html
[3] Corne broyée – In : https://fr.jardins-animes.com/corne-broyee-25kg                                         
[4] Corne torréfiée – in : https://www.planete-agrobio.com/produit/engrais-bio-corne-torrefiee-850g/
[5] Basalte – in : https://www.fermedesaintemarthe.com/basalte-volcanique-p-22219
[6] Lithothamnium - In : https://www.oogarden.com/prod-45583-lithothamne-algues-marines-800g.html
[7] Poudre d’os – in : https://www.graines-baumaux.fr/284016-poudre-d-os.html
 
Extrait  "les vers de terre", article de la Revue les quatre saisons n°3, juillet-août 1980

 

Bernard Boullard, 


« Vie intense et cachée du sol »
Essai de pédobiologie végétale, 1967
Collection la terre, Flammarion, Paris, 1967, p.7-21.
« Sous les pieds du promeneur, comme sous ceux du semeur, du vigneron, de l’arboriculteur, s’active là, jour et nuit, la foule laborieuse et grouillante des serviteurs microscopiques du monde entier. […].
Le sol dérive initialement de la roche qui en constitue la matrice. Cette partie est très stable. Mais s’il n’y avait que les phénomènes physicochimiques du monde inanimé cela ne conduirait pas loin. Fort heureusement des forces biologiques interviennent : aux matériaux inertes s’ajoutent des débris organiques, des glucides, des lipides, des protides, une foule de substances. Champignons, Bactéries, Algues, Lichens, Mousses etc., colonisent hardiment et élaborent ou dégradent. […]. »
A la surface du sol : la litière puis l’humus
« Pour beaucoup la litière n’a la valeur que d’un manteau triste et annonciateur des jours sombres et froids de l’hiver, manteau que le vent soulève et roule, tel un gigantesque mais invisible balai. Cette litière, sous-estimée par beaucoup, n’en retient pas moins l’attention de certains : collectée au râteau elle vient apporter son aide au jardinier préparant ses couches, éliminée ailleurs à la faveur des opérations d’étrépage elle libère le sol pour le culture ultérieure, réétalée à l’étable il lui arrive de reprendre du service sous les animaux. Mais c’est réellement le biologiste qui accorde leurs lettres de noblesse à ces « reliquats de frondaisons printanières et estivales ». Il y voit là le prodigieux travail de la dégradation s’amorcer et se poursuivre quelques centimètres plus bas. En effet, de la litière aux matériaux pratiquement encore intacts, on passe vers une zone où la « fermentation » active conduit au démantèlement complet, à la matière humifiée. Ces Quelques centimètres – à quelques décimètres – superficiels, reçoivent des pédologues la désignation d’horizon A0. La litière de feuilles mortes masque donc l’humus, ce « produit de la matière vivante et sa source » (cf Thaer et Waksman, 1936). Cette tache exaltante des ternes résidus se poursuit aussi bien dans l’intimité des pâtures, des marais, qu’au sein des forêts mystérieuses. Mais il est certain que, c’est là, sous la voûte de feuillage, que sa présence se manifeste avec le plus de générosité. Cette générosité n’avait pas échappé à E. Herriot (1925). A l’issue de sa description des strates végétales de la « Forêt Normande », n’écrivait-il pas : « Plus bas encore la forêt qui nous parait morte vit et travaille sous l’amoncellement des aiguilles et des fruits, des brindilles et des lambeaux d’écorce. C’est le vêtement, l’épiderme délicat et sensible qui protège le sol lui-même contre les excès de la chaleur ou du froid, amortit le choc de la pluie, retient les éléments nourrissants de l’air, abrite ce qu’il faut de vie animale pour ameublir cette terre où ne vient pas le laboureur. Ces feuilles que vous croyez inanimées travaillent pour l’arbre dont elles se sont séparées. Pa elles, par leur labeur mystérieux mais continu s’achève ce rythme qui fait de la forêt une harmonie, depuis les profondeurs du sol jusqu’à la cime de l’arbre le plus dominant. De haut en bas, de bas en haut, la vie monte et descend… »
Nous pourrions rapprocher de ces propos-là très juste sentence de Pochon et de Barjac (1958, p.21) : « La matière organique forme la différence essentielle qui sépare un sol productif proprement dit d’une simple masse de débris rocheux. »
La litière doit surtout son existence à la chute saisonnière des feuilles et des menus rameaux, en forêt, à la décomposition des pailles, chez les Céréales. Un bois de chêne peut supporter en plein été 10 tonnes de litière par hectare. L’apport automnal élève bientôt cette valeur de 3.5 tonnes environ. Mais les infatigables et discrets microorganismes entreprennent, de février en août, la destruction d’une partie de ce manteau déchiqueté et ramènent les 13,5 tonnes de la litière hivernale aux 10 tonnes de la litière estivale. Cet exemple, déjà nous incite à penser que la litière d’un sous-bois est quelque chose d’éminemment mouvant, qu’elle s’épaissit et se minimise, comme si le vent d’automne gonflait ce tapis moribond que les promeneurs printaniers plaqueraient à nouveau sur le sol. Ce « mécanisme compensateur » attribué aux germes dégradateurs de la litière se produit sous tous les climats, dans tous les bois, feuillus comme résineux, mais sa vitesse est variable. Ainsi la litière de résineux dure beaucoup plus longtemps que celle de feuillus. […] C’est à son caractère acide, aéré, riche en Champignons et, corrélativement, plus pauvre en Bactéries, que ce milieu doit la lenteur de sa dégradation. Par oppositions les litières qui se constituent sous les feuillus font figure de linceuls, épais souvent de quelques centimètres seulement. […]
Quittant un instant la forêt pour rejoindre les sols de Céréales nous devons remarquer que la décomposition des pailles (dont un aperçu de la décomposition moyenne […] est en général fort lente, freinée par la pauvreté du milieu en azote. […].
La vie dans la litière est extraordinairement intense. Selon Waksman un gramme de sol renfermerait 3 milliards de germes en surface, et 1,5 milliard à 10 cm de profondeur. […]
L’humus, matière organique complexe, résulte donc de la prodigieuse activité des microorganismes qui constituent la « microflore tellurique ». C’est grâce à eux que les constituants des Végétaux Supérieurs, ou plutôt de leurs cadavres, sont démantelés, simplifiés ou remodelés. 
Mille Bactéries peuvent participer à cette œuvre d’intérêt mondial aux côtés de centaines de Champignons (Aspergillus, Pénicillium, etc.) et, très certainement, d’Actinomycètes. Il s’agit là d’un travail gigantesque dont le chimisme intense « saute aux yeux » lorsque le tas de fumier « fume » dans la cour de la ferme, lorsque la couche du maraîcher ou le compost de l’horticulteur « chauffent ».
C’est une œuvre coopérative, que marquent de leur empreinte propre des groupements successifs de germes. […] Il serait malvenu de penser que l’opération de dégradation touche à son terme dans les plus brefs délais. C’est une oeuvre de longue haleine.  (…]  
La diversité des matériaux de départ, l’hétérogénéité du petit monde qui les prend en charge, tout contribue à justifier l’opinion de Pochon et de Barjac, des maîtres dès que l’on parle du Sol : « Il n’y a pas « un » humus, mais « des » humus » (1958, p. 521). »
 
  


Litière forestière, sapins de l'Aigle, épines et feuilles de chêne, Beaufai en Normandie, 2018.

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30 octobre 2024 3 30 /10 /octobre /2024 13:05

Avertissement

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Bonne lecture à tous

 

 

On connait l'histoire du cidre du pays d'Auge, du Cotentin mais pas celle du pays de Caux ! et pourtant elle recèle bien de pépites, des trésors tirés des archives, des évènements insolites autant qu'historiques : de la masure cauchoise jusqu'au château de Versailles.

 

570 ans nous contemplent.


Mon ambition  est de construire un récit m'appyuyant sur une architecture de recherches préexistantes qui m'ont paru pertinentes et éclairantes : en somme une véritable reconstitution de ce que fut l"avènement du cidre sur le plateau de Caux Pays et de ses vallées le rainurant,  pour en faire un cru unique, de terroir et de caractère.

Comme vous le savez, on n'invente rien. Il s'agit ici de prolonger et constituer un récit avec le maximum d'éléments éclairant l'histoire du  cidre du pays de Caux et de ceux qui le boivent.

On ne peut pas évoquer un cidre sans une histoire, sans la botanique qui au final fait lien entre la géologie, l'agriculture, le patrimoine naturel végétal, l'histoire des peuples, l'histoire de ce territoire administré par tant de tribus, de peuples envahisseurs, par tant de civilisations distinctes et pourtant le pays de Caux, aux limites au demeurant instables.  s'est construit sur ce passé riche d'expériences pour qu'un jour le pommier à cidre s'y installe durablement.

Comme vous l'imaginez une recherche prend du temps et vous oblige à vous détourner des évidences et des idées reçues, des fausses pistes, des impostures, des rivalités et des pommes de la discorde concernant l'origine du cidre.

Aussi,  afin que cette recherche  arrive à son  terme, j'ai  cherché inlassablement à trouver les facteurs, des indices, des évènements  qui ont conduit à développer l'activité du cidre en pays de Caux alors que le peuple cauchois buvait à ce moment principalement et presque exclusivement de la cervoise, sauf  le clergé et les abbayes et curés qui en buvaient déjà ainsi que du vin par ailleurs.

Quelques informations dont certaines sont publiées sans sources aucunes donnent un vague aperçu de ce chantier de cette entité cidricole cauchoise  mais peut-on se satisfaire   d'imprécisions ou de faits relatés non sourcés ?

 J'ai remarqué jadis que la tendance était de tirer la couverture à soi (Bretons, Basques, Italiens, Egyptiens... et Normands...).



Cette recherche a donc vocation de remettre le pommier au centre du verger et de rendre à César ce qui lui appartient ainsi que de citer avec les preuves,  les faits, les auteurs qui, sans eux, ne m'auraient pas permis d'entreprendre ce récit.


On va donc parler des celtes, des gaulois de la Gaule Belgica,  des défrichements, des Romains, des Saxons, des Germains, des Francs, des Mérovingiens, de Charlemagne, de Guillaume le Conquerant et fils, des Abbés et Abbesses, des Evêchés,  des curés,  des masures et cours cauchoises,  des cultivateurs fermiers, des bergers des masures et cours cauchoises,  des bâtisseurs, des cidriers, des savants, des  bastardiers, des pépiniers, des arboriculteurs, des fruiticulteurs, des pomologues, des chimistes, des buveurs de cidre, des ecrivain(e)s :  Flaubert, Rabelais, Ernaux et bien sûr des botanistes et des archéo-botanistes sans qui cette histoire n'aurait pas de commencement.

Ainsi au milieu du deuxième millénaire le pays de Caux devint progressivement un terroir de production du cidre aux côtés du pays de Bray.

Mais les effets  répétés et répliqués de la greffe ont précipité divers chaos au verger et principalement au sortir de la Révolution française en dépit de toute la science qui a commencé à être véhiculée  depuis Le Paulmier. De sorte qu'il a fallu aux maîtres pépiniers de la Seine-Inférieure, deux siècles plus tard,  de relever les manches sur les encouragements des sociétés d'Horticulture, d'Agriculture, de Pomologie et de Botanique  de Paris, car c'est de la Seine-Inférieure que l'identification des problèmes  est apparue et on le doit au Maitre des pépiniers de la Seine-Inférieure : M. Prévost qui avant 1811 avait découvert les maladies et le chaos à venir dans les vergers de fruits à pressoir.

L'ennemi du verger et du cidre à ce titre est : le vent, la tempête, la maladie, trop de greffage répété, l'homme, l'animal qui blesse l'arbre, le manque d'entretien au pied  de l'arbre, la guerre et sa conséquence le manque de bras, des politiques publiques qui oscillent entre plantation et abattage, la mauvaise réputation etc...

Au mitan du 19e siècle, M. Michelin, le Président de la Société  pomologique confia et délégua à Hauchecorne et à De Boutteville le soin d'organiser la régénérescence  des pommiers après qui l'ait été fait pour les pommes de table et les poires de table à Rouen au jardin des plantes qui deviendra pour cette section de recherche et d'amélioration des fruits,  le verger Boisbunel que tout le monde connait bien. 

Forts des premiers succès pour les fruits de table ce fut le tour au début des  années 1860 de démarrer l'opération pour les pommiers à cidre dont les maitres pépiniers, incubateurs, obtenteurs de variétés nouvelles à partir des meilleures variétés anciennes régénérèrent moult variétés d'élite et de collection qui firent ensuite le tour du monde des pays producteurs de cidre, je veux parler de P.M. Legrand, de F. Godard, de H et F Lacaille, des M. Dieppois, Audièvre, Varin, David du pays de Caux et de  Power du Roumois de Saint-Ouen-de-Thouberville : vous me direz  que vient faire le Roumois dans  cette affaire ? : cela tient au passé des savoirs-faire arboricoles de ce pays, de l'autre  côté  de " l'iau".

Environ le tiers des variétés de pommiers à cidre, aujourd'hui classées par l'Association Française de Pomologie ont été obtenues par ces habiles praticiens et artistes.


Pour ce succès il est dû à l'art du pépin qu'ont mené ces semeurs, pépiniers de Boisguillaume, Frichemesnil et d'Yvetot.

Pour la qualité du cidre et de sa fabrication on la doit à un autre yvetotais : Hauchecorne, pharmacien à Yvetot, son ouvrage fut pendant un siècle un des livres de chevet de tous les cidriers, semeurs, pépiniers et cultivateurs.

C'est à l'occasion d'une lecture d'une  thèse sur les pépiniers de la Seine-Inférieure que j'ai eu connaissance de ces artistes seinomarins.


Depuis la pomme à cidre  se porte plutôt mieux ici et ailleurs dans le monde cidricole tout comme en pays de Caux dont les producteurs de cidre  souhaitent et espèrent une AOP cidre du pays de Caux.

C'est sur ces bases que l'histoire du cidre du pays de Caux s'appuie, à partir d'un millier de lectures, d'articles, de documents d'archives nationales, régionales, départementales, locales qui avant d'être rassemblées, compilées  par mes soins dans un récit, étaient  véritablement éparpillées dans une quantité d'ouvrages, de bulletins de rapports divers.

Il fallait  que ce travail de recherche aboutisse et c'est pour cela que je vous le soumet dès  à present.

C'est ici que vous pourrez donc lire et consulter cette histoire du cidre du pays de Caux et de ceux qui le boivent.

Pascal Levaillant, artiste-auteur, plasticien et créateur d'herbiers contemporains dont celui du verger et des fruits de pressoir. Je suis membre de la Société Centrale d'Agriculture de la Seine-Maritime, adhérent de l'association Faire Vivre le Manoir du Fay, du verger conservatoire de Brémontier-Merval, du Verger du Vallon... En 2019, avec Marie-Thérèse Mériot  nous avons élaboré un socle de connaissances pour la réalisation de panneaux d'interprétation du paysage du manoir du Fay d'Yvetot, au niveau de la cour plantée  du pourpris de ce manoir sachant que le verger se trouvait jadis juste en face dans un closage aujourd'hui démantelé, rue des zigzags là où se trouve désormais un lotissement à côté  du nouveau cimetière,  c'est peut être là l'ironie de leur sort : "ci-gît" l'ancien verger du manoir du Fay.

La cour plantée  fut de 2000 a 2007 verger conservatoire mais a perdu son label depuis car un verger  conservatoire nécessite  la rigueur taille, conservation des doublons)  et des fonds pour don entretien dont la taille.

Vous trouverez sur le panneau  à l'entrée, nos deux noms ecrits (tout  en bas)

 

Pommes au rinçage avant mise au pressoir © Pascal Levaillant 2020

Gâteau de pommes © Pascal Levaillant 2020

« Toute l’année quand on était gosse, on buvait de la « boisson », qui finissait aigre à la fin de l’été, en attendant les prochaines barriques à remplir à l’automne. On allait remplir des jerricans d’eau potable à la source d’Héricourt sur la route de Grainville-la-Teinturière. Au début des années 1960, à cette époque l’eau potable n’était pas encore distribuée dans nos villages.

Arrivés à Yvetot en 1964, en novembre de la même année, les rasières arrivaient chargées sur la remorque du tracteur de mon cousin Bernard et puis la "presse" venait les brasser. Ça sentait le jus de pomme dans la rue Pierre Jean de Béranger à Yvetot. A Noël on buvait le cidre nouveau (le cidre de la soif) et le dimanche le « cid'qui toq » en cauchois : le cidre qui toque la tête, qui étourdi. Ce cidre brut avait une robe jaunâtre à orangée, de nature légère mais complexe, très peu sucré et très sec, légèrement acidulé en bouche avec une petite pointe d'amertume. 

Pour le cidre il fallait attendre un peu.  Mon père pesait le cidre. Il était mis en bouteille quand le jus était à maturité et suffisamment alcoolisé, c’était le moment de remplir les bouteilles. On nettoyait les bouteilles et on les rinçait avant la mise en bouteille. 200 à 300 bouteilles par an étaient ainsi bouchées avec des bouchons plastiques maintenus par un fil de fer afin d’éviter que le bouchon parte et que le « cid’ ». On les rangeait dans le  casier à bouteille  au sous-sol  à moitié enterré de la cave du pavillon à Yvetot.   »

Le pays de Caux, ses masures, ses cours, ses us et coutumes …  Pascal Levaillant, 2022

Carte  du pays de CAUX,  transmise par la D.R.E.A.L. (2025)

 

 

Autre avertissement

Cette histoire, sous cette forme, fera peut-être un jour l'objet d'une version éditée, d'un livre,  c'est pourquoi, en l'état, les contenus peuvent  encore évoluer ou être enrichis en fonction des découvertes, des lectures que je pourrais  annexer à tout moment.

En effet la "vérité" des sciences expérimentales est provisoire et peut à tout moment être dépassée jusqu'à ce qu'un nouveau fait la contredise ou la contraigne à  l'amendement.

 

 

 

A ma tante Thérèse qui m’a fait aimer les pommes,

à sa fille Monique et son gendre Bernard chez qui nous ramassions des rasières de pomme à cidre,

à ma mère qui faisait des bouloches[1] de poire de coq et des douillons de pommes,

à mon père qui faisait son cidre cauchois,

à M. Bonmartel ; à Michel Traversat et  à ses fils;   à  Annie Ernaux qui m’ont offert les clefs de l’histoire des pépiniers et de la pomme Bedan des Parts en 2020,

à Marie-Thérèse Mériot avec qui j’ai démarré cette recherche en 2019,

Aux Archives nationales, regionales, departementales, patrimoniales dont la S.C.A. 76,

à Roselyne avec qui je partage la passion des pommes de nos pays respectifs : le pays de Caux et le pays d’Auge.

 

 

Histoire du cidre du pays de Caux et de ceux qui le boivent

Récit de Pascal Levaillant, artiste auteur, botaniste et plasticien – 2019-2024

Membre adhérent de la Société Centrale d'Agriculture de la Seine-Maritime,

membre de l'Association Faire Vivre le Manoir du Fay à Yvetot, du Verger Conservatoire de Brémontier-Merval, du Verger du Vallon à Rouen

créateur d'herbiers contemporains dont celui du verger et des fruits de pressoir   

sous l'égide du Collectif Corblin-Levaillant 2022

Carte transmise par la D.R.E.A.L - 2025 

vis à vis de la limite des bassins versants, de la présence de masures, des  reliquats de vieux fossés talus 

voi cette carte éditée par mes soins 

Voici une des limites et contours du pays de Caux : en orange le plateau sommital, en blanc correspond les vallées littorale et Seine du pays de Caux, en noir la vallée de Seine d'un côté ; et à l'est la vallée de l'Andelle ; au nord-est la boutonnière de Bray : plateau et vallées ; d'après une carte éditée en noir et blanc, colorisée par mes soins, m’inspirant d’une des cartes éditées dans le BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ BOTANIQUE DU CENTRE-OUEST, NOUVELLE SÉRIE, TOME 20 -1989 1990, avec l’aimable autorisation de René Guéry,  éminent botaniste seinomarin membre de cette société.

On s'aperçoit partant  vers le nord des Authieux-Port-Saint-Ouen  vers Buchy, et glissant à l’ouest  vers Tôtes, Yerville, Yvetot, Fauville, Goderville, Sainte-Adresse en pointe de Caux on voit que la ligne de partage des eaux réunit ce plateau qui de cette ligne suit de part et  d'autres les vallées vers la Manche  - Etretat, Fécamp, Saint Valery-en-Caux, Veulettes, Veules les Roses, Saint-Aubin-sur-Mer,  Quiberville, Pourville et Dieppe -  et les autres vers la Seine : Gonfreville l'Orcher,  la Cerlangue, Triqueville, Villequier, Sainte-Marguerite-sur-Duclair, Hénouville, Bois-Guillaume, Bihorel.

 

Un "pays" est souvent borné par un fleuve, un trait de côte et dans le cas présent la Manche et la Seine alors si on suit la ligne bleue, elle correspond à la limite de partage des eaux :  du cap de la Hève  vers Buglise, Gonneville-la-Mallet et poursuivant vers Goderville-Yebleron  puis vers Fauville Yvetot - Yerville et Saint-Ouen-du-Breuil pour virer  vers Bosc-le-Hard, Roquemont  et suivre la ligne du partage des eaux  vers Pierreval - Morgny-la-Pommeraye, Servaville-Salmonville pour enfin rattraper Epreville, Fresne-le-Plan puis Mesnil-Raoul, Boos , la piste de l'aéropot de Boos pour rejoindre les hauteurs d'Ymare jusqu'au surplomb de la Seine au dessus d'Alizay-La Briquetterie.

 

 

Collection personnelle

« Le pays de Caux est le plus fertile que je connaisse . L'épaisseur de son humus, qui en quelques endroits cinq à six pieds de profondeur, les engrais que lui fournit le fond de marne sur lequel il est élevé [...] concourent à le couvrir de superbes végétaux.»

[Henri Bernardin de Saint-Pierre, 1775 ; Voyage en Normandie et Etudes de la nature 1825]

 

Un dicton populaire entendu dans le pays de Caux  dit : 

« Il est de dicton populaire, qu'en même temps qu'on donne à la terre un habit blanc, il faut aussi lui donner un habit noir.» [Annuaire des cinq départements de la Normandie, 1851]

 

D'Hautôt-Saint-Sulpice à Yvetot nous étions dans un environnement de pommiers.

Mon père Adrien en train de jardiner dans son potager de la rue P.J. de Béranger mitoyen au verger des voisins (rue Fief de Caux)

 

« Hautot St Sulpice, village du pays de Caux.

 

Il est mon village natal où j'ai vécu les sept premières années de ma vie...pour autant j'ai vu le jour à Rouen.
Mon père Adrien Levaillant est natif d'Hautot-Saint-Sulpice en 1922 au hameau du "Nouveau Monde" vers la route d'Anvéville, près de la mare de l'orme. Son grand-père Philogone a participé au chantier de plantation de la quadri-allée plantée de hêtres du château du Boscol à Héricourt-en-Caux en 1871.

Le pays de Caux, ses masures, ses cours, ses us et coutumes …  Pascal Levaillant, 2009

 

 

Définir les contours et les limites du pays de Caux reste complexe et le restera car ce territoire depuis tous les âges de la préhistoire à aujourdhui a connu une limite précise, voire chirurgicale d'une part par le trait de côte de la Manche, d'autre part par les coteaux et falaises surplombant la Seine,  large estuaire remontant notamment jusqu'à Rouen et à la rivière de l'Andelle, juste avant le barrage de Poses.

Mais ce pays  de Caux n'a jamais connu à l'est, et au nord-est une limite précise sinon plusieurs comme l'attestent les nombreuses publications.

Ainsi vous entendrez dire   et pourrez lire que certains  délimitent  le pays de Caux ne dépassant pas l'Austreberthe, par d'autres qu'il  s'étend au delà.

Le(s) pays de Caux

limites et contours

d’hier à aujourd’hui

 

Pour introduire ce chapitre, afin de rester le plus objectif ... je vous propose  une carte  inédite où vous visualiserez les différents tracés des contours du pays de Caux déjà connus, selon les auteurs, les experts, les publications, les administrations qui sont à prendre en considération vis à vis de l'histoire, des péoccupations des auteurs et des thématiques qu'ils éxplorent.

Car d'un côté on peut toujours discuter des limites du pays de Caux depuis les Calètes.

en effet les cartes n'ont connu leur dévelloppement  qu'à partir du 15e siècle  soit plus de 15 siècle après la Gaule romaine.

 

Le caux n' été dessiné qu'à ce moment-là et n'a cessé dévoluer comme l'indiquent les cartes
que vous découvrirez ci-après.
Vous constaterez que l'influence des institutons religieuses, judicaires ou militaires feront évoluer les contours du Caux et également sous la pression de l'évolution des territoires voisins comme la Picardie, le Vexin ou le Roumois.
cons conataterez qu'après la Révolution française le pays de Caux et le pays de Bray n'appraissent quasiment plus laissant aux cartographes le soin de delimiter les départements et ses arrondissement : changement de paradigme qui va durer près d'un siècle au niveau cartographique.
Il est probable que ce nouveau découpage a reveillé les défenseurs des anciens pays qui au cours du 20e siècle ont réaffirmé leurs singularités à tout point de vue.
Pour autant depuis le 17e siècle les paysages, les fossés et talus se sont vus démenteler les uns après les autres pour laisser place à des plaines toujours plus vastes pour y cultiver des cultures exigeantes. l'habitat s'en est trouvé modifié comme nous le verrons par la suite. 
 
Il existe un réel décalage entre le sentiment d'être cauchois, de le rester, de le faire vivre dans des paysages  vers les limites et contours orientaux. Les marches géographiques entre Bray et Caux  ont été remplacées par des marches symboliques où les zones urbaines ont contribué à ce que le Caux s'estompe dans ces zones péri-urbaines où les clos ont été un à un supprimés pour les remplacer par des zones commerciales, artisanales ou par des lotissements et des zones pavillonnaires.(Caux-Rouen) (Pointe de Caux-Le Havre-Montivilliers)
 


De l'autre, et c'est un autre sujet : une aire géographique délimitera  bientôt une aire du cidre du pays de Caux qui aura été choisie avec l'objectif de poursuivre  la rédaction du chahier des charges d'une démarche en vue de l'obtention d'une appellation AOP dont l'aire n'est pas encore définie, à ce jour après plus de vingt ans d'étude.

Calète, Caleti, Calètes : diverses cartes aux contours orientaux variables réalisées souvent entre le 16e siècle et le 18e siècle

Les contours et traits de côte variables traduisent les premières projections cartographiques,  de même pour le positionnement des Calètes vis à vis de leur voisinage. Sur toutes les cartes qui suivent (une douzaine),   sensées représenter le pays de Caux sur une carte, Le Bray brille pas son absence de représentation.

 

Galliae regni potentiss. nova descriptio / Ioanne Ioliveto auctore
Jolivet, Jean (15..-1553 ; cartographe). Cartographe - extrait

gallica.bnf.fr

 

[Europae tertia tabula continens Europam] : [Gaule] / [Ptolémée]
Mercator, Gerard (1512-1594). Cartographe  - extrait

 

gallica.bnf.fr

Galliae descriptio ex Julij Caesaris commentarijs / Liebaux sculp.
Liébaux, Jean-Baptiste (16..-17..? ; graveur). Graveur- extrait

gallica.bnf.fr

 

Gallia vetus, ad Iulii Caesaris commentaria / [Janssonius]
Van den Ende, Josua (1584?-1634).

gallica.bnf.fr

 

Notitia chorographica episcopatuum Galliae. In gratiam redi et spectabilis viri dni Cl. Robert, descriptionem episcopatuium Galliae molientis, tabulam hanc l. m. g. delincabat / P. Bertius... ; Joannes Picart incidit, Parisiis
Bertius, Pierre (1565-1629). - extrait

 

gallica.bnf.fr

 

Galliarum descriptio / ex Sansonum Tabulis editis et manuscriptis excerpta ; ope Animadversionum Domni Martini Bouquet Benedictini ; et Dissertationum Domini Leboeuf Autissiodor. Canonici, emendata ; ab AEgidio Roberto, ...
Robert de Vaugondy, Gilles (1688-1766). Cartographe 
- extrait

gallica.bnf.fr

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Galliae antiquae descriptio geographica / autore Nicolas Sanson Abbavillaeo ; Robert Cordier sculpsit
Sanson, Nicolas (1600-1667). Cartographe - extrait

gallica.bnf.fr

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Galliae Antiquae tabula geographica Populos, Civitates, pagos, Praefecturas, colonias et provincias Imperio Romano subjectas complectens. Ex Itinerariis Theodosiani, Antonini et Hyerosolimitani, Redacta. Auctore J. C. Dezauche. [ gravé par P.F. Tardieu]
Dezauche, Jean-Claude (1745-1829). Cartographe 
- extrait

gallica.bnf.fr

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Galliae antiquae descriptio geographica / autore N. Sanson d'Abbavilleio christianiss. Galliarum Regis geographo
Sanson, Nicolas (1600-1667). Cartographe

gallica.bnf.fr

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[Galliae typus cum iis quae a Strabone] / [Anville]
Anville, Jean-Baptiste d' (1697-1782). Cartographe - extrait

gallica.bnf.fr

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Gallia Vetus in Partes II, Regiones IV, Provincias XVII, et populos C. / autore N. Sanson d'Abbavilleio christianiss. Galliarum Regis geographo
Sanson, Nicolas (1600-1667). Cartographe - extrait 

gallica.bnf.fr

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Gallia vetus ex C. Julii Caesaris Commentariis descripta ; ou les Conquêtes de Jules César dans la Gaule Transalpine / Par N. Sanson - extrait

 

gallica.bnf.fr

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Gallia, Britannia, Germania, provinciae Danuvienses / Auctore H. Kiepert
Kiepert, Heinrich (1818-1899). - extrait

gallica.bnf.fr

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Au moment de St-Clair-sur Epte

 

www.universalis.fr

Mais avant que le 20e siècle tente de redessiner les Cartes, observons les fonds de carte Vidal Lablache que nous avons vu sur nos murs des écoles.

LISTE OFFICIELLE DES CARTES VIDAL LABLACHE :
Carte Vidal Lablache 1 Termes de Géographie
Carte Vidal Lablache 2 France Cours d’Eau
Carte Vidal Lablache 3 France Relief du sol
Carte Vidal Lablache 4 France Départements
Carte Vidal Lablache 6 France Canaux
Carte Vidal Lablache 8 France Agriculture et Industries
Carte Vidal Lablache 9 France Provinces
Carte Vidal Lablache 24 Paris et environs de Paris
Carte Vidal Lablache 39 France Géologie
Carte Vidal Lablache 60 France de l’Ouest
Carte Vidal Lablache 61 Bassin Parisien

 

«Si Vidal de La Blache, dans son Tableau de la géographie de la France, en 1903, base son analyse du territoire français sur les affinités que les milieux font naître dans les genres de vie, il attache une grande importance à la notion de pays, dont le nom exprime selon lui les particularités du sol et dont il prend soin de dresser la liste et les caractéristiques. Se conformant aux itinéraires des voyageurs, qui ont entrepris par cette région, dès le XVIIIe siècle, l’exploration de la Normandie, il accorde de ce point de vue une place particulière au pays de Caux, dont il estime qu’il n’est Normandie que pour l’histoire et la géographie politiques9. Le sol a un rôle actif dans la mise en place des cadres et des délimitations qui organisent la vie des hommes, qui obéissent ainsi à des influences qu’ils ne perçoivent pas toujours. Ainsi explique-t-il, à propos de Rouen :

Autour de ce centre urbain gravitaient d’anciens pays gaulois échelonnées sur les voies romaines se dirigeant vers l’ouest et le sud. L’existence de cadres anciens perpétuait des influences nées du sol et déjà consolidées par l’histoire. Il y avait comme une force enveloppante, dès qu’on s’écartait des côtes et des » La Balche, 1903 ; Guillet, 2013]

in : Impressionnisme : du plein air au territoire Sous la direction de Frédéric Cousinié : books.openedition.org

Des années 1880 à la fin des années 1960, plusieurs générations d’élèves ont ainsi appris à connaître la France et le monde grâce à ces cartes colorées imaginées par le géographe Paul Vidal-Lablache.

 

 

En 1899 sort cette thèse dont s'est emparé Vidal de la Blache.

On y parle de limites floues et extensibles dans l'histoire, du Cailly, de l'Andelle, de tiraillement entre les zones d'influence des Caleti comme des Véliocasses, d'agriculture et de pommiers dans les masures. Un état des lieux  en somme du pays de Caux à la fin du 19e siècle, 60 ans après le récit de L. Moll (1834-1835) et avant ceux de Delisle et de Sion.

 

 


LE PAYS DE CAUX ÉTUDE GÉOGRAPHIQUE, Thèse pour l'obtention du diplôme d'études supérieures de Géographie, soutenue en Sorbonne en 1899. Par M. GEORGES LECARPENTIER Licencié ès-Lettres, diplômé d'Études supérieures de Géographie
In : Bulletin de l'année 1905 / Société normande de géographie - www.rotomagus.fr

PRÉFACE Par M. VIDAL DE LA BLACHE, Professeur à la Sorbonne

« Ces pays représentent, et surtout représentaient autrefois, de petites autonomies locales. Ce que le peuple appelle de noms tels que Beauce. Brie, Limagne, Pays de Caux, etc., ce sont des contrées qui souvent n'ont jamais eu d'existence administrative ou politique : ils vivent toutefois dans le langage populaire. Ils répondent à des divisions sur lesquelles les savants se trompent quelquefois, mais pas les habitants.

Ils se maintiennent, sans avoir l'appui d'une consécration officielle, par la seule force de l'usage, et en dépit d'autres désignations concurremment employées.

Il faut, pour être ainsi doués de cette vitalité singulière, qu'ils expriment pour ceux qui les emploient quelque chose de vivant et de réel. C'est là ce qu'il est intéressant de chercher.

Le paysan ne se soucie ni de géologie ni d'histoire. Peu lui importe quel nom de peuple gaulois ou quel étage chronologique de roches distingue le pays dont il parle. C'est pour lui un centre social, si exigu qu'il paraisse. Être du même pays suppose, pour celui qui se sert de cette expression, une certaine affinité, quelque plaisir à se reconnaître. Le sentiment de ces affinités est entretenu par des signes sensibles : vêtement, coiffure des femmes, habitation, modes de culture et de nourriture ; ou tout au moins l'accent, les expressions du terroir, le patelin.

Ces traits, il est vrai, s'affaiblissent. Nous assistons aujourd'hui à leur atténuation graduelle. 
On lira donc, je pense, avec intérêt l'étude d'un Normand sur un pays de Normandie. Qu'il me soit permis, quant à moi, de féliciter la Société normande de Géographie du bon exemple qu'elle donne en encourageant de sa publicité ce genre d'enquête.

P. Vidal de la Blache. »


LE PAYS DE CAUX HISTORIQUE

« Il est très digne de remarque, écrivait Fustel de Coulanges, dans ses Origines de l'Ancienne France, que les vieux États gaulois ont conservé jusqu'à une époque très voisine de nous leurs noms, leurs limites et une sorte d'existence morale dans les souvenirs et les affections des hommes ».

Jusqu'à une époque très voisine de nous, c'est trop peu dire, car le souvenir des civitates gauloises a le plus souvent survécu jusqu'à nos jours même. Si certains de nos « pays » sont des unités géographiques, d'autres ne sont que la projection dans le temps de ces anciennes civitates, quelques-uns enfin réunissent ce double caractère. Le Pays de Caux figure parmi ces derniers.

Le premier écrivain qui fasse mention du Pays de Caux est César, qui parle à plusieurs reprises, dans son  histoire de la guerre des Gaules, des Caleti, de la civitas Caletorum mais sans en indiquer la situation géographique.

Suivant Strabon, les Calètes habitaient a près de l'embouchure de la Seine », et Ptolémée, plus précis, ajoute « sur la rive septentrionale de la Seine, avec Juliobona pour capitale ».

Quelles étaient les limites de leur civitas ?

Au sud, à l'ouest et au nord les limites fixées par la nature étaient la Seine et la mer. Mais sur terre, à l'est ? Les géographes anciens ne l'indiquent pas […] Dans un Mémoire sur la Carte Préhistorique de la Seine-Inférieure, M. de Vesly estime : « qu'il y a lieu de tracer la limite des Calètes et des Véliocasses par la vallée de la Sainte-Austreberthe, à   de laquelle se trouve l' ancien oppidum de Varengeville et de lui faire descendre la vallée de la Scie, en traversant le plateau près des mottes de Varneville, Bretteville, d'Heugleville, d'Auppegard et du camp de Varengeville-sur-Mer, qui défendait l'entrée de la vallée du côté de la Manche. Ce tracé est fort hypothétique […] ».
A propos des Véliocasses, on peut lire ceci : « Le territoire des Véliocasses suivait le cours inférieur de la Seine, au nord depuis le confluent avec l'Oise et s'étendait sur le plateau du Vexin actuel toujours sur la rive droite en deçà de Rouen jusqu'à une limite indéterminée à l'ouest de cette ville et qui faisait frontière avec les Calètes. » source Wilipédia.


Là encore  pas de limite précise entre les Caléti et les Véliocasses.

Dans ses Notes sur les forêts de la Seine-Inférieure, M. Samson émet sur les limites des civitates gauloises une théorie générale qui mène aux mêmes conclusions que l'archéologie, en ce qui concerne la limite orientale des Calètes :
« C'étaient, dit-il, les forêts qui servaient de limites entre les territoires des diverses civitates sans que pourtant ces frontières fussent délimitées avec la rigueur qu'on leur assignerait aujourd'hui, et, à dire vrai, ces espaces boisés intermédiaires, ces marches, représentaient ce que nous appellerions maintenant une zone neutre; suivant une coutume, commune à la Gaule et à la Germanie, elles restaient sans culture ».

Il existait une zone forestière de ce genre à peu près ininterrompue entre la Seine et la Manche; elle commençait au sud par la forêt dite actuellement de Roumare, se continuait par la forêt appelée, au moyen âge, forêt de Silveison, et se prolongeait jusqu'à la mer par la forêt d'Eawy. Cet immense rideau forestier était limité à l'ouest par la Sainte-Austreberthe et par la Scie, le long desquelles courait la ligne des oppida gauloises.

Ces conclusions se corroborent; l'on peut donc considérer comme limite orientale de la civitas calète : la Sainte-Austreberthe, la Scie et une ligne qui, passant par Varneville-Bretteville rejoignait les sources de ces deux rivières.

La civitas des Calètes ne subit aucune modification de frontières pendant les trois premiers siècles qui suivirent la conquête, mais Rothomagus devint le chef-lieu d'une province romaine et le nœud d'un important réseau de grandes voies rayonnant dans toutes les directions. Juliobona isolée dans sa position excentrique décrut d'autant que grandissait la capitale des Véliocasses ; elle fut incendiée et presque entièrement détruite, au 4e siècle, par des pirates saxons. La civitas calète, privée de sa capitale fut réunie à la civitas des Véliocasses et, dès lors, disparut pour toujours.

Deux cents ans plus tard, le nom de l'ancienne civitas réapparaît mais il est porté maintenant par un pagus franc, pagus Caletus, il devint plus tard celui d'un bailliage, Bailliage de Caux; mais de toutes les divisions administratives, civiles ou ecclésiastiques qui portèrent, au cours des siècles, le nom de l'ancienne civitas, aucune n'eut les même limites qu'elle.

Le pagus Caletus de l'époque mérovingienne, celui de l'époque capétienne, celui même de l'époque normande étaient moins étendus que l'ancienne cité ; quant aux divisions ecclésiastiques, aux archidiaconés du Grand et du Petit Caux, ils coïncidaient presque entièrement avec le pagus primitif.

Au contraire, le bailliage de Caux qui remplaça le pagus, dès 1204, s'agrandit rapidement aux dépens des pagi voisins et engloba des territoires qui n'avaient pas fait partie de la civitas.

Le pagus Caletus de la période franque ne comprenait primitivement que les parties occidentale et septentrionale de la civitas. D'ailleurs, au cours des sept siècles de son existence les limites du pagus Caletus ont fréquemment varié, il semble même qu'au 9e siècle ce pagus ait disparu pendant quelques années ; sa partie septentrionale aurait été absorbée par le pagus Talogensis et sa partie méridionale par le pagus Rodomensis. Sous les ducs de Normandie le pagus Caletus reprit son importance primitive.

Lorsque la Normandie fit retour à la couronne de France, en 1204, Philippe-Auguste s'empressa de la diviser en bailliages. Le bailliage de Caux eut d'abord les mêmes limites que le pagus Caletus de l'époque normande, mais bientôt s'y enclavèrent « d'autres bailliages royaux plus ou moins subordonnés au premier, tel que : le bailliage de Neufchâtel que l'on rencontre, en 1216 et en 1219 ; celui d'Aumale dont l'existence se révèle en 1238, et enfin celui d'Arques, signalé dès 1204 - HELLOT, Essai sur les baillis de Caux ». Ainsi entendu le bailliage de Caux englobait au nord-est, des territoires qui jamais n'avaient été compris dans la civitas Calète, mais par contre la partie sud-est de l'ancienne civitas restait en dehors du bailliage de Caux.

Ce sont pourtant les limites du bailliage que de nombreux géographes ont données comme étant celles du Pays de Caux. Toussaint-Duplessis a contribué plus que personne à accréditer cette erreur : « Entre la Brêle et l'embouchure de la Seine, écrit-il, étaient anciennement situés les peuples de la Gaule que César nomme Caleti. L'espace de terrain que ces peuples occupaient porte aujourd'hui le nom de Pays de Caux ». Et il joint à son ouvrage, comme carte du Pays de Caux, la carte du bailliage.
Vivien de Saint-Martin, dans son Dictionnaire Géographique, et Baudrillart, dans son ouvrage sur la France Agricole, ont reproduit en grande partie l'erreur de Toussaint- Duplessis. Le premier comprend dans le Pays de Caux les « trois arrondissements du Havre, d'Yvetot et de Dieppe ». Baudrillart, en plus de ces trois arrondissements, y comprend encore les cantons de Buchy, de Clères, de Maromme, de Duclair et de Pavilly, dans l'arrondissement de Rouen, et celui de Saint-Saëns dans l'arrondissement de Neufchâtel.

Les savants peuvent bien écrire que le Pays de Caux s'étend jusqu'à la Bresle et qu'il comprend tout le littoral de la Seine-Inférieure ; les paysans qui habitent en-deçà de la Cailly et de la Varenne, savent bien qu'au-delà de la forêt d'Eawy et de Dieppe il n'y a plus de Cauchois.

Dans le Pays de Caux, de Vivien de Saint-Martin et de Baudrillart, il y a, en réalité, considérées au point de vue moral, cinq régions différentes : D'abord la région comprise entre Dieppe et le Pays de Bray, à l'ouest et à l'est, la Brêle ; Passy, Baudrillart et Joanne l'appellent « le Petit Caux ».

Cette région différente du Pays de Caux géographiquement, comme nous le verrons plus loin, l'est aussi au point de vue ethnique. « C'est une terre plus picarde que normande », comme l'a très justement noté M. l'abbé Cochet. Les habitants n'ont ni le même parler ni les mêmes coutumes que les Cauchois. Lorsqu'ils parlent avec des paysans des cantons situés à l'ouest de Dieppe, ils leurs disent : « Vous autres Cauchois », ceux-ci leur répondent : « Vous autres Picards ».

Le pays compris entre la vallée de Bray et la limite occidentale de la forêt d'Eawy forme la seconde région. Les habitants ont la prononciation brève des Picards mais leur mentalité ressemble à celle des Cauchois ; néanmoins, ils ne se considèrent pas comme Cauchois.

La troisième région qui comprend le canton de Buchy, la partie orientale de celui de Clères jusqu'à la Cailly, le canton de Maromme et la partie du canton de Duclair située sur la rive gauche de la Sainte-Austreberthe, est, suivant l'expression même de ses habitants, a la région dans l'influence de la ville ». C'est le souvenir du pagus Rodomensis sur la rive droite de la Seine ; seule la partie de ce pagus, située sur la rive gauche, a conservé jusqu'à nos jours le nom de Roumois.

Entre la Varenne, la rivière de Cailly jusqu'à Montville, Barentin, la Sainte-Austreberthe et la Scie « on est et on n'est pas dans le Pays de Caux ». La prononciation des habitants y est moins traînante que celle des Cauchois du plateau.

Plusieurs localités de cette région, Saint-Victor, Montreuil, portent accolé à leur nom le suffixe en Caux; au XVIIIe siècle Longueville et Sierville (près de Clères) le portaient encore couramment.

Les habitants de cette région ont cependant raison de ne pas se considérer comme de « véritables Cauchois », car le pays entre la Varenne et la Scie est un essart de la grande forêt gauloise, des lambeaux forestiers échelonnés sur la crête qui domine la rive droite de la Scie en témoignent encore, et il ne faisait pas partie intégrante de la civitas calète.

Le Pays de Caux incontestable et incontesté ne commence qu'au-delà de la Scie et de la Sainte-Austreberthe. Sur tout le plateau, à l'ouest, on se dit Cauchois et on est fier de l'être, mais au pied du plateau, entre Duclair et Caudebec « les riverains » prétendent n'être point Cauchois, il en va de même à l'entrée de quelques vallées sur la Seine et sur la mer, à Bolbec, par exemple, ou à Fécamp. La population d'Yport est une population d'origine méridionale immigrée dans une « valleuse » du Pays de Caux à une époque indéterminée.

Voici donc le Pays de Caux délimité d'après le dire des habitants, mais la question se pose maintenant de savoir sur quel criterium ils se basent pour déclarer qu'un canton ou qu'une commune est ou n'est pas du Pays de Caux ? Sur quels caractères, en un mot, font-ils reposer son unité ?

Les Cauchois ont le sentiment très profond que l'unité du Pays de Caux repose sur la communauté d'origine de ses habitants, qu'elle a pour base une unité ethnique. La formule invariable de leurs réponses, lorsqu'on les interroge sur ce point, l'indique très nettement. Quel que soit la forme que vous donniez à votre question : « Jusqu'où s'étend le Pays de Caux ? —

Suis-je bien dans le Pays de Caux ? », etc. ; dans la réponse des habitants il sera question non du Pays de Caux, mais des Cauchois :  Oui, nous sommes Cauchois — ou bien : Non ce village n'est pas cauchois ». Pour eux le Pays de Caux est la région habitée par les Cauchois ; ils ne considèrent ni les Yportais, ni les habitants des vallées, jadis occupées par les envahisseurs normands, comme des Cauchois, pas plus d'ailleurs que ceux-ci ne se considèrent comme tels.

Les caractères du Cauchois sont difficiles à préciser. Le Cauchois se reconnaît à un ensemble de particularités qui le caractérisent, plutôt qu'à une particularité très déterminée. Ce qui le distingue le plus de l'habitant des régions voisines, c'est son langage et sa prononciation. Entre eux les Cauchois se reconnaissent « au patelin ».

Jusqu'en 1789 il a subsisté un monument vivant et caractéristique de l'unité morale des Cauchois, c'était leur droit spécial, la Coutume de Caux.

Antérieure à l'invasion normande, cette coutume fut supplantée par celle de Normandie, dans la vallée de la Seine, de la Sainte-Austreberthe et de Bolbec, mais elle s'était conservée sur le plateau.
N'est-ce pas la preuve indiscutable que les Cauchois ne sont pas des Normands mais bien les descendants de la tribu gauloise des Caleti ?


LE PAYS DE CAUX GÉOGRAPHIQUE

Le Pays de Caux n'est pas seulement une contrée historique il est aussi une région géographique, seulement, en tant qu'unité géographique, il s'étend vers l'est, plus loin que la civitas dont il tira son nom.

Le facteur prépondérant du Pays de Caux, envisagé au point de vue géographique, c'est sa situation péninsulaire. Cette situation le différencie des régions voisines, Vexin et Roumois, dont le rapprochent sa constitution géologique et son relief. C'est à sa position entre la Manche et la Basse- Seine qu'il doit un climat plus humide et plus doux, et une activité économique plus grande que ceux du Roumois et du Vexin.

Les limites du Pays de Caux, unité géographique, ne sont pas plus précises à l'est que celles de la contrée historique d'où lui vient son nom.

Le Pays de Caux est, grosso modo, la presqu'île triangulaire comprise entre le Havre, Dieppe et Rouen; ses caractères péninsulaires s'atténuent progressivement d'ouest en est, et l'on passe par une dégradation insensible du Pays de Caux proprement dit, qui s'arrête à la rive droite de la Cailly, au Vexin qui commence sur la rive gauche de l'Andelle.


GÉOGRAPHIE PHYSIQUE

Le Pays de Caux forme, au point de vue de la Géographie physique, un plateau presque complètement isolé.

Sur la Seine, sur la Manche, sur la vallée de Bray il se termine nettement « par une coupe perpendiculaire de la craie », c'est-à-dire par une falaise, mais au sud-est il se rattache au Vexin par une sorte d'isthme compris entre Rouen et le Pays de Bray.

Passy lui donnait pour limites, de ce côté, l'Andelle : c'est là une limite toute artificielle, car des deux côtés de cette rivière, on trouve même composition géologique et même relief. L'Andelle ne saurait donc pas plus former une limite, à ce double point de vue, que la Sainte-Austreberthe ou la rivière de Cailly.
 

En réalité, le Pays de Caux et le Vexin se confondent sans qu'on puisse tracer entre eux une limite franche ; mais pratiquement on peut admettre que le plateau cauchois se termine à l'Andelle.

Géologie.

Géologiquement le Pays de Caux forme l'extrémité nord-ouest de l'auréole crétacée du bassin de Paris. Il se compose d'un épais massif de sédiments crétacés reposant sur un soubassement jurassique et dominé par un revêtement d'argile à silex et de limon.

Ce limon, légèrement argileux, dit limon des plateaux « recouvre d'une manière uniforme toutes les parties hautes du Pays de Caux. Sa puissance très considérable aux environs d'Yerville, où elle atteint plusieurs mètres, diminue graduellement vers le nord et l'ouest, de telle sorte qu'aux environs de Saint-Valery il ne forme plus qu'une couche mince et discontinue au-dessus de l'argile à silex ».

Telle est la composition minéralogique du Pays de Caux; elle est identique à celle du Vexin, du Roumois et de la région comprise entre la vallée de Bray et la Bresle.

Ces contrées datent des mêmes époques géologiques, elles formaient jadis un seul bloc compact que des mouvements tectoniques ont ensuite divisé.

La pression latérale qui causa ces deux fractures détermina également, grosso modo et réserve faite du travail d'érosion, le relief du Pays de Caux.

Elle provoqua deux soulèvements, l'un à l'ouest, entre le Havre et la faille Fécamp-Lillebonne, l'autre à l'est, entre la falaise occidentale du Bray et les rivières de la Varenne et de la Crevon.
Sous la pression latérale qu'il subit, le Pays de Caux gondola […]
En somme il est résulté de ces divers phénomènes tectoniques et d'érosion un plateau légèrement ondulé, terminé presque partout par une haute falaise à pic et sillonné d'une vingtaine de vallées profondes et de nombreuses « valleuses » très courtes qui finissent en escarpement sur la falaise.

Il y a une inclinaison générale d'est en ouest, depuis la falaise qui domine le Bray, par 200 et même 240 mètres d'altitude, jusqu'aux falaises occidentales d'une hauteur de 100 mètres environ.

Perpendiculaire à cette première inclinaison, de chaque côté d'une ligne de faîte qui coupe le plateau d'ouest en est, du cap d'Antifer à Buchy, il existe une double pente vers la Manche au nord, vers la Seine au sud.[…] l'endroit le plus élevé du centre du Pays de Caux (206 mètres au nord d'Yerville) (65 mètres environ près de l'embouchure du Dun). 


CARTE CLIMAT  


Placé sur les bords de la Manche, le Pays de Caux doit à sa forme de presqu'île une accentuation de l'influence marine sur son climat. Considéré dans son ensemble, celui-ci possède les caractères principaux de tout climat marin : il est tempéré et humide.

La péninsule cauchoise va en s'amincissant d'est en ouest et s'élève d'ouest en est; il en résulte que la température sur la surface du plateau cauchois est d'autant moins constante que l'on s'avance vers l'est.

La majeure partie des vents qui soufflent sur le Pays de Caux, sont dus aux courants aériens qui arrivent dans la Manche, soit du sud-ouest, de l'ouest, du nord-ouest, par l'Atlantique; soit du nord et même du nord-est, par la mer du Nord. Venant de la mer ils sont toujours humides et très souvent pluvieux.

Cette diminution de la pluie d'ouest en est s'explique par la forme même de la péninsule cauchoise. Elle va s'amincissant d'est en ouest, or, c'est dans sa partie la plus étroite que l'abordent les vents les plus chargés de pluie (vents d'ouest, du sud-ouest et du nord-ouest), celle-ci reçoit donc de chacun de ces vents une quantité maxima de pluie.

Le plateau s'élargissant vers l'est, les vents du nord-ouest et ceux du sud-ouest ont chacun leur zone d'influence dominante et les pluies qu'ils apportent séparément ne s'additionnent plus; il en résulte une diminution de pluie d'ouest en est.

Le climat du Pays de Caux est, à tout prendre, un climat humide et, s'il ne pleut en moyenne que 150 jours par an, pendant 3oo jours environ les vents sont chargés d'humidité.

Hydrographie.

l'eau se dépose et forme des mares très évasées et peu profondes. En raison même de l'étendue de leur surface l'évaporation y est active et, aux époques de forte chaleur, ces mares sont souvent à sec. Pour recueillir et conserver les eaux de pluie, les habitants du plateau ont creusé des citerne s. Quant à creuser des puits on n'y pouvait songer ; les nappes d'eau souterraines in-
tarissables se trouvant en moyenne à 100 mètres de profondeur.

En résumé, au point de vue hydrographique, le Pays de Caux est divisé en deux régions bien distinctes le plateau avec, çà et là, quelques mares d'eau stagnante, souvent à sec en été les vallées arrosées par d'abondantes rivières qui tarissent très rarement.

GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE

Le Pays de Caux, envisagé au point de vue économique, a pour caractéristique que l'agriculture, l'industrie et le commerce s'y sont également et harmonieusement développés.

Agriculture.

Le Pays de Caux, par sa situation, par les qualités spéciales de son sol, par la nature de son climat, convient parfaitement à l'agriculture. Celle- ci se divise en deux grandes branches la culture et l'élevage
Par son relief et par sa composition géologique, le plateau cauchois est naturellement voué à la grande culture production des céréales, des plantes industrielles, des fourrages. La fertilité, toutefois, n'est pas égale sur tout le plateau, elle dépend de la qualité de la terre végétale, de l'humus qui n'est lui-même que le produit de la désagrégation superficielle de la roche sous-jacente.

Ces divers terrains sont de valeur très inégale pour l'agriculture, mais la limite n'est pas entre eux franchement marquée.
Suivant qu'elles sont de limon, d'argile ou de craie, les terres sont dites, dans le Pays de Caux bonnes, médiocres, mauvaises, et suivant leur qualité elles sont recouvertes de bois, d'ajoncs et d'herbes ou livrées à la culture.

Aux époques gauloise et romaine, et pendant une partie du moyen-âge, la majeure partie du plateau était couverte de forêts ; des chartes nombreuses et les noms mêmes de certaines localités en font foi. Le défrichement commença dès l'époque romaine et, les « essartements », dus pour la plupart aux moines, se poursuivirent durant tout le moyen-âge, de jour en
jour plus nombreux et plus étendus.

On ne respecta les forêts que là où la pente et la nature du sol ne permettaient pas de rendre le terrain cultivable. Des immenses forêts du passé il ne reste plus, aujourd'hui, que quelques rares débris au flanc des vallées et sur la surface du plateau, là seulement où affleurent la craie et une argile trop siliceuse.

Les bois taillis, coudriers et noisetiers, dominent dans la région septentrionale, les bois de haute-futaie se rencontrent surtout sur le versant de la Seine et dans la région orientale.

Les forêts de Lillebonne, du Maulévrier, du Trait, de Roumare, la forêt Verte et la forêt d'Eawy appartiennent à cette seconde catégorie. Elles se composent pour la plus grande part des essences suivantes le chêne, l'orme, le frêne et surtout le hêtre, l'arbre des terrains calcaires. Sur le littoral les «mauvaises» terres non boisées sont couvertes d'herbe sèche et de joncs marins; au centre du plateau l'on ne rencontre pas de joncs marins mais seulement une herbe maigre qui sert de pâture à des troupeaux de moutons, de jour en jour moins nombreux.

Les « terres moyennes composées d'argile peu siliceuse amendées par le « marnage qui les « réchauffe », et les « bonnes terres » ou  « terres franches » se partagent entre la culture |23o ooo hectares) et les « masures » (43 000 hectares).

Les 236 000 hectares de terres arables représentent environ 65 % du territoire total du Pays de Caux.

Les terres consacrées à la culture n'ont pas partout une valeur uniforme, en général autant que l'on peut établir un rapport entre leur valeur réelle et leur valeur vénale leur qualité va croissant d'est en ouest.
En représentant la valeur moyenne de l'hectare de terre arable dans l'ensemble du Pays de Caux (par 100) elle est de 91,40 dans les cantons cauchois de l'arrondissement de Dieppe; de 96,90 dans celui de Rouen; de 102,90 dans l'arrondissement d'Yvetot; de 109,70 dans l'arrondissement du Havre. Les cantons marins donnent une moyenne de 103,40 ; ceux qui bordent la Seine, de 102,70 ; ceux du centre, seulement de 98. 
Pourtant le limon, la terre du centre que dans ceux de l'ouest, du nord ou du sud ; la valeur de la terre arable dépend donc principalement, toutes choses égale d'ailleurs, de la
quantité d'eau qu'elle reçoit.

Les plantes cultivées dans le Pays de Caux se divisent en céréales, cultures industrielles, plantes fourragères et prairies artificielles. 

Les diverses plantes industrielles exigent chacune des conditions spéciales de terrain et de climat qui ne se présentent pas d'une manière uniforme sur tout le plateau, leur culture est par conséquent localisée.  Les cultures industrielles se divisent en trois catégories le colza ; le lin ; la betterave sucrière ou industrielle.
Le lin, dont Pline signalait déjà l'existence dans le pays des Calètes, et qui, par sa culture et son tissage, a longtemps fait vivre beaucoup d'ouvriers dans les masures cauchoises ; le lin après avoir habitué les habitants de la région au tissage du coton, recule devant lui. 
La betterave industrielle offre, avec le colza et le lin, le plus parfait contraste tant comme résultats que comme mode de production. Leur culture est en décadence, la sienne est en progrès.


Sur la surface du plateau, au milieu des champs, se dressent, de ci delà, des lignes d'arbres droits et élancés qui limitent de toutes parts l'horizon et à distance paraissent former la lisière d'une forêt ininterrompue, ce sont les « hètrées » ou « brise-vents ».

Les pommiers auxquels le climat humide du Pays de Caux convient admirablement, parce qu'il fait grossir leurs fruits et augmente leur rendement en jus, se rencontrent un peu partout à la surface du plateau mais tendent à se concentrer dans les cours-masures. Leur culture dans les champs offre en effet un double inconvénient qui ne se présente pas dans les enclos la violence des vents fait tomber au printemps une grande partie des rieurs des pommiers plantés en rase campagne et diminue d'autant la quantité de pommes qu'ils seraient susceptibles de produire ; et d'autre part, l'ombre des arbres nuit aux moissons qu'ils abritent en les empêchant de mûrir. Dans les enclos ces deux inconvénients ne se produisent pas.
Dans la masure on élève des porcs et des volatiles de basse-cour, mais quoique plusieurs variétés de canards et de poules (canards de Duclair et poules de Pavilly) aient, dans le monde des gourmets, une certaine renommée, leur élève dépend de l'industrie des fermiers et non de rapports directs avec les facteurs géographiques de la contrée.

Tout au contraire l'élevage du gros bétail, qui se pratique dans les vallées, dépend des conditions géographiques. Grâce à leur constitution géologique imperméable et à l'humidité permanente qu'y entretiennent le voisinage de la mer et surtout les rivières qui les irriguent, les vallées cauchoises sont par excellence un pays d'élevage.

Les pâturages naturels du Pays de Caux se divisent en trois catégories les deux premières se partagent la vallée de la Seine et les basses vallées de ses affluents, la troisième comprend les vallées des rivières de la Manche et les parties moyenne et supérieure des vallées des affluents de la Seine.
Dans la basse vallée de la Lézarde, dans celle de la Scie, de la Sainte-Austreberthe et de la Cailly, voire même à Vittefleur et à Palluel, le long de la Durdent, les cultures maraîchères sont du meilleur rapport les cressonnières de Veules sont renommées.

Industrie.

L'industrie est aussi florissante que l'agriculture. Elle est en grande partie localisée dans les vallées où les rivières lui fournissent l'eau, son indispensable aliment soit comme force motrice sous forme d'eau courante ou de vapeur, soit simplement pour les lavages.

Au point de vue de l'origine géographique des matières premières qu'elles emploient, les industries cauchoises se divisent en industries dont les matières premières proviennent du Pays de Caux lui-même, et en industries dont les matières premières sont exotiques.

A l'époque romaine et au moyen âge on tirait le fer des argiles ferrugineuses du plateau. Les buttes ferrières ou « faisières » de Saint-Léonard, près de Fécamp, de Bellencombre, de Montreuil-en-Caux et de Bosc-le-Hard, ne sont que des amas de scories des argiles traitées pour l'extraction du fer.

Le seul combustible que renferme le sol cauchois, c'est la tourbe des vallées de Lillebonne, de Caudebec et de Saint-Saëns; l'exploitation annuelle n'atteint pas 1,000 tonnes.

A la surface du plateau, les dépôts meubles sur les pentes, les sables et graviers des terrasses, l'argile à silex fournissent le silex pour l'empierrement des routes et les grès de pavage. La craie blanche à silex est exploitée pour la fabrication de pierres de taille. Cette même craie blanche, la craie marneuse et l'argile à virgule donnent la chaux grasse et la chaux hydraulique.

Mais de toutes les extractions minérales du Pays de Caux la plus importante est celle des argiles pour la fabrication des tuiles, des briques, et même quand elles sont assez pures (argile plastique) pour celles des poteries.

Çà et là, à la surface du plateau et dans les vallées, au Havre, à Caudebec, à Yvetot, à Buchy, à Auffay, etc., on aperçoit sur le bord des routes et au milieu des champs des carrières de terres jaunes et rouges près desquelles se dressent de hautes cheminées ou de simples fours ronds en forme de dômes ce sont des tuileries, des briqueteries et des poteries.

Les manufactures et usines sont plus nombreuses dans ces dernières que dans celles qui aboutissent à la Seine mais par la nature même de leurs industries et par leur développement commercial, les plus importantes sont situées dans les vallées qui débouchent sur la Seine, principalement dans celles de la Lézarde, de la Bolbec, du Caudebec, de la Sainte-Austreberthe et de la Cailly.

Les grandes industries cauchoises se divisent en deux catégories celles qui tirent du pays même leurs matières premières celles qui opèrent sur des matières premières d'origine étrangère : telles l'industrie cotonnière dérivant pratiquement de l'industrie linière, telles les raffineries et les métallurgies.
La présence de l'industrie des cuirs dans le Pays de Caux s'explique naturellement par l'abondance des matières premières le Pays de Caux et
la région voisine, le Bray, étant pays d'élevage, l'abat fournit le cuir, les forêts de chêne donnent le tan et les rivières l'eau courante nécessaires à la tannerie. 
La corroierie et la mégisserie, qui dérivent immédiatement de la tannerie, occupent un assez grand nombre de manufactures spécialement à Caudebec et dans les vallées septentrionales, à Dieppe, à Auffay, à Bacqueville, à Cany, etc. Mais plus encore qu'un pays d'élevage, le Caux est un pays de céréales, aussi les minoteries sont-elles nombreuses dans les vallées (130 environ) il y en a plus de 20 dans la vallée de la Lézarde, dont 12 à Montivilliers, 12 dans les vallées de Ganzeville et de Valmont ; Bolbec en possède 8, Héricourt 7, etc. Il  n'y a si petite rivière qui ne possède la sienne sur la rivière de Veules qui n'a que 1 kilomètre de longueur, on en trouve 2 ou 3. Le grand nombre des rivières explique seul un fait en apparence paradoxal sur le plateau cauchois balayé par les vents, on ne rencontre presque pas de moulins à vent; personne n'est assez éloigné d'une rivière pour ne pouvoir porter son blé à la minoterie.

Une industrie qui dérive également de la culture des céréales est celle de l'amidon; elle tient peu de place dans la région, il n'y a qu'une seule amidonnerie à Lillebonne.

La betterave sucrière, dont la culture est prospère dans la partie orientale du Pays de Caux (cantons de Tôtes, Yerville, etc.), forme la base de l'industrie sucrière et de la distillerie dans notre région. Les distilleries sont pour la plupart confinées dans les grandes villes, à Rouen et au Havre, pourtant, depuis quelques années, elles commencent à apparaître sur le plateau.

L'industrie cauchoise de beaucoup la plus importante est l'industrie textile. Elle donne lieu à une série considérable d'opérations pour les transformations successives et l'appropriation de la matière brute aux besoins de la consommation » et occupe un très grand nombre de personnes.
Elle se divise en deux industries distinctes: l'industrie linière dont la matière première est indigène; l'industrie cotonnière qui importe la sienne de l'étranger, principalement de l'Amérique.

Suivant le témoignage de Pline, aux temps même de l'indépendance gauloise, les Calètes cultivaient déjà le lin et le tissaient.

La transformation des fibres du lin en toiles exige 5 opérations successives, dont les 2 dernières seules (filage et tissage) méritent véritablement le nom d'industries.

Jusqu'en 1785 on fila uniquement à la quenouille et au rouet. A cette époque, les premières broches mécaniques arrivèrent d'Angleterre ; aujourd'hui les usines de Barentin (filature Badin, 10 000 broches), de Denestanville (3 000 broches), de Gueures, de Pavilly et d'Avremesnil préparent pour le tissage la filasse linière.

Comme pour la filature il y a deux modes pour le tissage le tissage à la main, « au métier » opéré par « les cacheux » dans les masures du plateau et le tissage mécanique dans les usines des vallées. Peu à peu le tisserand à la main disparaît, incapable de soutenir la concurrence des usines de tissage. Au commencement du siècle les métiers à la main étaient nombreux dans les cantons de Goderville, de Criquetot et de Fécamp, il n'y en a plus un seul aujourd'hui. Luneray, Yvetot, Brachy et Doudeville continuent seuls à fabriquer des toiles écrues, les toiles à matelas et les coutils.
Au commencement du siècle les métiers à la main étaient nombreux dans les cantons de Goderville, de Criquetot et de Fécamp, il n'y en a plus un seul aujourd'hui. Luneray, Yvetot, Brachy et Doudeville continuent seuls à fabriquer des toiles écrues, les toiles à matelas et les
coutils.

L'industrie linière toute entière recule devant l'industrie cotonnière. Le coton apparaît dans le Pays de Caux au début du 16e siècle, et les habitants prirent l'habitude de le filer concurremment avec le lin, mais pendant un siècle cette nouvelle industrie végéta. A partir du 17e siècle les arrivages d'Amérique se firent réguliers ; dès lors le filage, le tissage et les industries annexes blanchisseries, teintureries, fabrication d'indiennes et de rouenneries, se développèrent successivement.

Quant à la fin du 18e siècle les machines à filer le coton, analogues aux broches pour la filature du lin, firent leur apparition, il y avait 20 000 fileuses à rouet dans le Pays de Caux.

Aujourd'hui presque tout le coton se file dans les usines. Celles-ci, sauf une vingtaine dans les vallées septentrionales, une dizaine dans la vallée de Bolbec, sont centralisées dans les environs de Rouen, à Rouen même, dans la presqu'île qui lui fait face (Oissel, Quevilly, Sotteville) et
dans les vallées de la Sainte-Austreberthe, de la Cailly et du Robec. Le tissage, la fabrication des indiennes et des rouenneries sont des industries plus particulièrement cauchoises […]  à Bolbec, à Doudeville, à Luneray, à Yvetot, à Bacqueville, à Saint-Laurent on tisse encore au métier à main le calicot ou le mouchoir de filé cru. La rouennerie, tissée avec des fils préalablement teints, se fabrique aussi à la main dans l'arrondissement d'Yvetot.

La fabrication des indiennes appartient à l'industrie des vallées, car l'impression des dessins coloriés exige la présence de l'eau, elle est localisée à Bolbec et dans les vallées du Robec et de la Cailly.

La Pêche : Dans l'activité économique du Pays de Caux, la petite et la grande pèche jouent un rôle important.

La pêche côtière est la ressource naturelle des simples localités maritimes et des ports secondaires du Pays de Caux : Au Havre, à Etretat, à Yport, à Fécamp, à Saint-Valery et à Dieppe les barques à voiles sortent du port ou quittent la plage pour pêcher la marée qui approvisionne les Halles de Rouen et de Paris. Fécamp et Dieppe arment pour la grande pêche. 

Le commerce spécial du Pays de Caux comprend à l'importation, les matières premières nécessaires à ses industries coton, peaux, minerais, houille, charbon; à l'exportation du blé, du bétail, des pommes, des légumes, des œufs, du beurre à destination de l'Angleterre; des tourteaux de lin et de colza pour notre département du Nord, enfin les produits manufacturés de son industrie cuirs tannés, articles de corroierie, sucres bruts et raffinés, toiles et cotonnades qu'il expédie en tous pays et surtout dans nos colonies.

Pour favoriser ce double trafic on a construit, en raccordement avec les grandes lignes du Havre à Paris et de Dieppe a Paris par Rouen, des lignes dites d'intérêt local qui relient les localités industrielles des vallées avec les ports du Havre, de Dieppe et de Rouen. 
L'emplacement des ports situés sur la périphérie de la péninsule cauchoise Rouen, Dieppe, le Havre, s'explique naturellement : Rouen s'est établi sur la Seine immédiatement en aval des îles qui embarrassent ce grand fleuve au confluent des deux rivières de la Cailly qui remonte vers le Pays de Caux et du Robec qui est une voie de pénétration vers le Bray et le nord de la France.

Dieppe est situé à l'embouchure de la plus large vallée cauchoise et de la rivière la plus abondante, la rivière d'Arques, qui réunit les eaux de la Béthune et de la Scie. 
A l'embouchure de la Seine, Le Havre remplace, comme port maritime, depuis le milieu du 16e siècle, Lillebonne et Harfleur qui, successivement pendant l'antiquité et le moyen âge, ont été les grands ports de guerre et les grands ports de commerce de la Gaule romaine et de l'ancienne France.
Rouen et le Havre réunis par la Basses-Seine, dont le lit a été considérablement amélioré depuis vingt ans, sont notre Manchester et notre Liverpool. 
L'activité agricole, industrielle et commerciale du Pays de Caux nous permet de prévoir que la population doit y être nombreuse.

Et, en effet, les 310,000 hectares du Pays de Caux renferment une population totale de 430 000 habitants, 230 000 ruraux, 200 000 urbains.

C'est que la fertilité du plateau augmente dans le même sens avec l'influence grandissante des caractères maritimes du climat. Nous retrouvons ici l'influence de la forme péninsulaire du Pays de Caux.

La population rurale n'est pas agglomérée dans de grands villages mais répartie dans une infinité de hameaux et lieux dits, réunis à trois, quatre, cinq ou même plus pour former une commune. Sur 14 chefs-lieux de canton à la surface du plateau, Yvetot et Doudeville sont seuls des communes urbaines.

Sur ce plateau en grande partie imperméable les habitants n'éprouvent pas le besoin de se réunir. Chaque ferme possède sa mare ou sa citerne qui lui fournit l'eau indispensable et, en cas de sécheresse, on va « pucher » aux rivières.

Les 200,000 âmes de populations urbaines sont groupés dans 2 grands centres à la fois commerciaux et industriels (Le Havre avec 13o,ooohab., et Dieppe avec 23,000).

Les localités industrielles  de Bolbec, 12 ooo hab. ; Lillebonne, 6 000 ; Montivilliers , 5 ooo ; Barentin, 4,5oo ; Pavilly, 3 000 ; Montville, Auffay, etc., se partagent plus de 5o,ooo habitants.

Depuis plus d'un demi-siècle on a émigré du plateau dans ces différents centres Vers 1840, l'arrondissement d'Yvetot atteignait une population de 143 000 âmes ; il n'y en a plus aujourd'hui que 96 000, c'est donc en 60 ans une diminution de plus d'un tiers.

La dépopulation du plateau tient une autre cause, elle tient aux progrès même de l'industrie.

Il n'y a donc pas dépopulation proprement dite mais déplacement de population dans les limites mêmes du Pays de Caux.
 
La population dans son ensemble a augmenté depuis le commencement du siècle de 3oo ooo âmes à peine, en 1806 ; elle atteint aujourd'hui 450 000, soit augmentation d'un tiers. »

Georges Lecarpentier

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

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Synthèse en cours des contours à traves les âges

 

Voici la carte vierge des limites et contours ce qui vous donne un premier aperçu.

Comme vous pouvez le constater, il existe plusieurs lignes de "frontière" avec un code couleur différent que je vais vous commenter par la suite.

A gauche une double ligne verte et bleue, partant du Havre longeant les falaises  du pays de Caux, quasiment jusqu'au Pont de Tancarville. Poursuivant la ligne bleue, elle  suit les coteaux de la Seine en incorporant les rivières s'y déversant à l'exception de la boucle de Jumièges et de Sahurs comprenant la forêt de Jumièges et celle de Roumare. Poursuivant la ligne verte, elle vient en recul surtout au niveau des vallées ce qui semble logique car elle incorpore des critères de culture agricole tandis que la DREAL  semble incorporer les profils  topographiques d'altitude du plateau.

Ces deux tracés remontent vers le nord après avoir rejoint la confluence de l'Andelle avec la Seine.

La jonction se fait à l'approche depuis la source du Crevon  traversant le plateau vers la source de la Varenne, plus au sud où se situe Buchy (la marche vers le Bray).

La troisième ligne de démarcation est proposée par Ridel (2003) sur des critères historiques, toponymiques et paysagers. Elle parait démarrer de Saint-Wandrille remontant   en oblique vers Saint-Saëns  avant de rejoindre les autres tracés à quelques kilomètres près.

La quatrième ligne en violet est celle de Raymond Mensire (1946), partant de Yainville  vers  le nord en zigzag avant de basculer vers Clères puis Saint-Saëns pour rejoindre Dieppe.

La cinquième ligne en rouge  foncé est celle que propose Sion (1909)qui suit l'Austreberthe pour rejoindre la Scie vers Dieppe.

La sixième ligne de couleur orangée  est proposée par Sabine Derouard (1998)  selon des critères historique et géographiques. sa ligne part  vraisemblablement de Fontaine puis traverser le Cailly avant de rejoindre  le plateau vers Buchy et vers Saint-Saëns, puis Dieppe ; cette ligne suit quasiment la suivante au moins jusqu'à mi parcours de la Varenne.

La septième ligne en rouge  s'appuie la flore du pays de Caux recensée et cartographiée par le Conservatoire National de Bailleul, s'appuyant sur une carte de l'AREHN. Comme je le soulignais au départ l'étude, la botanique permet d'établir une cartographie thématique d'un territoire.  Pour cette raison  elle s'oriente vers le Petit-Caux sur  la bande du plateau littoral.

 

La ligne pointillée verte suggère une limite intermédiaire appelée Caux-Vexin pour le motif agricole.  (cette délimition  prend en compte en vert des petites régions agricoles - INSEE - (1946] : découpage basé sur des critères géographiques et agricoles exposé dans le livre Clos-masures et paysage cauchois, CAUE 76, Editions point de vues, 2008. Cette délimitation  orientale est quasiment commune à celle de la DREAL, Normandie, 2018.)

C'est important au départ de cette hsitoire du cidre du pays de Caux de montrer l'évolution d'un pays qui n'a jamais eu des contours stables. Ces pays de France ont subi l'érosion des administrations étatiques, régionales préférant les redécoupages du territoire depuis la Révolution française.

Comme beaucoup d'autres le Pays de Caux a été avalé  et disloquédans ce mille-feuille territorial.

Le  Retour de la Normandie dans le Royaume au 13e siècle l'a fait dessiné pour plusieurs siècles avant que le pays de Bray affirme sa boutonnière jusqu'aux marches du pays de Caux et de la Picardie.

Il est bien normal qu'on s'étonne que le pays de Caux ait eu plusieurs visages toutefois Thomas Corneille a vu une unicité territoriale grâce aux pommiers  et au cidre que ce pays a accueilli  deus siècles plus tôt.

Beaucoup de spécialistes (géographes, historiens, agriculteurs, architectes, paysagistes administrateurs ... ont confronté leurs points de vue, de même les habitants ont longtemps débattu et cela continuera encore un bon moment...

Il semble qu'en fait depuis la Gaule Belgica les calètes l'ont habité mais comme tout territoire suite aux invasions germaniques, romaines, anglo-saxonnes ses contours ont évolué sans cesse historiquement, géographiquement, botaniquement,  linguistiquement, administrativement, culturellement. 

Carte dressée par Willem Blaeu en 1635

 

Le Pais de Caux : geheugen.delpher.nl

 

 

Une des premières descriptions du pays de Caux  a été rédigée par Thomas Corneille en 1707.

 

Un des premiers témoignages  consignés du cidre du pays de Caux se trouve dans le Dictionnaire universel, géographique et historique. T. 1, A-D / , contenant la description des royaumes, empires, estats, provinces, pays, contrées, deserts, villes, bourgs, abbayes, chasteaux, forteresses, mers, rivieres, lacs, bayes, golphes, détroits, caps, isles, presqu'isles, montagnes, vallées ... à consulter sur ce lien : gallica.bnf.fr

Voici en 1708,  la première aire géographique du cidre du pais de Caux  définie par le Royaume de France, décrite par Thomas Corneille. [...].

En 1685, Thomas Corneille produisit  un Dictionnaire des termes des arts et des sciences en complément du dictionnaire de l’Académie puis à un Dictionnaire universel géographique et historique en 1708 avec privilège de sa majesté Louis XIV.

«Caux. Pays de France en Normandie, l’un des quatre qui composent le vaste Diocèse de Rouen, en latin Calentis Ager. Il est situé entre la Seine, l’Océan, la Picardie, le Bray & le Vexin Normand, & a pris son nom des anciens Caletes qui l’ont habité.

Il comprend les ports de mer & villes de Caudebec, d’Harfleur, du Havre de Grâce, de Fécamp, de Saint Valery, de Dieppe, de Tréport, d’Aumale, de la Ville d’Eu et de Neufchâtel. Il y a aussi Montivilliers & Lillebonne dans les terres. Ce Pays est à peu près de forme triangulaire, ayant en tête un Cap ou Promontoire, qui est une côte avancée dans la mer proche du Havre, & qu’on appelle Cap ou Chef de Caux. Sa plus grande largeur est de seize lieues, depuis la banlieue de Rouen jusqu’à la ville d’Eu & au Tréport, & dans cette étendue, comme dans le cœur du Pays, & même vers la côte de la mer, on voit quantité de vastes campagnes qui produisent toutes sortes de bons grains, des légumes, des lins & et des chanvres, de la navette ou rabette dont on fait l’huile à brûler, & pour d’autres usages. D’ailleurs on voit non seulement dans les vergers, & dans les cours des particuliers, mais aussi dans les chemins & à travers les campagnes, grand nombre d’arbres à fruits, pommiers & poiriers dont on fait du cidre & du poiré, qui servent de boisson à ceux du pays, parce qu’étant un peu froid, il n’est point propre à la vigne. [...] Le Pays de Caux comprend trois Duchez, Longueville ; Aumale et Etoutteville, dont le premier s’est éteint ; six comtés, Tancarville, Lillebonne, Maulévrier, Claire, Dieppe & Eu ; cinq Marquisats, Graville, Cani, Hocqueville, Gremonville & Hermeville ; & environ trente baronnies, pami lesquelles on compte Bec-Crespin, Cretot, Fécamp & Vittefleur. Le même Pays a plusieurs Châtellnies ; cinq baillages ; […] quatre Eglises Collégiales ; seize Abbayes, dont celle de Jumièges, de Saint-Wandrille & de Fécamp […] Les rivières qui arrosent le Pays de Caux sont la Paluel, la Sanne, la Scie, l’Arques & l’Eaune, qui se déchargent dans l’Océa.n, dit la Manche ou Mer d’Angleterre. La Brêle qui sépare le diocèse de Rouen de celuy d’Amiens s’y va rendre aussi ; mais la Laizarde, l’Enne, la Bapaume & quelques autres, tombent dans la Seine.» [Corneille, 1708]

Une carte du pais de Caux  du début du 18e siècle est répandue, carte que j'ai trouvé exposée encadrée au Musée de Musée d'Histoire de la Vie Quotidienne, il traite de la vie quotidienne des habitants de Petit-Caux, et plus généralement des Français, de la fin du XIXe siècle à la fin du XXe ... Allez découvrir ce musée où vous verrez cette carte que l'on peut également consulter via ce lien : gallica.bnf.fr

 

Une autre figure le pays de Caux en 1716 in : gallica.bnf

 

De cette même époque je vous propose cette vue d'Eu, observez la légende

Vue du château de la ville d'Eu, en Normandie dans le Pays de Caux, 1702

Extrait du site : www.rotomagus.fr

 

une autre figure le pays de Caux en 1716 in : gallica.bnf.fr

 

 

 

 

Plusieurs analyses se sont donc répandues depuis le 18e siècle géographes, historiens, spécialistes du paysage, architectes, toponymistes, topographes, cartographes, auteurs…  J’ai choisi pour commencer de m’appuyer sur plusieurs documents.

Celui de Alain Roquelet et Daniel Fauvel tout d’abord ; celui de David Gaillard [1]  se référant à  Mensire [2] (critères historiques et géographiques) mais aussi sur celle de Sion (1909) sur des critères géographiques, paysagers et sociaux, de Ridel (2003) sur des critères historiques, toponymiques et paysagers ;  de Sabine Derouard (1998) aux critères, aux contours proches de celle de Mensire cartographiés dans l'ouvrage :  Clos-masures et paysage cauchois, CAUE 76, Editions point de vues, 2008. Et puis Sion ainsi d'autres documents publiés par la D.R.E.A.L.[3]. l'ARHEN ; le CBNBL  de Bailleul ; Georges Dubosc - in :  Jumieges.free.fr


[1] Le clos-masure en pays de Caux : vers une inscription au patrimoine mondial de l’Unesco ? David Gaillard

[2] Le Pays de Caux : son origine, ses limites, son histoire / Raymond Mensire, Livre, Mensire, Raymond, Edité par Ed. du Bastion. s.l. – 1984 : En effet Raymond Mensire situe la frontière est du pays de Caux, partant du Trait vers Carville ; Freville ; limite Est de Bouville, Mesnil Panneville, Limésy ; limite Ouest de Butot et de Grigneville, et remontant vers Dieppe jusqu'aux falaises aval de Dieppe.

[3] Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) Normandie est un service déconcentré de l'État français.

Progressons au 19e  siècle

Mais avant de considérer celle décrite par la DREAL, il est intéressant de lire la perception de Jean Canu :  Voir le lien : www.jstor.org

« Né à Rouen d'un père depuis longtemps établi à Rouen et d'une mère normande, élevé à Rouen, passant aux portes de Rouen la plus grande partie de son existence, Flaubert acquit peu à peu, et tout naturellement, une connaissance intime et profonde de cette ville et de ses environs. Ses relations de famille, ses amitiés, ses voyages de vacances à Trouville et à Pont-l'Evêque, le mirent en contact avec d'autres aspects de la terre normande, mais son expérience prolongée des hommes et des choses n'a guère dépassé les limites du pays de Caux, ce plateau crayeux qui tombe par de blanches falaises, au Sud sur la vallée de la Seine, au Nord-Ouest sur la Manche au Nord-Est sur le pays de Bray et la Picardie, à l'Est enfin sur la vallée de l'Andelle, réalité géographique si nettement différente  des régions environnantes qu'elle formait dès avant la conquête romaine une unité distincte, et qu'elle garde aujourd'hui encore sa personnalité. Avant que d'être normand, Flaubert est cauchois, et c'est une couleur cauchoise qu'il a donné à Madame Bovary. »

Jean Canu rapporte également une remarque faite par Flaubert vis-à-vis des cauchois « […] un enterrement qui lui montre de braves Cauchois moins soucieux de leur deuil que de leurs arbres fruitiers.»

 

« Le Pays de Caux est globalement composé d’un immense plateau vallonné, entaillé de vallées et situé entre la Manche et la vallée de la Seine. L’habitat caractéristique est celui des clos-masures, isolés ou regroupés en villages et en bourgs. Le plateau se divise lui-même en six parties. Les critères de différenciation des paysages s’appuient sur la proximité de la mer et l’organisation de l’habitat : Le Caux maritime forme le premier ensemble. Le long de la côte de la Manche, sur une largeur de 10 km environ, l’influence maritime se perçoit avec ses vents permanents et un habitat plus rare, privilégiant les replis des petites vallées. »[DREAL Normandie, 2018]

A consulter les cartes via ce lien où sont décrites les 9 unités de paysage :

www.normandie.developpement-durable.gouv.fr

 


[1] Bouloche, ou boulo - Pâtisserie cuite au four, faite d’un fruit entier (pomme ou poire) entouré de pâte. » [Bouchard-Le Scour, 1981] A certaine occasion ma mère nous faisait des bouloches aux poires de coq. Petit je ne prenais pas mon pouce mais je boulochai ma couverture en laine. Plus tard elle me disait arrête de boulocher.

 

« Le Pays de Caux typique est celui qui s’étend sur le plateau limoneux, balayé par les vents d’ouest qui apportent des précipitations supérieures à celles de la vallée de la Seine et du Bray. Les limites orientales ne passent pas par une ligne bien précise : c’est plutôt une zone où s’estompent progressivement les fondements géographiques, historiques et culturels qui caractérisent le Pays de Caux. » [Fauvel-Roquelet, 1978]

En 1978, M. Daniel Fauvel était Professeur du service éducatifs des Archives de la Seine-Maritime. Il est Docteur en histoire. - Professeur agrégé à la retraite, aujourd’hui membre de l’association des amis de Flaubert et de Maupassant.

Raymond Mensire a délimité le pays de Caux   d’un côté par la mer et de l’autre suivant schématiquement une ligne allant de Dieppe suivant le plateau sommital vers Bosc-le-Hard, bifurquant vers Limésy rattraper la Seine au Trait.

« Le Pays de Caux est un cap massif s’enfonçant dans la mer comme l’avant du grand navire qui s’appelle la France. […] La question de la limite Est du Pays de Caux serait donc fort controversée et même à peu près inextricable […]  la limite du Pays de Caux passe sur les hauteurs dominant tout le cours de la Scie, à l’Est, depuis son embouchure jusqu’à sa source, pour de là , suivre approximativement la ligne de partage des eaux entre les sources de la Scie et celles de l’Austreberthe, longer cette rivière à l’Ouest et s’en écarter progressivement pour aboutir à la Seine  entre Caudebec et Duclair. »

Le site de l'inventaire de la flore sauvage de la Haute-Normandie présente le pays de Caux le dissociant du Petit Caux, toutefois sur la carte à laquelle ils se réfère  les deux sont associés.

A consulter sur ce lien : digitale.cbnbl.org

Pays de Caux

Le Pays de Caux s’étend au nord de la Seine jusqu'aux falaises littorales de la Manche. Il occupe la plus grande partie du département de la Seine-Maritime. C’est un plateau crayeux, recouvert en grande partie par des limons fertiles. Il est découpé par un certain nombre de vallées de fleuves littoraux, de valleuses ou de rivières affluentes de la Seine. Les paysages sont dominés par les grandes cultures. Les clos-masures (cours de fermes ceinturées de talus plantés de hêtres, de chênes et parfois maintenant de peupliers), donnent au paysage de ce pays un caractère relativement arboré. La cour enherbée est généralement plantée de pommiers à cidre. Le pays de Caux est célèbre pour son littoral et ses falaises de craies dont la couleur blanche est à l’origine de son appellation de "Côte d'Albâtre".

Petit-Caux

Le Petit-Caux est une région voisine du Pays de Caux. Situé à l’est de Dieppe elle constitue une bande littorale d’environ 15 km de large pour atteindre la vallée de la Bresle. Les paysages sont assez semblables à ceux du pays de Caux (grandes cultures et clos-masures) auquel il est parfois rattaché.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ancien verger de Côteau à Saint-Clair-sur-les-Monts © Pascal Levaillant 2020

Alignement d'arbres d'une masure à Pavilly © Pascal Levaillant 2010

Masure cauchoise à Allouville-Bellefosse © Pascal Levaillant 2012

Masure cauchoise près de Fauville-en-Caux © Pascal Levaillant 2021

Masure cauchoise près de Fauville-en-Caux © Pascal Levaillant 2018

Verger cauchois près d'Yvetot  en hiver © Pascal Levaillant 2020

René Musset rapporte ce que sont pour lui les limites du pays de Caux. 

Voir le lien : www.persee.fr

« On applique aujourd'hui communément le nom de Caux, non au territoire qui fut celui des Calètes, mais à toute la partie de la Normandie au N. de la Seine et à l'W. de l'Andelle, moins le Pays de Bray : on saisit l'influence de la division départementale (la Seine- Maritime se limite pratiquement à l'Andelle inférieure), mais l'influence aussi de traditions plus anciennes. La pression de l'enseignement primaire et des ouvrages publiés fait qu'aujourd'hui les gens du pays eux-mêmes tendent à admettre un Caux au sens large, mais avec des résistances quelquefois : les habitants du N.-E. de la Seine-Maritime ne se disent pas cauchois. Ce dernier coin de terre, de fait, est original : il est une transition vers la Picardie, à laquelle il ressemble par deux traits, la présence de longs cours d'eau parallèles, le langage qui fait passage du parler normand au parler picard. On a pris l'habitude d'appeler ce coin de terre le Petit Caux : cette appellation n'a rien de populaire et est une invention des doctes (au haut Moyen Age ce fut le pagus Tellavus, le Tallou, nom oublié, qui fut usité seulement du 7 e au 11e siècle).» [Musset, 1961]

Jules Sion témoigne de la singularité du Petit-Caux, citant Le Boullenger (1807) :

« Suivant la côte d'Étretat au Tréport, l’ingénieur Le Boullenger notait en 1807 que vers Saint-Martin-en-Campagne et Criel, on ne retrouve plus les aspects du Caux : « les masures deviennent plus rares ; on ne cultive plus que par assolements, c'est-à-dire que tout le village sème ses avoines du même côté et contiguës, ses blés et ses trèfles de même ; il en résulte des champs immenses une beauté trop uniforme » ; et cette méthode était aussi connue dans les cantons d’Eu, de Blangy, d’Aumale, d’Envermeu, de Longueville, de Tôtes, de Bellencombre »

Jules Sion, Les paysans de la Normandie orientale, pays de Caux, Bray, Vexin normand…1909.

 

Vous pourrez observer des structures végétales subsistantes à Régnétuit,

commune d'Avesnes-en-Val au   Petit-Caux, vu par la [DREAL, Normandie, 2018]

www.normandie.developpement-durable.gouv.fr

Juste à propos du parler cauchois

 

Considérant le parler cauchois, la revue "parlers et traditions populaires de Normandie

celui de la région du Havre

celui de la région d'Yvetot-Yerville

celui de la région de Dieppe

 

Extraits

 

A propos de la diversité des parlers cauchois, mes parents disaient que le patois d'un village différait du village voisin en prenant exemple d'Hautôt-Saint-Sulpice  et d'Etoutteville dont ils étaient originaires.

Cette distinction ne m'a jamais trop étonné d'autant que dans d'autres contrées du pays de Caux, je l'(ai entendu.

Cette revue le confirme en citant trois principales zones de parlers cauchois.

Il disent ceci  en remarques préliminaires : 

" On trouvera dans les pages qui suivent quelques indications sur le parler cauchois de la région de Dieppe. Il faut savoir, en effet, qu'il a plusieurs parlers cauchois ; en gros : celui de la région du Havre (Fécamp-Bolbec), celui de la région d'Yvetot-Yerville ; et celui de la région de Dieppe, réparti à peu près sur les cantons de Saint-Valéry-en-Caux, Fontaine-le'Dun, Bacqueville, Offranville, Longueville-sur-Scie, Tôtes et Envermeu. (A Dieppe même, les milieux populaires parlent un français approximatif, émaillé de quelques expressions cauchoises et d'argot du Pollet, le vieux quartier du port).

Il existe entre ces parlers de nombreuses ressemblances. Il y a une sorte de fonds commun du cauchois, notamment pour la prononciation des r et des l, dans le fait du é qui devient è ; mais tant dans la pronociation que dans le vocabulaire, les différences sont réelles" 

In : Le parler cauchois de la région de Dieppe, N° 52, Parlers et traditions populaires de Normandie, 1981.

 

Le fascule 2 du parler cauchois de la région de Dieppe est sorti peu après le décès de l'abbé Hue, le 4 octobre 1981.

Son étude sera publiée en intégralité sur les numéros 53-54- 55 et 56. En hommage à sa mémoire et en hommage de son profond attachement au peuple cauchois dont il est issu (in : p. 45 du n° 54, 1998)

dans la troisième partie du parler cauchois on peut lire 

Au jardin :

Des fruits euribles (précoces)

eul'pêizié : le poirier

locher les pommes (les faire tomber)

Eul' fossé (le talus) qui entoure fermes et maisons haut parfois de 2 mètres, surmonté de hêtres et de chênes. C'est un aménagement très propre au pays de Caux.

Entre eux (j'insiste bien) ils se traiteront de petzouille "paysan" mais prière de ne pas s'y risquer.

J'ai entendu dire, en présence de faits bizarres : y a du berquer là-dessous (les bergers passaint pour savoir des choses)

Leun'nay pour LUNERAY

Bacqueville en Caux : Bâk'ville

Offranville : Suffranville

Auppegard : Eul'pougar

Le Havre : Eul' Rhâv avec un h très aspiré

Fécanais pour Fécampois

Les Valdiquais pour les Valeriquais

Dans le N° 53 du parler cauchois

N'avei /é/ que des crèques à manger, "n'avons rien du tout" Les crèques sont des petites baies rouges des épines.

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Le gros cidre " le pur jus" mis en bouteille

Cheus nous, on ne beit/è/ point de l'iâo : ést du pissâ de guernouille

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Dans le N° 56 du parler cauchois

La vague s'est prônée, elle a avalé une pomme tombée dans le pré, et elle s'est engobée " étouffée.

Un pot de cidre "deux litres"

 

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ULe pays de Caux : un terroir, un sol, un sous-sol sur lequel tout pousse : les sols d’un plateau calcaire sur lequel ont été déposés les limons depuis des millions d’années

"Le Pays de Caux est globalement composé d’un immense plateau vallonné, entaillé de vallées et situé entre la Manche et la vallée de la Seine. » [DREAL, Normandie 2018]

Depuis la glaciation du Würm [Futura-Sciences] le loess a été déposé sur ce plateau et celui voisin de l’Eure, pour atteindre plusieurs mètres.

« Pendant la glaciation du Würm, la Haute Normandie s'est trouvée dans la zone balayée par les vents partant de façon plus ou moins rayonnante d'un anticyclone centré en permanence plus au nord-est. C'est dans ces conditions que les plateaux de la région se sont trouvés recouverts par une couche de loess (limon des plateaux) [www.futura-sciences.com] qui atteint souvent plusieurs mètres. Aujourd'hui complètement décalcifié, ce dépôt constitue un sol légèrement acide, qui, moyennant un amendement calcaire, confère à une grande partie de l'Eure et de la Seine-Maritime une richesse agricole exceptionnelle. »

« Le pays de Caux est le pays le plus fertile que je connaisse au monde Ce qu’on appelle la grande agriculture y est porté à la perfection. L’épaisseur de son humus, quina en quelques endroits cinq à six pieds de profondeur, les engrais que lui fournit le fond de marne sur lequel il est élevé, ceux qu’il tire des plantes marines de ses rivages, qu’on répand à sa surface, concourent à le couvrir de superbes végétaux. » [Bernardin de Saint-Pierre, Voyage de Normandie, 1775 ; Pouchain, 2015] 

« Les limons du Caux, et surtout ceux du Vexin, passent cependant pour l’une des meilleures terres à blé de la France. Arthur Young (17871789) admirait la fertilité des « loams » qu'il traversa de Rouen au Havre » [Sion, 1909] 

A la même époque, dans les années qui suivirent  la Révolution Française, De la Morinière, l'un des fondateurs de la Société d'Émulation de l'Agriculture, du Commerce et des Arts de la Seine-Inférieure écrivait dans son essai sur le département de la Seine-Inférieure : il propose un tableau où cette marne abonde  dans de grandes proportions plus qu'ailleurs : du simple au double :  le district d'Yvetot vis à vis du district de Dieppe suivi de celui de Cany. 

« On emploie la marne dans tous ces districts maritimes pour fertiliser la terre. Cet usage date de loin, car il est question dans les anciennes loix des français, des règles à suivre pour l’emploi de la marne. Elle se trouve à des profondeurs très inégales. Les marneurs prétendent qu’elle est disposée par pyramides sous la terre, de sorte qu’on est souvent obligé de faire les frais de plusieurs marnières, avant d’en trouver une bonne […] » [De la Morinière, 1785]

Les limons et lœss : qualité des limons et de l’humus originel venu des forêts primaires.

Un milieu en harmonie entre, limon, marne et humus propice à une croissance végétale remarquable

« Les paysages agricoles sont très ouverts sur les plateaux couverts de limons fertiles et profonds favorables aux grandes cultures (blé, betterave, lin) […]  Les formes d’humus sous forêt indiquent un processus de décomposition des litières ralenti en raison de la relative acidité du milieu : - 23 % de la surface de forêt présente un humus de forme moder ou hémimoder ; - 4 % des humus sont de forme dysmoder. Cependant 61 % des humus ont un fonctionnement meilleur : formes oligomull à dysmull (30 %) ou eumull à mésomull (31 %). Les humus sont carbonatés sur 13 % de la surface de forêt de production. » [inventaire-forestier.ign.fr]

La Géologie du pays de Caux est favorable aux grandes cultures sur son territoire – plus tardivement aux pommiers.  

« Vigarié (1969) a bien montré l'importance des sols : « Le Cauchois naît dans le limon, vit dans le limon, travaille dans le limon et meurt dans le limon ». Le Caux ne forme cependant pas une « table » monotone ; il est au contraire entaillé par des vallées drainées. »[Vivier-Douyer, 1985]

Le Pays de Caux a des limites multiples si on contaste toutes les études réalisées depuis la cartographie romaine qu’elles le soient administrativement, géographiquement, historiquement, géologiquement, patrimonialement…

 

 

 

Voici une des limites et contours du pays de Caux : en orange le plateau sommital, en blanc correspond les vallées littorale et Seine du pays de Caux, en noir la vallée de Seine d'un côté ; et à l'est la vallée de l'Andelle ; au nord-est la boutonnière de Bray : plateau et vallées ; d'après une carte éditée en noir et blanc, colorisée par mes soins, m’inspirant d’une des cartes éditées dans le BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ BOTANIQUE DU CENTRE-OUEST, NOUVELLE SÉRIE, TOME 20 -1989 1990, avec l’aimable autorisation de René Guéry,  éminent botaniste seinomarin membre de cette société.

On s'aperçoit partant  vers le nord des Authieux-Port-Saint-Ouen  vers Buchy, et glissant à l’ouest  vers Tôtes, Yerville, Yvetot, Fauville, Goderville, Sainte-Adresse en pointe de Caux on voit que la ligne de partage des eaux réunit ce plateau qui de cette ligne suit de part et  d'autres les vallées vers la Manche  - Etretat, Fécamp, Saint Valery-en-Caux, Veulettes, Veules les Roses, Saint-Aubin-sur-Mer,  Quiberville, Pourville et Dieppe -  et les autres vers la Seine : Gonfreville l'Orcher,  la Cerlangue, Triqueville, Villequier, Sainte-Marguerite-sur-Duclair, Hénouville, Bois-Guillaume, Bihorel.

Sable rouge argile à silex, issu d'une poche en affleurement d'un talus à Yvetot © Pascal Levaillant 2020

 

 

 

Le pays de Caux : un terroir, un climat spécifique sous deux influences maritimes, celle de l'estuaire de la Seine et de l'autre la Manche.

La proximité de l’air marin et de l’influence maritime jusqu’ à Rouen comme un atout car la température océanique atténue les fortes gelées

Les conditions climatiques sont de type océanique : « Le Caux  et les plateaux voisins sont des régions où la chaleur est douce et égale, où les extrêmes sont rares et relativement faibles. Ils doivent la constance de leur température au voisinage de la mer qui, s’échauffant et se refroidissant moins vite que la terre, rafraîchit l’air l’été et l’attiédit pendant la mauvaise saison. Ce caractère est d’autant plus net que, à altitude égale, une station est moins éloignée de la mer. Du Havre à Rouen, il n’y a pas 75 kilomètres à vol d'oiseau, et pourtant le climat de Rouen est déjà moins soumis aux influences marines, moins régulier. […] Comme les écarts de température qu'entraînent, soit l’altitude, soit la distance de la mer, ne dépassent pas 1°,5 d’un point à l’autre de notre région, les dates des travaux agricoles ne varient que d’une ou deux semaines. » [Sion, 1909]

Le vent et leurs forces sont des contraintes et la pluie demeure un comme avantage parce que la mare permet de conserver l’eau.

 

La belle et grand mare du Plain Bosc à Etoutteville qui a été sauvée, curée et remise en eau par mes cousins. Elle sert à préserver à retenir l'eau de la plaine. Un reguge de biodiversité.

 

Le climat et la prédominance des vents d’ouest [Sion 1909] dont l’influence maritime se fait sentir jusqu’à Rouen est favorable aux cultures en raison de sa douceur relative atténuant les fortes gelées, alternant pluies et ensoleillement. En revanche les vents parfois violents ont toujours malmené les arbres, ce pourquoi les cauchois redoutant l’assaut des vents marins ont protégé leur habitat et leurs pommiers à l’abri dans leurs masures et autrement dit dans la cour.

Si les précipitations sont abondantes, elles font la réputation de la Normandie et du pays de Caux. « On s’explique que l’herbe si drue des masures normandes, pas sa croissance vigoureuse, rappelle aux anglais les pelouses de leur pays » [Sion, 1909].

Les vents. « La prédominance des vents d’Ouest concourt à rendre plus modéré et plus égal le climat de la Normandie, en portant dans l’intérieur l’air frais de la mer l’été, en réchauffant le continent l’hiver. Elle est très sensible dans le tableau suivant qui indique le nombre de jours où, durant les trente années 1853-1882, le vent a soufflé à Fécamp de telle ou telle direction. En réunissant les vents d’Ouest à ceux de Sud-Ouest et de Nord- Ouest, on voit que le vent venait de ce quart de l’horizon plus d’une fois sur deux. Sa direction moyenne est d’Ouest un quart Sud-Ouest. Elle varie du Nord-Ouest au Sud-Ouest et au Sud-Sud-Ouest suivant la saison. En mars, la direction moyenne du vent coïncide avec la moyenne annuelle ; il remonte vers le Nord jusqu’en juin, selon le mouvement apparent du soleil, puis il le suit dans sa descente vers le Sud jusqu’en décembre. […] Les vents d’Ouest la laissent se condenser en partie quand ils arrivent sur le littoral. Ce sont eux qui rendent si humide le climat normand. […] En même temps que les plus humides, les vents marins sont les plus violents. Sur les 86 jours où domine le vent d’Ouest chaque année, il est qualifié 29 fois de brise légère, 3o fois de bonne brise, 18 de forte
brise et 9 de très forte brise ou de tempête. Les grandes tempêtes viennent exclusivement du Sud-Ouest, de l’Ouest et du Nord-Ouest ; par contre, les vents du Sud et du Sud-Est sont les plus doux. Il n’est d’ailleurs pas besoin de girouette ni d’anémomètre pour constater la fréquence et la force des vents marins : la vue des arbres de la côte suffit. C’est pour protéger les constructions, pour empêcher les fleurs et les fruits des pommiers d'être emportés que les Cauchois entourent leurs vergers d’une lisière de hêtres ou d’ormes, plantés sur les fossés qui limitent la masure ; dans les fermes importantes, on renforce souvent cette enceinte en disposant devant le fossé deux ou trois rangées supplémentaires sur le côté qui fait face à la mer. Ces lignes de grands arbres, qui font la beauté régulière de la campagne cauchoise, montrent jusqu’à quel point, même à plusieurs dizaines de kilomètres de la côte, on redoute l’assaut des vents marins. » [Sion, 1909]

La pluie, l’eau de pluie est nécessaire à retenir mais elle reste impropre dans la mare. Seule les sources au pied du plateau coté Seine ou côté Manche sont des compléments à l’usage de l’humain.
 

Ces pluies dites de relief au pays de Caux varient d’un endroit à l’autre selon les inclinaisons du plateau vers la Seine et vers le Vexin. Paradoxalement les eaux sont peu retenues du fait que le sous-sol est calcaire. Néanmoins les cauchois - « les pucheux » - ont canalisé les eaux de pluie pour remplir des puits, des citernes et des mares sur les argiles leur permettant non pas de la consommer mais de la conserver pour divers usages (bétails, eau pour le cidre, incendie…). C’est bien après la seconde guerre mondiale que l’eau est arrivée dans les ménages au pays de Caux. [Couvret 1954]

Les précipitations 

« Les précipitations sont abondantes 800 à 1000 mm : « La quantité d’eau apportée par le vent du Sud-Est est donc trois fois inférieure à celle que déverse, soit le vent du Sud-Ouest, soit celui de l’Ouest. […]  La Normandie n'a pas usurpé sa réputation de contrée pluvieuse.
Sous forme de pluie, de brouillard, de neige ou de grêle, il tombe à l’Ouest du Caux près d’un mètre d’eau, quantité qui classe cette région parmi les plus arrosées de la France, immédiatement après les massifs montagneux, la Basse Bretagne et la côte Gasconne. […] On s’explique que l’herbe si drue des masures normandes, par sa croissance vigoureuse, rappelle aux Anglais les pelouses de leur pays. […]  Cette humidité, le Caux la doit au régime des vents et à l’altitude de ses campagnes. Les vents marins, presque saturés de vapeur d’eau, se heurtent contre les falaises de la Manche ; ils s’élèvent, se refroidissent et laissent se condenser la vapeur d’eau. Les pluies qui tombent sur ces plateaux, hauts de 100 à 200 mètres, rentrent dans
la catégorie des « pluies de relief », comme celles que produit dans nos montagnes de l’Est et du Centre la montée de l’air sur les versants orientés vers l’Atlantique. Le maximum se place, non pas dans la région la plus élevée, mais dans celle où les courants les plus humides, ceux du Sud-Ouest, de l'Ouest et du Nord-Ouest, combinent leurs effets, à l’extrémité occidentale de la péninsule. » [Sion, 1909]

Paradoxalement, soumis aux pluies abondantes le pays de Caux est pauvre en eau (et surtout potable).  « La Seine-Inférieure, pays à sous-sol calcaire, est, dans son ensemble, pauvre en eau. Celle-ci gît, dans le Pays de Caux, à des profondeurs de 60, 80, 100 mètres et plus. Beaucoup de communes n’avaient jusqu’ici d’autres ressources que des puits non permanents ou contaminés, des citernes ou des mares. […] déjà, bien avant la guerre 1939-1945, des efforts avaient été entrepris en vue d’organiser dans les campagnes des distributions d’eau ; de grands forages avaient été tentés. Malgré tout, en 1946, l’on ne comptait encore que cent seize communes rurales alimentées. » [Couvret, 1954]

La Mare était cruciale au pays de Caux, à plus d'un titre.

« Le pressoir était installé dans la cour d’une petite ferme proche, sous un appentis, à quinze pas de la mare. […] Il y fallait de l’eau de mare, la pluie même du ciel tombée sur l’herbe et se faufilant, clairette, par toutes les rigoles des chemins pour se décanter à l’ombre des arbres dans sa large cuve d’argile. » [Le Povremoyne, 1954]

 

 

Le pays de Caux : un terroir où la forêt s'est trouvée défrichée en partie pour l'agriculture, l'habitat, les fermes et masures  qui accueillirent, en lisière et dans des clairières de forêt,  des vergers et dans les masures et les cours le pommier et le poirier à cidre

Le pays de Caux s’il se caractérise aujourd’hui par sa structure d’habitat : la masure et/ou la cour elle est apparue singulièrement depuis les successifs défrichements. Au temps des Calètes il est supposé que sur leur territoire fut boisé à 80% [Lerond, 1978) mais rien ne dit qu’ils vivent exclusivement en forêts comme nous le verrons plus loin.

« En France, pommes, poires, merises, noisettes, glands, cynorrhodons d’églantiers, prunelles, cenelles d’aubépines, raisins ou olives, tous sauvages, composaient une partie de l’alimentation des derniers chasseurs-pêcheurs-cueilleurs du Mésolithique (9000-6000 av. J.-C), mais aussi des premiers agriculteurs-éleveurs du Néolithique malgré l’arrivée de plantes domestiquées du Proche-Orient au VIe millénaire av. J.-C. et de leurs successeurs. »  [Ruas ; Marinval 1988, 1999 ; Ruas & Marinval 1991 ; Ruas 1996 ; Ruas et al. 2005-2006 ; Zech-Matterne et al. 2008 ; Vaquer & Ruas 2009 ; Bouby 2010].

Forêt cauchoise, défrichements, reboisements, essarts, pommiers sauvages et pommes cultivées

Le pays de Caux un territoire jadis boisé abritait les pommes. Les premiers essarteurs de l’époque de bronze [Lerond, 1978] ont permis à la tribu gauloise des Calètes de se fournir en ressource pour le bétail et pour leur consommation propre, avant même que les Romains définissent une notion de propriété forestière (domaine) [Lerond, 1978].

« Les Celtes entretenaient des pommiers au milieu des forêts. Les druides considéraient qu’il s’agissait d’un arbre sacré, à l’égal du chêne. » [Parcs Naturels Régionaux de Brotonne et de Normandie-Maine, 1982]

Dès l’époque romaine, le Caux n’était certainement pas entièrement déboisé (Sion, 1909]

Puis les invasions des Saxons, [...] des Scandinaves ont poursuivi les défrichements avec alternance de reconstitution de massifs, reprenant au Moyen Age [Lepert, DRAC HN, 2014]

Au XIe siècle, une charte du Conquérant accorda à l’abbaye de Boscherville de nouveaux essarts de cette paroisse – Guillaume par ailleurs venait chasser dans ces forêts que les ducs voulaient préserver à cette fin [Sion, 1909]

« Il convient de préciser que le terme « forêt » ne désigne pas ici les seuls terrains densément boisés que nous appelons ainsi aujourd'hui. La forêt, c'est alors le terrain de chasse des rois normands, puis angevins et de leurs successeurs. Guillaume le Conquérant, infatigable chasseur, avait affirmé ses privilèges sur la forêt royale, mais celle-ci fut progressivement étendue par ses successeurs, jusqu'à ce que, en 1184 (Assize de Woodstock), Henri II décidât que la forêt royale relèverait d'une loi spéciale et non de la loi commune. Henry II, Richard et Jean étendirent démesurément le territoire soumis à ce régime juridique particulier, y incorporant des landes ou des prairies, et même des champs, des villages ou des villes, de telle sorte que la forêt ainsi entendue recouvrait un tiers du royaume. » [Charte de la forêt. Digithèque MJP, 2011]

Les actes du XIe et XIIe siècles l’évoquent, mais surtout au 13e siècle. Ils concernent les forêts de Préaux et de Cailli ; la forêt de Lillebonne ; la forêt de Halates, la forêt de Fécamp. 

Prenons l’exemple des défrichements ordonnés par le Clergé de Rouen sur l’exemple de  1296 où l’archevêque de Rouen donna aux moines de Saint Ouen la dîme des essarts de la forêt Verte et de la forêt de Lions. Autre exemple de la forêt de Roumare où le défrichement fut commencé sous Henri II qui par la suite vit la fondation de La Vaupalière, en 1257, les religieuses y acquirent des terres défrichées et essartées […] en 1269 concéda aux Emmurées de Rouen des terres labourables dans ses essarts près de Montigny, y bâtir une grange. L’abbaye de Saint Georges quant à elle y entreprit quelques défrichements où verra se cultiver la pomme Montigny [Delisle, 1903]

Si on prend l’exemple de la commune de La Cerlangue, elle fut créée vers 1240 car de nombreuses étendues de bois avaient été défrichées avant. En 1474 des fournitures de boisson et de cidre pour les ouvriers du château sont consignées. L’histoire de la commune relate également que les vergers de la Cerlangue étaient réputés dès cette époque et fournissaient le cidre de l’abbaye de Montivilliers.  Au temps du Moyen Age les écoles étaient subventionnées par la « fabrique de l’église » - terme ancien indiquant les biens et les revenus, par exemple les produits des pommiers dont le cimetière était planté à cette époque. [Bulletin de La Cerlangue, 1985]

« La vogue du cidre de Montigny, attestée par un acte du 14e siècle relatif à un marché de pommes, cité par M. Ch. De Beaurepaire dans ses Notes et documents sur l'état des campagnes de la Haute-Normandie pendant les derniers temps du moyen âge, avait certainement persisté au 18e siècle. C'est ce qui résulte notamment d'une mention très curieuse qui a été relevée par M. Félix et qui concerne l'acquisition d'une futaille de cidre de cette provenance pour le service de la maison du Roi, au Parc-aux-Cerfs, à Versailles. Une commande royale de cidre de Montigny, près Canteleu ; Rouen, 1883, in-8°, p. 13 .» [Le Paulmier, 1589 et 1906]

Concernant la couverture boisée de la forêt de Lillebonne et de la forêt de Fécamp il est précisé qu’elle se rejoignaient. Les bois résiduels des Loges et des Hogues n’étaient qu’un quartier de la forêt de Fécamp [Soulignac citant Deck, 1970], laquelle s’étendait d’Etretat aux Dalles, rejoignait au sud la forêt de Lillebonne. [Soulignac, 1980].

« Les ducs en admettant dans leur forêt de nombreux fiefs, l'abbaye par une gestion habile, certains barons formés par la pratique de l'administration ducale, les paysans par un travail acharné, tous, depuis le milieu du 10e siècle jusqu'à la fin du XIIe, ont contribué largement à la prospérité du duché par l'apport de terres neuves ; ils ont créé un paysage qui, sauf sur la côte, n'a guère varié en profondeur. » [Deck, 1970]

Cette évolution sera également décrite et cartographiée par Musset   René Musset dans son article intitulé Le nom et l'ancienne ceinture forestière du Pays de Caux ; les villages des défrichements médiévaux [Musset, 1961].

Pour beaucoup d’entre-elles les forêts bornaient le pays de Caux au nord-est par la vallée de la Varenne côté Caux, les parties boisées à l’est est de l’Andelle côté Caux Rouen, et enfin les forêts des bords de Seine et du plateau côté Seine. C’est là aussi que les paysans sont venus se grouper en terrains, (boel) autrement dit cour ou masure de part et d’autre de la rue devenant ainsi village. [Delisle, 1903]

En effet comme le signale Michel Lerond « La population rurale du Moyen-Âge est étroitement associée à la forêt qui est ainsi le siège d’une vie villageoise intense, abritant mille métiers et mille activités. La toponymie cauchoise est d’ailleurs significative à cet égard : Saint-Eustache-la-Forêt, Bois-Himont, Auberbosc, Saint-Martin-aux-Arbres » [Lerond, 1978]  et pourrait-on ajouter Boisguillaume, hameau du plein-Bosc à Etoutteville, Bois-d’Ennebourg, Bois-l’Evêque, Bosc-Bordel, Bosc-Edeline, Bosc-le-Hard, ...

 

Le verger au Plain bosc à Etoutteville où j'aidais mon père à ramasser les pommes à cidre, cela fait déjà 60 ans (on en ramassait près de 100 rasières sur les 1000 que pouvait contenir la cour.)

 

 

 

 

« Pour les pommes et les poires, nous avions à demeure des pommes à couteau  et chez notre tante Thérèse - Tata Golden- mais pour les pommes à cidre nous allions les ramasser à Etoutteville dans la cour  de la ferme de Bernard et Monique, nos cousins. Nous ramassions les pommes  puis elles étaient livrées par notre cousin en tracteur jusqu'à Yvetot. Nous lochions les pommes avec des gaules, nous secouions les grosses branches qui tombaient d’un seul coup sur l’herbe. Je me souviens du bruit mate de leur tombée dans l’herbe haute. Nous en prenions sur la tête avant de tout mettre dans des « pouches » ou dans des sacs plastiques à engrais retournés qui même rincés sentaient encore un peu la chimie. Nous en ramassions 70 rasières. [...]  Les pommes pourries servaient à des bagarres dans la cour : il y avait le clan des pommes « su» - les méchants -  et le clan des pommes douces – les gentils. Selon, on se traitait de soit pommes « su » ou de pommes douces. »

Le pays de Caux, ses masures, ses cours, ses us et coutumes …  Pascal Levaillant, 2022

Etant reparti du moyen-âge qui a contribué à redessiner le pays de Caux, suite à des invasions vikings mais aussi grâce à des défrichements, qui ont permis de voir apparaitre des habitations (masure) et des hameaux s’agrégeant en paroisse (village), les études de René Musset mettent en évidence les zones de défrichements qui se sont opérées autour du plateau sommital du pays de Caux, de la pointe de Caux jusqu’à l’Andelle.

 

 

Musset a focalisé sur les zones forestières qui ont subi des défrichements. Force est de remarquer que ces forêts et zones défrichées successivement ceinturent les limites qu’il définit du pays de Caux, du Havre à l’Andelle et de Rouen à Dieppe. D’après Musset, d’autre part le plateau non colorisé n’a que peu subit de défrichements peut-on en déduire ! et pourtant  selon de ce que Soulignac (1980) a évoqué ci-dessus que  la forêt d'Etretat  rejoignait la forêt de Lillebonne, ce qui semble-t-il  a échappé à Musset qui fit son étude plus tôt dans le siècle. (1961)

Voici la carte sur lequel il positionne ces défrichements successifs : en vert j’ai colorisé les forêts actuelles dont : 1 - Les principales sont désignées sur la carte par un numéro. Rive droite : 9, Forêt Verte ; 10, de Roumare ; 11 de Jumièges ; 12, du Trait ; 13, de Maulévrier ; en orange j’ai colorisé les forêts défrichées depuis le moyen âge : 2- Zones forestières au moyen âge, défrichées depuis.

Ces trois cartes  du pays de Caux montrent  finalement des contours assez proches les uns des autres.

 

Un pommier dit "sauvage" entre Maromme et Montigny en Seine-Maritime ©Pascal Levaillant 2024

 

Le pays de Caux : un terroir dans lequel l’habitat fut déterminant pour accueillir les pommiers et poiriers.

Développement à l'aube du second millénaire de la masure cauchoise à de la cour et du clausage (closage) :

talus -fossés plantés de trois rideaux, d’arbres et d’arbustes pour protéger du vent  la masure des vents d’ouest, forts à violents, avant d'y abriter durablement les pommiers et les poiriers à partir du mitan du 2e  millénaire.

 

Comme nous l’avons observé sur la carte établie par Musset les l’intérieur du plateau de Caux déboisé progressivement en en peu plus d’un millénaire, a permis aux successeurs des Calètes d’y mener une agriculture diversifiée basée sur les cultures céréalières - blé, orge…- entre autres servant à confectionner une boisson potable qu’était consommée à l’époque : la Cervoise sachant que les vignes s’acclimataient plutôt en vallée de la Seine et sachant que le cidre  apparut plus tard en commençant par être commencé par les religieux dans les abbayes. Toutefois il fallut attendre Charlemagne et l’établissement des Abbayes pour que la consommation du cidre fait à partir des vergers s’installèrent en clairière de certaines forêts et en lisière d’autres dont la tâche revenait aux curés qui cultivaient les pommiers à cette fin au nom des abbayes situées en vallée de la Seine ou dans les vallées affluentes de la Seine et leurs forêts adjacentes où s’y trouvaient les pommiers sauvages.

Il fallut attendre plus tard dans le second millénaire pour que les cours et les masures s’y rattachant y soient affectés.

Masure, clausage et closage

Ce dispositif semble être le prolongement d’anciens habitats ruraux de la Tène finale/Haut Empire que des archéologues ont découverts suite à des fouilles du siècle dernier lors des chantiers routiers et autoroutiers de l’A 29 ou de rocades de ville colle sur le plateau nord  de Rouen comme celles décrites par Philippe Fajon sur lesquelles nous reviendrons en citant plus tard quelques-unes de ses conclusions.

Avant cela nous pouvons citer quelques extraits de ses recherches sur l’exploitation agricole antique du pays de Caux et comme préambule à la masure.

Philippe Fajon décrit l’agriculteur : « au sens de « celui qui gère l'espace agricole autour de son siège d'exploitation par une forme de maîtrise foncière » est autonome dans ses décisions d'affectation du sol. L'agriculteur crée le paysage autour de sa ferme en façonnant les espaces sur lesquels il travaille. »

Il évoque une relation de continuité semble exister en ce sens et constate des cas d'enclos attribués à une activité agricole dominante. L'enclos dit-il « semble être effectivement le critère commun qui traverse le temps pour ces exploitations ex :  Saint-Antoine-la-Forêt "Le Clos Pestel" (Ladureau, 1995) ou Grémonville "Le Bois Thillant" (Rougier, 1995); Bolbec "Les Maréchaux" et "Les Maréchaux sud" ; Saint-Valéry-en-Caux "Ancien centre mobilisateur 39" ; Eslettes "Le Manoir Bosquet" ; Saint- Romain-de-Colbosc "Contournement ouest" ; 15 - Bois-Guillaume "Contournement…[…] présentent des enclos  dans leur forme élémentaire (fig. 2). Sur d'autres sites comme Etaimpuis "La Briquetterie" (Blancquaert & Herment, 1995), Veauville-les- Baons "RD 37", Baons-le-Comte "Les Baons" (Blanquaert & Desfosses, 1997), […] on constate la continuité stricte qui existe entre les éléments fossoyés formant enclos à la fin de l'Âge du Fer et les systèmes parcellaires qui se développent sur les mêmes sites selon l'organisation établie antérieurement […] avec ces exemples, cet article nous fait constater la marque laissée par l'agriculture gauloise puis gallo-romaine dans notre paysage. Nous n'avons pas cherché ici à modéliser mais simplement à proposer une suite d'observations visant à répondre à la question de l'opportunisme des choix d'implantations des fermes antiques. » [Fajon, 2003]

Commençons par examiner ce lieu, cet espace agricole singulier selon  la définition que donne Léopold Delisle à la masure au moyen-âge

" La masure (en latin "mansura, "masura", "masagium) , "mesagium", "masnagium", etc... n'était point une tenure particulière. C'était plutôt l'indication de l'habitation du paysan avec ses dépendances, de sorte qu'une masure pouvait être tenue aussi bien en vavassorie qu'en bordage. On appelait surfait tout ce qui s'élevait sur la masure. [...] A côté de la masure doivent être signalés le clausage, synomyme de masure, le cottage, qui indique quelquefois la tenure d'un jardin, ainsi que le courtillage ; la croûte dont le nom est resté attaché à un grand nombre de nos champs, l'ouche et le pourpris, espèces de cour. [...] »

A masure il faut entendre le synonyme cour que le corps notarial a cherché à changer en 1866 par la locution cour-masure, locution qui elle-même a été remplacé par un couple d’architecte en 1968 la transformant en clos-masure, autre locution, qui ne sont pas ni l’une, ni l’autre pour autant au dictionnaire de la langue française.

Dans le cœur des cauchois,  la cour masure, la masure ou la cour sont encore la référence que le clos-masure ne remplacera jamais véritablement d’autant que leur mutation en espaces immobiliers vient déprécier leur fonction initiale mais faut-il rappeler qu’au 19e siècle bon nombre de parisiens ou de rouennais ont fait des vavassories et de manoirs une résidence secondaire ce qui explique l’introduction de la cour-masure dans les annonces immobilières en 1866 par le corps notarial local voire national. 

 «  Masures : sens provincial, la cour plantée entourant la maison d’habitation et les batiments agricoles d’un cultivateur. « On appelle masures en Normandie, les terrains en campagne, enclos de haies, fossés ou murs, en nature d’herbage et ordinairement plantées d’arbres fruitiers ». (Journal des arrêts des cours royales de Rouen et de Caen, t. VII, 1827, p. 41).» 

in : Droit privé et Institutions régionales, Études offertes à Jean Yver, Sous la direction de Société d'histoire du droit et des institutions des pays de l'Ouest de la France ; Fossés cauchois et normands, André Dubuc, p. 183-196 in : books.openedition.org

 

Et si... 

 

Et si c'était pour cette raison lexicale que la locution[1] « clos-masure » identifiée  à propos du  dossier d'inscription du "clos-masure" au Patrimoine mondial de l'UNESCO n'ait pas été retenu ! possible d'autant que j'ai trouvé la preuve qu'en pays de Bray les enclos de talus et fossés plantés d’arbre (futaie) ont existé avant d'être remplacés par des enclos de haies.  Oui, c'est avéré ! en dépit des apparences d'aujourd'hui.


[1]Préférence du mot à locution : Franz Josef Hausmann formule une critique cinglante de l’état actuel de la phraséographie, dont la carence est d’autant plus patente pour le locuteur étranger. Les dictionnaires non spécialisés privilégient le mot : les locutions, lorsqu’elles sont présentes, y sont mal traitées, telles les collocations qui, sémasiologie oblige, ne donnent pas les collocatifs à l’article de la base, là où on serait justement amené à les chercher.

 

Seuls le Littré, le Larousse et le Trésor de la langue française cible le mot du vocabulaire français dans son acception dimension régionale : Littré : « Nom, en Normandie, de l'enclos, ou verger, ou herbage planté d'arbres fruitiers, dans lequel sont situés les bâtiments de la ferme »

Larousse : « Maison rurale traditionnelle du pays de Caux, composée de plusieurs bâtiments d'habitation et d'exploitation dispersés dans un pré clos de haies et planté de pommiers. »

Voilà ce que rapporte le Trésor de la Langue française  : « Définition masure - Région. (Pays de Caux)

 

1. Habitation rurale ; ensemble de bâtiments d'une exploitation agricole. Les préoccupations d'arboriculture et d'élevage se font sentir dans la ferme-masure caractéristique du pays de Caux. Elle se distribue en bâtiments séparés, mais tous compris dans l'enceinte rectangulaire (VIDAL DE LA BL., Princ. géogr. hum., 1921, p.180).

2. Herbage clos planté de pommiers ou d'autres arbres fruitiers entourant les bâtiments de la ferme. Le régisseur aida Bouvard et Pécuchet à franchir un échalier, et ils traversèrent deux masures, où des vaches ruminaient sous les pommiers (FLAUB., Bouvard, t.1, 1880, p.27).

3. Jusqu'à nos jours, c'est dans ces gains successifs que tient toute l'histoire du pays de Caux. Ainsi se sont multipliées les fermes entourées de leurs vergers ou masures [it. ds le texte], d'où le fermier surveille son bétail, et que flanquent des fossés, ou levées de terres garnies de hêtres. »

 

La masure, l’espace par excellence dédié au verger, aux pommiers. André Vigarié nous offre une des plus belles descriptions de ladite masure Cauchoise dont Jean-Robert Pitte nous fait l’éloge dans son Histoire du paysage français. [Pitte, 1983]

« André Vigarié - dans ses études sur la masure cauchoise. On sait qu'elle représente le plus beau type de maison à cour ouverte, c'est à dire constituée de bâtiments dispersés au sein d'une pâture complantée de pommiers et close d'un fossé doublé d'un talus planté de hêtres. [...] La structure dissociée la rend bien adaptée à l'économie rurale variée Pays de Caux : céréaliculture, élevage bovin et porcin, pommiers à cidre. […] ce type de maison se rencontre tout au long des littoraux qui vont des Pays Baltes et du Jutland à la Normandie et au Devonshire […] cette aire d’extension best celle de la civilisation noroise des 10e et 11e siècles. » [Vigarié, 1969, Pitte, 1983]

 

A la masure il convient d’associer le mot « cour ».

"Les exploitations rurales du pays de Caux sont connues aujourd'hui sous le nom de « cours-masures » ou « clos-masures », termes empruntés aux géographes, que les habitants n'emploient pas eux-mêmes, utilisant les termes masure ou cour.  » [Bouillon, 2008]

Cet auteur apporte quelques précisions qui pourront éclairer le lecteur :

« De même, « l’herbage » clos planté de pommiers ou de fruitiers entourant les bâtiments de la ferme » correspond très exactement à ce que les Cauchois appellent encore aujourd'hui une cour. Pour notre part, nous nous référerons ici à l'article Masures de la Coutume de Normandie. [D. Houard, 1780-1783] « La Coutume réformée, article 271, entend par ce mot ce que la Coutume ancienne appelloit ménages ; c'est-à-dire ce qui comprend les bâtiments, le clos, la cour & le jardin ». Cette acception fait de la cour un des éléments constitutifs de la masure que nous définirons donc comme l'espace clos qui entoure la maison d'habitation, et où les divers bâtiments de la ferme (écurie, étable, bergerie, charretterie, four) sont répartis. » [Bouillon, 2008]

Faut-il enfin définir cette cour comme « L’espace clos qui entoure la maison d’habitation et où les divers bâtiments de la ferme (écurie, étable bergerie, charretterie, four) sont repartis » ou autrement dit « cour-masure, expression encore utilisée par les notaires pour désigner une maison avec un peu de terrain. Autrefois aucune maison n’était vendue sans un jardin. » [Bouchard-Le Scour, 1981].  Enfin ce mot est choisi pour désigner une fois de plus cet espace cauchois : « Dans le pays de Caux, la cour, revêt l’ampleur de la richesse, la rigueur des tracés réalisés pour les siècles, le bien-être de l’abri parfaitement protégé des vents de la plaine, la beauté du végétal savamment ordonné, hêtres, pommiers, herbe. » [Frémont, 1981]

A propos de l'apparition des masures et des cours, Michel Lerond apporte des éclairages  sur les raisons qui les ont constituées d’autant plus intéressantes qu’au 13e siècle in ne parle pas encore du pommier en son sein : 

« Il serait difficile et imprudent d’être affirmatif sur la genèse des cours et de la situer précisément dans le temps. […] Sans doute cette structure paysagère s’est-elle mise en place très progressivement, un élément fondamental étant sa dispersion. Celle-ci est due à la facilité de retenir une réserve d’eau, la mare, sur le sol argileux ; cette réserve étant indispensable du fait de la rareté des rivières. Vers les 12e et 13e siècles une exploitation comporte certainement un ensemble de champs autour d’un bloc maison-abri du bétail. La progression démographique fait éclater les familles et crée de nouveaux « feux » auquel l’élevage ovin apporte la matière première à un artisanat rural naissant. […] Dès la fin du 13e siècle, les clairières se sont agrandies pour faire place à de vastes champs ponctués d’enclos à moutons. […] Les défrichements ayant pris une grande ampleur, le bois[1] devient une matière plus rare et sa vente s’organise. C’est sans doute à partir de ce moment que les paysans ont cherché à assumer leur propre production de bois en plantant des arbres autour de l’enclos à moutons, protégeant les animaux et l’habitation des vents forts. » [Lerond, 1978]

 

[1] Droit d'usage concédé, à l'origine, de la propre volonté du seigneur à une communauté d'habitants, l'autorisant à se servir du bois pour se chauffer. La plupart des coutumes limitent le droit de l'usager au bois mort, ou au bois vif des essences inférieures de la forêt. L'affouage peut aussi être le produit de la forêt de la communauté, destiné au chauffage est délivré aux habitants. La forêt, qui fournit l'affouage, s'appelle souvent la fourasse. Le mot "affouage" date du XIIIe siècle et vient du verbe d'ancien français "affouer" = chauffer, lui même du latin "affocare". In : foret.chambaran.free.fr

Quant à Sion, il évoque la masure à propos du pommier et du cidre, ce qui introduit le pommier dans la cour et la masure au mitan du 15e  siècle: « C’est à la fin du 15e siècle, lors de l’œuvre de restauration qui suivit le départ Anglais et la pacification du plat pays, que le pommier fut cultivé dans le pays de Caux et dans le Vexin. De grands propriétaires, comme l’archevêque de Rouen, obligèrent alors leurs fermiers de planter les entes, souvent achetées dans le Roumois, après avoir essarté sol et l'avoir « déroché » s’il était nécessaire. Le verger était établi dans une partie de la masure, souvent dans le jardin, près de la grange ; parfois, « afin de rompre les vents qui pourraient grever ou abattre les dits pommiers », […]. C’est peut-être de cette époque que date l’aspect typique des fermes cauchoises, avec les grands arbres qui surmontent leurs « fossés ». Parfois aussi, le verger excédait les limites de l’ancien jardin et l’on enclosait des champs voisins. La masure s’agrandissait, et l’extension de la culture du pommier correspond’ peut-être à un développement des prairies. […]. Si l’usage du cidre se généralisa vers le 16e siècle dans la Normandie orientale, c’est que la fabrication de la cervoise avait l'inconvénient d’absorber une partie importante des céréales récoltées.» [Sion, 1909]

Ainsi localement pour désigner ce qui est nommé comme étant ménages, masure, cour, cour-masure d’hier ou clos-masure d’aujourd’hui, la masure cauchoise au 15e siècle fut idéale pour y accueillir ces pommiers comme elle l’a été à la fin de la Guerre de Cent Ans.

Mais avant de revenir à ce changement de paradigme arrêtons-nous un instant sur la pomme avant de revenir au « vin de pomme » comme l'a dit si bien Michel Lerond en 1978.

- de la pomme « sauvage » aux premiers cidres

 

Il est nécessaire de distinguer les pommes entre elles pour mieux comprendre leurs spécificités.

Quid de la pomme Sieversii,  de la pomme cultivée, de la pomme sauvage sylvestris, de la pomme à cidre…

 

 

Je vous propose de faire le point  avec Marie Pierre Ruas, Amandine Cornille et Michel Chauvet.

Michel Chauvet, Michel Cambornac et Marie-Pierre Ruas ont contribué à mon exposition "Herbier contemporain délicieux " aux jardins de l'abbaye Saint-Georges de Boscherville en 2021.

« La pomme[1] fait aussi désormais l’objet de recherches génétiques et paléogénétiques parallèles. La génétique moderne a montré que le pommier domestique (Malus domestica), un des principaux fruitiers cultivés en Europe tempérée, n’a pas pour ancêtre le pommier sauvage européen (Malus sylvestris), contributeur secondaire à la diversification des variétés cultivées, mais un pommier sauvage d’Asie centrale, Malus siviersii, qui forme encore des forêts au Kazakhstan (Velasco et al. 2010 ; Cornille et al. 2012). [Ruas, 2016]

« En France, pommes[2], poires, merises, noisettes, glands, cynorrhodons d’églantiers, prunelles, cenelles d’aubépines, raisins ou olives, tous sauvages, composaient une partie de l’alimentation des derniers chasseurs-pêcheurs-cueilleurs du Mésolithique (9000-6000 av. J.-C), mais aussi des premiers agriculteurs-éleveurs du Néolithique malgré l’arrivée de plantes domestiquées du Proche-Orient au VIe millénaire av. J.-C. et de leurs successeurs (Marinval 1988, 1999 ; Ruas & Marinval 1991a, b ; Ruas 1996 ; Ruas et al. 2005-2006 ; Zech-Matterne et al. 2008 ; Vaquer & Ruas 2009 ; Bouby 2010). » [Ruas, 2016]

Quant au pommier sauvage (malus sylvestris) dont l’origine est a été recherchée  Michel Chauvet, nous précise également certains faits concernant ses usages au temps de la préhistoire : « A l’époque préhistorique[3], les pommes sauvages étaient abondamment cueillies. [...] Peu agréables à manger à l'état cru, elles étaient conservées par dessication, et devaient être consommées en mélange avec d'autres fruits sauvages dans des boissons fermentées, ou cuites dans diverses préparations. Avec la diffusion des pommiers cultivés, les pommiers sauvages ont été diversement introgressés au cours des siècles. Ils étaient communs dans les haies avant que celles-ci disparaissent. Il est difficile de différencier ceux qui sont vraiment sauvages de ceux qui résultent de semis d'un pépin d'un type cultivé. » Après la domestication, le pommier sauvage a été délaissé comme aliment, mais il a toujours été recherché dans les forêts pour servir de porte-greffe.

Michel Chauvet, m’a transmis quelques autres explications dans l’état des connaissances actuelles car depuis 1929 et 2009, la Science en sait davantage ce qui permet de clarifier leurs origines.

« Tout d'abord, il faut savoir que les pommiers, comme de nombreux arbres fruitiers ou autres, sont essentiellement allogames et interfertiles. Ce que nous appelons des espèces pourrait donc être considéré comme des races géographiques.

Malus sylvestris donne de petites pommes qui ont été utilisées séchées ou fermentées pendant la préhistoire. Mais effectivement, il a fallu attendre l'apport de Malus sieversii à gros fruits pour que commence l'histoire de la pomme cultivée. 

Cela a été rendu possible grâce à l'invention de la greffe, au premier millénaire avant J.C. Le greffe permet de fixer les caractères intéressants, alors que le semis rebrasse les caractères. Cela dit, l'homme a aussi utilisé certains semis de hasard qui donnaient de bons fruits. C'est pourquoi on distingue Malus domestica comme espèce d'origine hybride (surtout entre sieversii et sylvestris). À tout moment dans l'histoire, on peut avoir des croisements entre pommiers cultivés et pommiers sauvages locaux. Cela s'est aussi passé en Amérique du Nord avec Malus coronaria.

La diffusion de Malus sieversii en dehors de son centre d'origine est donc le fait de l'homme qui a propagé des greffons.

Je ne pense pas que le pommier à cidre ait une origine différente, car il a lui aussi de gros fruits. »

Dans l’encyclopédie des plantes alimentaires qu’il a publiée en 2018, Michel Chauvet nous avait déjà rapporté que :

« Les pommiers à cidre ont souvent été considérés comme botaniquement distincts, et on une histoire particulière. […] Si des boissons fermentées à base de pommes sauvages sont attestées dans les premiers siècles sous le nom de pomacium, il semble que la production de cidre avec des cultivars spécialisés ait débuté au pays Basque. Les premiers cultivars de pommier à cidre seraient arrivés par voie maritime dans le Cotentin (Normandie) à partir du 10e siècle. […] Par hybridation avec les pommiers sauvages, la gamme actuelle des pommiers à cidre s’est alors constituée. Les Normands ont à leur tour introduit des pommiers à cidre en Grande-Bretagne lors des conquêtes anglo-normandes. » [Chauvet, 2018]

Pour citer deux pommes à cidre Michel Chauvet donne l’exemple de « Bedan », cultivar ancien de l’est de la Bretagne et de Normandie. Ovoïde, jaune piqueté de rouge-brun.

« Kermerrien », du Finistère et du Morbihan. Conique, rouge.

« Marin Onfroy », de la Manche, dédié à un gentilhomme normand du 17e siècle. Jaune lavé de rouge.

Gautier et Marchenay nous ont aussi  précisé la nature des pommes à cidre et de leur provenance.

« Les pommes à cidre[4]  ne sont généralement pas comestibles. On les divise en trois catégories : les pommes sures, qui fournissent un jus acide, clair, léger, sujet à noircir ; les pommes douces, moins riches en suc, qui donnent un jus sucré et un cidre très agréable mais passant à l’amer ; les pommes amères ou âpres, qui fournissent un cidre généreux, coloré, ayant du corps, apte à bien se conserver. Les meilleurs cidres se font avec un mélange des deux dernières variétés. On ajoute quelquefois un cinquième de poires. » [Gautier, 1904]

« Les premiers cultivars de pommier à cidre seraient arrivés par voie maritime dans le Cotentin (Normandie) à partir du 10e siècle. Ces introductions auraient continué jusqu’au 16e siècle, avec les cultivars ‘Marin Onfroy’ et ‘Barbarie de Biscaye’. Par hybridation avec des pommiers sauvages, la gamme actuelle des pommiers à cidre s’est alors constituée. Les normands ont eu à leur tour introduit des pommiers à cidre en Grande-Bretagne lors des conquêtes anglo-normandes. » [Marchenay, 1981]

 

Pour en savoir plus sur le Malus sieversii, Michel Chauvet nous conseille la lecture de cet article de Daniel Mathieu à propos de l'origine de la pomme  publié dans : www.tela-botanica.org 

Malus sieversii, l’ancêtre vivant de toutes les pommes cultivées.

« Pour comprendre l’histoire de Malus sieversii il est nécessaire de savoir que jusqu’en 1989 -année de la chute du mur de Berlin- tous les travaux réalisés par des chercheurs soviétiques, étaient inconnus du monde occidental. On supposait alors que nos pommiers cultivés descendaient de pommiers sauvages disséminés dans la grande forêt de feuillus couvrant l’hémisphère Nord. Les fruits de ces Pommiers petits et amers faisaient le régal des oiseaux et des petits mammifères, mais pas des humains.
Mais lorsqu’en 1989 le généticien Herb Aldwinckle se rend au Kazakhstan, il découvre d’immenses forêts de pommiers sauvages ne présentant aucuns éléments de comparaison avec les arbres solitaires d’occident.
Leurs fruits d’une étonnante biodiversité, sélectionnés pour leurs qualités par les ours pendant des milliers d’années, sont à la fois plus gros et sucrés.
Fort de cette découverte, il s’aperçoit que deux éminents chercheurs Nicolaï Vavilov et Aymak Djangaliev s’étaient bien avant lui penchés sur ce phénomène unique.
Dès 1929, le russe Vavilov affirme que le Tian Shan est le centre de l’origine de la pomme, et Aymak Djangaliev son disciple consacrera sa vie au recensement et à l’étude des pommiers Malus sieversii.
Le fin mot de cette histoire sera apporté par le généticien Barrie Juniper en 2002. Grâce à des outils moléculaires il démontre que Malus sieversii, la pomme du Kazakhstan, est à l’origine de toutes les pommes cultivées.
Boostée par ces révélations, une équipe européenne dirigée par Velasco fournira la preuve irréfutable de cette origine à l’aide du séquençage du génome complet de la pomme fin 2009.

La route de la pomme

Partie du Kazakhstan, cette pomme voyage depuis plus de 10 000 ans avant notre ère. Portée par les nomades puis par les caravanes de la route de la soie, au gré des guerres et des migrations de populations. Elle traverse les civilisations de l’antiquité, croise les Perses et les Grecs et arrive en Gaule par les Romains. Fruit illustre de la renaissance cette pomme atteindra les rives du nouveau monde à bord des caravelles des grands explorateurs.

Les particularités de Malus sieversii

1-milieu naturel :
Les pommiers Malus sieversii évoluent en bord de steppe et dans les piémonts jusqu’à 2400 m d’altitude. Ils sont soumis aux rigueurs de l’hiver -40°C dans le nord et de l’été chaud et très sec dans le sud +40°C.

2- une sexualité débridée assure sa biodiversité :
Le Malus sieversii a besoin d’un partenaire sexuel pour se reproduire. Comme chez les humains chaque individu arbre est unique. Cette diversité se retrouve dans la forme et la taille des arbres mais aussi dans les fruits. Un arbre aux pommes rouges pousse au voisinage d’un autre aux fruits verts, une petite grappe jaune se trouve à quelques mètres de mastodontes bigarrés. Avec les pommes sauvages du Kazakhstan se déploie une incroyable diversité de couleur, de taille et de goût.

3- une résistance hors-norme aux maladies :
Habituée à vivre à l’état sauvage depuis des millions d’années selon les principes de la sélection naturelle, les Malus sieversii ont su développer des résistances aux maladies notamment celles qui frappent aujourd’hui nos vergers modernes tels la tavelure, l’oïdium et le redoutable feu bactérien. Ces pommiers sauvages sont donc une alternative aux pommes industrielles qui aujourd’hui nécessitent plus de 36 traitements de pesticides par an pour êtres commercialisées.

Un patrimoine mondial en péril

Politique de destruction initiée par l’URSS, ignorance, déforestation sauvage, urbanisation tous azimuts : 70% des forêts de pommiers sauvages ont déjà disparu. La vaste forêt primitive se réduit comme une peau de chagrin, emportant avec elle un patrimoine génétique inestimable. Et la prise de conscience se fait attendre… Les pommiers sauvages disparaissent progressivement dans l’indifférence générale. Avec la mort de Djangaliev, ils ont perdu son plus actif défenseur. »


[1] M.P.Ruas - in :  shs.hal.science

[2] M.P.Ruas - in :  shs.hal.science

[3] Les restes carbonisés de petites pommes, souvent coupées en deux, sont fréquents dans les sites archéologiques du néolithique bet de l’âge du bronze en Suisse, mais aussi en Allemagne, au Danemark, en Europe centrale et du Sud. In Michel Chauvet, Encyclopédie des plantes alimentaires - 700 espèces du monde entier - 1700 dessins, Belin, 2018, p.599.

[4] In : L'alimentation et les régimes chez l'homme sain et chez les malades (2e édition revue et augmentée) / par Armand Gautier, Paris, 1904,: gallica.bnf.fr

 

Ne pas oublier pour compléter votre information :  "Les origines de la pomme ou le jardin d'Eden retrouvé", le film de Catherine Peix diffusé sur ARTE le 10 mai 2010 

2 - De la pomme « sauvage » aux premiers cidres

« Le pommier fait sa place au verger. Cette évolution ne s’est pas faite en un jour, mais en plusieurs millénaires »

[Marchenay, 2008 - Des pommes]

 

Philipe Marchenay nous raconte aussi que cette pomme sauvage est un fruit riquiqui, minuscule de couleur verte comparée à la pomme domestiquée, bien plus grosse, prenant d’autres couleurs du jaune au brun que l’on croque avec saveur contrairement à la pomme sauvage qu’il est impossible d’en avaler une bouchée.

Philippe Marchenay nous rappelle qu’on ne sait pratiquement rien des variétés de la Gaule d'avant 800.

Le 9e siècle est l'époque à laquelle on commença à s'occuper réellement des fruits.» [Marchenay, 2008]

L'un des auteurs importants pour l'histoire du cidre et de son amélioration est Auguste Chevalier, car  ses recherches en tant que botaniste sont toujours reconnues par ses pairs et ils s'y réfèrent continuellement comme Marie-Pierre Ruas citant Chevalier en 2016 : 

« Curieux de comprendre les facteurs de diversification des espèces fruitières, il estimait nécessaire de rechercher « en particulier » l’origine des genres poirier, pommier, cognassier, pêcher, prunier, cerisier, abricotier, notamment en région méditerranéenne, afin de révéler, dater et suivre les itinéraires biogéographiques des cultivars au cours des transmissions et des sélections (Chevalier 1939, p. 641).» [Ruas, 2016]

Auguste Chevalier nous rapporte, en tout premier chef, l'histoire du pommier sauvage.

« du Malus silvestris - Le pommier sauvage de nos bois qui en s'hybridant avec les pommiers de l'Asie et du Sud-est de l'Europe a produit le Malus domestica de nos vergers est une plante très ancienne. Il a existé probablement en Europe depuis la fin du tertiaire. G. de Saporta en a rencontré des empreintes de feuilles dans les tufs quaternaires des Aygalades (période chelléenne), près de Marseille et à Saint-Antonin dans la même région. Parmi les débris de forêts submergés de Belle-Ile-en-Mer, M. E. Gadeceau a trouvé le Pommier de Deuborh avec la souche encore en place qui pouvait avoir 0m30 à 0m40 de diamètre ; il n'est pas douteux qu'il appartient au Malus sUvestris. Or, ces forêts sont contemporaines des tourbières néolithiques du nord-ouest, postérieures §. la période glaciaire. Le Dr Erland Nordenskiold nous signale qu'on a trouvé aussi en Suède dans les couches des habitations lacustres un assez grand nombre de pommes bien conservées.[...]  A11e siècle, on n'avait bu en Normandie que le cidre (pomacium) fabriqué avec les pommes sauvages récoltées dans les bois.

Sans être à proprement parler cultivé, le Malus sylvestris devait cependant être entretenu par les Celtes à travers les forêts. Les pommiers sauvages étaient encore très abondants au Moyen Age dans les forêts des diverses régions de la France, principalement en Normandie. La récolte des pommes des bois était réglementée et les serfs devaient la dîme sur le produit de la cueillette. Celle-ci n'eût plus d'intérêt lorsque la culture du pommier à cidre se fût répandue dans les champs. En outre l'aménagement des forêts et l'arrachage des plants de pommiers sauvages (nommés surets, les fruits se nommaient hoquettes  pour en faire des porte-greffes amenèrent peu à peu la raréfaction du Malus silvestris dans nos forêts.

Le bourguignon Raoul Tortaire (mort vers 1113), ayant bu du cidre dans une taverne à Bayeux, le trouva exécrable.

Il ne pouvait être question que de la boisson fabriquée avec les fruits sauvages.

L'introduction en Normandie de nouveaux types de pommiers robustes à gros fruits, si différents de ceux qui vivaient dans les forêts et donnant un jus supérieur, marque une époque nouvelle.

Les formes introduites s'acclimatèrent par la dissémination naturelle des pépins et il se produisit de nouveaux hybrides entre les formes introduites et les races locales du Malus silvestris, chaque région arrivant peu à, peu à avoir ses variétés spéciales dont plusieurs se sont conservées plus ou moins intactes depuis le 16e siècle, jusqu'à nous.

Vers 1550, d'après le Sire de Gouberville et Julien Le Paulmier, l'introduction de nouvelles greffes venant de Biscaye se faisait encore en Normandie.

Il n'est pas douteux que dès le 12e ou le 13e siècle, d'après Leopold Delisle, la culture du pommier avait gagné la Vallée d'Auge. Elle mit plus de temps à s'étendre dans la Vallée de la Seine, puisque d'après Le Paulmier, vers 1540, la cervoise était encore la boisson habituelle de Rouen, et c'est vers cette époque que la culture du pommier s'établit dans le pays de Caux avant de s’établir dans le Pays de Bray." [Chevallier 1921]

Le genre Malus comprenant 30 à 50 espèces des zones tempérées de l'hémisphère Nord. Les pommiers sauvages ont des fruits de petite taille (moins de 3 cm de diamètre. [...] En fait tous les pommiers sauvages sont fertiles entre eux et avec les pommiers cultivés. La situation s'est compliquée avec la diffusion de la culture du pommier. Souvent, les pommiers sauvages ont été surgreffés sur place avec des formes cultivées, ou transplantées comme porte-greffe. [...] Cela explique la confusion persistante de la nomenclature. [Chauvet, 2018]

Le voyage des pommes vers la Normandie : la route de l'Italie (de la Rome antique)

De l’antiquité au Moyen Âge, les pommes de table se sont cultivées notamment sous Charlemagne.

Dans l’antiquité, Théophraste laissa une liste de six variétés : les sauvages, les cultivées, les précoces, les tardives, les douces, les épirotiques originaires de l’Epire. (en Grèce actuelle sous l’Albanie).

« Dans l'Antiquité, Théophraste ne mentionne que quelques catégories de pommes, mais Pline en cite une vingtaine. Olivier de Serres en énumère 50 en 1623, et Leroy 550 en 1873. On estime qu'au 19e siècle, 7000 cultivars ont été décrits dans le monde. [Chauvet, 2018]

 

Pline décrivit une vingtaine dit-on. Il cita le cidre fait avec des pommes écrasées sous la meule. Palladius (Palladius, agronome latin, inventeur d'un Calendrier rural) décrivait que les vergers étaient riches. L’importation de diverses espèces en Gaule contribua à enrichir le patrimoine pomologique. Les druides celtes récoltaient le gui sur le chêne et sur le Malus acerba appelé le Mâl.

L’importation de diverses espèces en Gaule contribua à enrichir le patrimoine pomologique.

Au premier siècle de l'ère chrétienne, Strabon (géographe et historien) évoque l’existence de la poire et de la pomme en Gaule.  J. Thaurin (archéologue Rouennais) trouva, lors de fouilles du sol de la ville de Rouen au 19e siècle, des pommiers en décoration sur des poteries gallo romaines fabriquées à Rouen entre 120 et 140 de notre ère. Hauchecorne et De Bouteville en déduisent : « Si cette observation était sûrement constatée, il faudrait en conclure que dès lors les fruits du pommier étaient non-seulement abondants, mais encore tenus en grande estime par nos ancêtres. » [Hauchecorne-De Boutteville, 1875]

Ainsi au fil du temps la culture du pommier s’est répandue en Europe, les premiers cultivars se sont hybridés avec diverses populations de malus sylvestris, et les semis de hasard ont donné naissance à de nouvelles formes parmi lesquelles les agriculteurs ont choisi les clones qui leur convenaient. Les meilleurs cultivars ont été échangés au cours de siècles d’un pays  à l’autre dans toute l’Europe nous dit Michel Chauvet.

« Le principal verger de la France, jadis comme aujourd'hui, ayant été la Normandie il faut interroger les archives et les vieux écrivains de cette province, si l'on veut présenter un ensemble de faits historiques se rattachant à la propagation primitive du pommier. On y voit, de l'an 1000 à l'an 1300, la haute noblesse, les évêques, les abbés favoriser de tout leur pouvoir les plantations de pommiers, tant dans les parcs et jardins, qu'aux champs et près des villages. » [Leroy, 1867-1879]

Le Clergé et les abbayes prélevaient déjà la dîme sur les pommiers et la boisson de pomme (cidre) 

Localement en Seine-Maritime on peut retenir la pomme :  De Richard (1000) ; De Bosc et de Bosquet (1200) ; De Montigny (1300) ;  De Charles Estienne, 1540 ; ainsi que la pomme Cœur de Bœuf, 1200 – On plantait sur le plateau de Caux des pommes de table à Pissy (1371), au Boisguillaume (1372). [Leroy, 1867-1879].

 

 

 

Les prémices du cidre cauchois et brayon : cidre des Abbayes

 

Au Moyen Âge, dès le 11e siècle, la pomme sauvage pour l’usage du cidre réservé au Clergé : usage du fruit sauvage comme boisson acerbe et médiocre.

« C’est au Moyen Âge que le « cildre » se répandit en Normandie grâce aux moines qui, dans le jardin de leurs monastères, privilégiaient la culture des pommes. Et l’on cite à ce sujet l’abbaye Saint-Wandrille qui, dès le IXe siècle, soignait des pommiers sélectionnés, importés notamment du Nord-Ouest de l’Espagne.[...] C’est au XIIIe siècle, avec l’invention de la presse, - la presse dite à longue étreinte, monumentale, installée dans un bâtiment spécifique, telle qu’on peut encore en voir une dans le bâtiment cidricole du château de Montaure (Eure), presse que le châtelain mettait à la disposition des producteurs de la région - que le cidre a pu se développer jusqu’au XIXe siècle.» [Patrimoine Normand, 2008]

 

 

Plus généralement dans l’Eure dans le Roumois-Routot ou dans le pays d’Auge, le cidre s’il était consommé restait une boisson réservée au clergé ou aux fermiers leur procurant, comme à Beaubec dans le pays de Bray. Ainsi, en pays d’Auge puisque vers 1100, la dime était notamment perçue sur le cidre était à Barneville et dans le pays d’Auge nous rappelle [Delisle, 1903] tout comme il était fait du cidre à Jumièges avec des pommes issues des forêts :  Delisle nous informe que les fruits des arbres sauvages furent pendant le moyen âge, employés à la confection du cidre.

 

Sur la rive droite de la Seine, ce sont donc les abbayes qui produisaient du cidre

 

« L.Deslile  rapporte qu’en 1183, Robert, comte de Meulan, autorisa les moines de Jumièges, dans la vallée de la Seine, à cueillir en forêt de Brotonne des pommes pour leur boisson et celle de leur serviteur. Le cidre obtenu était selon toute vraisemblance acerbe, pâle et assez médiocre. D’ailleurs, ces pommiers-là n’étaient pas toujours convoités pour leurs seuls fruits. Souvent on les déterrait pour les planter plus près de la maison ; alors ils ont pu se répandre par semis avec modification des caractères ou bien utilisés en tant que porte-greffe. » [Delisle, 1903]

 

L. Delisle rapporte également qu’à la fin du 13e siècle que les moines de Saint-Ouen possédaient, dans plusieurs domaines, des rentes de pommes de bois, qu’en 1339, dans la maison des religieux de Saint-Ouen, à Quinquempoist, on conservait un petit baril de verjus de pommes de bois. […] Il dit aussi qu’en 1338, à leur manoir de Quiquempoist, les moines de Saint-Ouen avaient un pressoir à cidre, et un tonneau ou baril rempli de cette liqueur. [Delisle, 1903] 

 

J. Sion le signale également :

 

« Les moines de Saint-Ouen possédaient dans plusieurs de leurs domaines des rentes de pommes de bois. C’est, en effet, avec des pommes sauvages que le cidre fut longtemps fabriqué dans notre région. Pourtant, de très bonne heure, on replanta dans la cour de l’habitation des entes arrachées dans les forêts. Le souvenir de ces vergers s’est conservé dans des noms de lieux qui datent de l’époque où le vocabulaire nordique était encore couramment employé ; il est peu de noms de villages dont la physionomie germanique et archaïque soit plus accusée que celui d'Auppegard, à 12 km. Au Sud-Ouest de Dieppe […] Or ces mots ont été formés des mêmes racines qui se retrouvent dans l'anglais Applegard : ils désignent des jardins plantés de pommiers. . S’il n’est jamais fait mention de ces vergers dans la Normandie orientale avant la fin du 15e siècle, quelques textes signalent cependant la fabrication du « suidre » ou « sidre », dès 1284, à Sigy ; dès 1302, à Fontaine-en-Bray ; dans les dernières années du 14e siècle, à l’abbaye de Beaubec. Vers 14oo, les curés percevaient la dîme des pommes dans les paroisses voisines de Montivilliers, d’Harfleur, de Saint-Romain-de-Colbosc, dans cette région humide et battue des vents où la vigne ne put persister. » [Sion, 1909]

Ce qu’Hauchecorne et De Boutteville avait déjà repéré.

« Ce n'est pas à dire cependant que la culture des pommiers à cidre fût absolument négligée dans la Haute-Normandie. En 1284, Michel Despinguet renonce, en faveur des religieux de Saint-Ouen de Rouen, au droit qu'il avait de prendre en leur prieuré de Sigy, à certaines fêtes de l'année, des redevances en vin, en cervoise et en cidre. A Fontaine-en-Bray, en 1302, nous voyons que le pressoir à pommes d'un malheureux paysan poursuivi pour dettes, fut estimé 5 sous tournois…… Mention en 1402, d'un fournil et d'un pressoir au manoir de Nicole, de Saint-Aubin, seigneur et curé de Saint-Aubin-sur-Cailly. [...]   A une exception près il n’avait qu’à Montivilliers que les religieuses cette abbaye se fournissaient de cidre par un autre corps du Clergé de la rive droite – les curés- qui en plantaient des pommes pour en fabriquer en limite nord est du pays de Caux, à Saint-Aubin-du Cailly au pressoir du curé pour l’abbaye du Beaubec où se faisait également le poiré, boisson très médiocre importance au tout début du 15e siècle.[...] A Montivilliers dès les premières années du 15e siècle, le cidre entrait pour une part importante dans la consommation habituelle des religieuses et des gens qui étaient à leur service. Elles s'en procuraient à Auberville, la Cerlangue, Gaineville, Harfleur, Mélamare, la Remuée, Rogerville, Rolleville, Saint-Aubin, Saint-Eustache, Saint-Gilles-de-la-Neuville, Saint-Laurent, Saint-Martin-du-Manoir, Saint-Romain-de-Colbosc, Sainte-Marie-au-Bosc, Sandouville et Sanvic, et il est à observer que très-souvent elles l'achetaient des curés des paroisses… »[Hauchecorne-De Boutteville, 1875]   

 

Pour reprendre la liste des pommes dont les noms de variétés sont connues de Leroy, il cite des variétés de pomme à cidre hormis celles déjà citées : De Richard (1000) ; De Bosc et de Bosquet (1200) ; De Montigny (1300) ;  De Charles Estienne, (1540) ; ainsi que la pomme Cœur de Bœuf, (1200).

 

« Variétés de pommes à cidre d’après Leroy : 

 

1402. Pommes de Rose, 1 boisseau pour faire du verjus (R. de B., p. 381.) » 6 s. » [ La pomme de Bosc , ou de Bosquet , ou d'Estranguillon , n'est autre que le fruit du Malus silvestris.

 

Bédane ou Bédangue ( à cidre) 1363, cité par Charles Estienne(1540)

De Castegnier (1370) Cité par Charles Estienne(1540)

De Bequet ( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

De Cappe ( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

De Cire ( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

De Coqueret( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

De Couet( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

De Courdaleaume ( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

De Feuillu ( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

D’Héroet ( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

De Mennetot( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

De Renouvet( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

De Sapin( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

De Souci( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

De Turbet ( à cidre) cité par Olivier de Serres (1600)

 

Sous charlemagne : 7 ; de 814 à Louis XII 1498 / 32  soit au total 129  de 768 à 1643 dont celles signalées par Etienne Bauhin, De Serres et Lectier» [Leroy, 1867-1879].

 

 

La route de la pomme et du cidre comme vecteur d’amélioration des pommiers à cidre  via l'Espagne.

 

Avant Chevalier [1921] le Marquis de Chambray écrivit ceci :

« La fréquentation des Normands avec les Biscayens par le commerce maritime, leur fit connoître l'utilité du cidre ; ils plantèrent des pommiers, apportèrent, de Biscaye, des greffes de ces fruits à cidre, et les premières pommes qu'ils recueillirent, furent appelées pommes de Biscait ; nom que les pommes conservent encore. Bientôt les pommiers se multiplièrent, et l'usage du cidre devint général. » [De Chambray, 1765]

Auguste Chevalier en 1921 introduit le premier la route des croisades comme vecteur d’importation de plants et de la technique de la greffe qui était pratiquée que dans les monastères :

« Quant à nos Pommiers à cidre de Normandie ils sont d'origine assez récente. Les premiers plants furent apportés d'Espagne (Castille et Biscaye) en Normandie à partir du 10e siècle et pendant les Croisades. Jusqu'au 11e siècle, on n'avait bu en Normandie que le cidre (pomacium) fabriqué avec les pommes sauvages récoltées dans les bois. » [Chevalier, 1942] 

PhilippeMarchenay  en 2008 résume le même contexte des échanges entre l’Espagne et les Normands :

« En Normandie, au 11e siècle, le cidre est déjà connu. […] Pour rendre le cidre meilleur, les vikings, qui occupent alors la région, font venir de nouveaux pommiers du Nord de l’Espagne, par bateau. Puis, sur les traces de Guillaume le Conquérant, les Normands emportent des pommiers en Grande-Bretagne. Pendant plusieurs générations, pommes et pommiers circulent en Europe, dans les bagages des armées et des voyageurs. » [Marcheney, 2008].

Philippe Marchenay est chercheur, rattaché au CNRS. Il travaille au sein du laboratoire d’éco-anthropologie et d’ethnobiologie. Ses recherches portent sur les territoires, la biodiversité et les productions localisées, le statut des animaux, l’alimentation, la nutrition et la perception gustative. Auteur de Des pommes, Collection sauvegarde, Gulf Stream Editeur, 2008.

Apparition du mot "Pomme".

C’est non loin de l’Espagne, de la Navarre et de le France que le mot pomme est apparu dans la langue française car en 1080 le terme « pomme » apparaît dans la célèbre Chanson de Roland. Il vient du latin populaire poma, mot qui signifie « fruit » et qui a remplacé le malum du latin classique. Ce dernier terme, dont le sens est « mal, mauvais », rend compte des mythes qui abondent dans bon nombre de cultures qui voyaient la pomme comme un symbole de débauche.[www.eurotoques.fr/petite-histoire-de-la-pomme] :

« Les blamer tous ? fait Ganelon. Pourquoi ?  Un seul a tort ; c’est Roland qu’on le nomme. Tenez : naguère il va trouver le roi. Il lui présente, en riant, une pomme : Chacun des rois, dit-il, sera votre homme. Sire, voilà leurs couronnes ! – ce preux.  N’a point souci qu’on l’égorge ou l’assomme. Qu’il meure donc ! et nous vivrons heureux. » Extrait de la Chanson de Roland

Auguste Chevalier nous renseigne sur le recours à la boisson du cidre du 11e siècle au 15e siècle en Normandie :

« A certains moments, par suite de la disette des grains (de 1095 à 1444), causée par le manque de bras (à l'époque des Croisades et de la Guerre de Cent Ans), l'agriculture étant alors très délaissée, il fallut renoncer dans certaines provinces à l'usage de la cervoise, et l’on constate que c'est précisément à ce moment que l'usage du cidre se répandit et que l'on commença à cultiver le pommier en Normandie.

Un arrêt en date de 1203 rapporte la défense qui avait été faite de fabriquer de la bière en Normandie, mais déjà quelques vergers de pommiers devaient avoir fait leur apparition. D'accord en cela avec l'abbé Rozier et avec A. Liébault, nous constatons que l'usage du cidre s'est brusquement développé en France à la fin du 12e siècle, et il est évident que la culture du pommier à cidre n'a pas pris naissance spontanément.

Tous les Pommiers à cidre de Normandie, bien qu'on puisse les distinguer en pommes amères, pommes douces et pommes acides, sont très voisins ; par contre, ils diffèrent beaucoup des pommes acerbes de nos forêts. » [Chevalier, 1921]

Ils ont donc pris naissance dans une autre région, et nous avons la conviction que cette région est le Pays basque dans le N. W. de l'Espagne où leur culture est actuellement très répandue.

La première vague : 

Du Pays Basque à la Bretagne et au Cotentin par le golfe de Gascogne 

Ce que nous révèle Chevalier :

« Il  est évident que la culture du pommier à cidre n'a pas pris naissance spontanément. Cela est d'autant plus certain que les Pommiers à cidre que nous cultivons dans le Nord-Ouest de la France diffèrent considérablement du Malus silvestris spontané dans les bois delà même région. Ce dernier les a certainement influencés, mais les Pommiers à cidre comme les Pommiers à couteau appartiennent au Malus domestica et ont comme ancêtre commun principal le Malus dasyphylla de l'Asie occidentale.

Tous les Pommiers à cidre de Normandie, bien qu'on puisse les distinguer en pommes amère â, pommes douces et pommes acides, sont très voisins; par contre, ils diffèrent beaucoup des pommes acerbes de nos forêts. .

Ils ont donc pris naissance dans une autre région, et nous avons la conviction que cette région est le Pays basque dans le N. W. de l'Espagne où leur culture est actuellement très répandue.

Les Basques ou Vasques formèrent dès la plus haute antiquité une nation vivant dans la partie occidentale des Pyrénées gauloises et dans le Nord-Ouest de l'Espagne. Ils étaient d'origine plus ancienne que les races celtiques de la Gaule. Ils avaient et ont conservé encore une langue très spéciale dans laquelle le nom du pommier est sagara ; nom peu différent du nom latin sicera, d'où est dérivé Sidre et cidre (en français), cidar (en anglais).» [Chevalier, 1921]

A propos du mot sicera, Chevalier [1921] rapporte : « Ce nom a été employé pour la première fois par Saint-Gérôme au iv« siècle, pour désigner le vin de pommes. Saint-Gérôme, originaire de Siyrie, était un érudit et ayant beaucoup voyagé, il a pu avoir connaissance de la culture du pommier en Espagne" pour la fabrication du cidre. »

Chevalier poursuit en ces termes : En Espagne, le Malus silvestris est spontané et le M. domestica a dû être introduit dès une haute antiquité. Il est donc possible que ces espèces se soient hybridées de bonne heure, donnant des variétés nouvelles, à pommes à peine mangeables, mais formant des arbres plus robustes que ceux qui étaient cultivés comme fruit à couteau. Or, de tous temps et dans tous les pays du globe, l'homme primitif a utilisé les fruits qu'il avait à sa disposition, pour en faire des boissons fermentées. Nous l'avons constaté à l'intérieur de l'Afrique où les peuplades noires les plus primitives, tirent parti de divers fruits de rosacées, d'anacardiacées, etc., vivant dans la forêt vierge pour en faire des boissons !

Nous n'avons malheureusement pas de documents sur les débuts de la culture du pommier à cidre chez les Basques, mais elle est sans doute très ancienne. Au Moyen Age, la Biscaye exportait du cidre en Normandie et jusqu'à la Méditerranée.

Dès l'époque gallo-romaine, le fond du Golfe de Gascogne était relié à la Normandie et aux îles anglaises par des routes maritimes et les Basques, à la suite des Romains, entretinrent des rapports fréquents entre ces pays. Ils avaient établi un relai au port de l'Aber-Vrach sur la côte de Bretagne, et une véritable navigation interpéninsulaire très suivie s'étendait de la Biscaye au port de Lorient, au Cotentin et au Pays de Galles. Or, de ces quatre points la culture du pommier à cidre a précisément rayonné, constituant quatre centres principaux de culture : 1er   le, N. W. de l'Espagne, 2° la Bretagne dans la région de Quimperlé, 3° le Cotentin d'où elle s'est étendue au reste de la Normandie et à l'W de la Bretagne, -4° le Devonshire en Angleterre.

La seconde vague :  

Des plants ou greffes apportées de Biscaye au Cotentin et les échanges entre l'Angleterre et la France.

Des greffes ou des plants de pommiers de la Biscaye durent être apportés sur les côtes du Cotentin dès le 10e siècle. » [Chevalier, 1921]

« Au 10e siècle au moment où les normands colonisaient les côtes de la Manche depuis l'embouchure de la Seine, jusqu'à la Hague, des Espagnols  s’installaient sur la côte du Cotentin, notamment près de Granville (R. de Félice.)

[« En Normandie, les Costentinois en ont cogneu premièrement l'usage par deçà, ce qu'on peut entendre par les plus vieilles et antiques fieffes de leurs terres faites aux charges de cueillir les pommes et faire les sidres. » (J. Le Paulmier.) « Au 10e siècle, au moment où les Normands colonisaient les côtes de la Manche depuis l'embouchure de la Seine, jusqu'à la Hague, des Espagnols s'installaient sur la côte du Cotentin, notamment près de Granville. » (R. de Félice.)]

« Au cours de la Guerre de Cent Ans et probablement aussi postérieurement, de nombreuses sortes de pommiers à cidre de Normandie ont été introduites en Angleterre (Norman’s) Il s’est donc établi depuis des temps très reculés, des échanges de variétés de pommiers, entre diverses régions, mais ces variétés transplantées loin de leur lieu d’origine, finissent par se transformer, soit qu’elles s’altèrent à la longe si elles sont multipliées indéfiniment par la greffe, soit qu’elles de modifient si elles sont renouvelées par semis.[Chevalier, 1921]

L’introduction en Normandie de nouveaux types de pommiers robustes à gros fruits, si différents de ceux qui vivaient dans les forêts et donnant un jus supérieur, marque une époque nouvelle.  Les formes introduites s’acclimatèrent par la dissémination naturelle de pépins et il se produisit de nouveaux hybrides entre les formes introduites et les races locales du Malus silvestris [Chevalier, 1921]

Nous reviendrons le devenir  des pommes à cidre d'Angleterre,  car à la fin du  19e siècle les anglais feront leur cidre avec pour moitié de quantité  de pommes à cidre à presser :  la pomme Michelin, incubée par Legrand, semeur et pépinier d'Yvetot du pays de Caux , principal artisan de la régénération d'un tiers des  pommes à cidre  menacées d'extinction dont la Doux Lagniel devenue la Vagnon. Quant à la Michelin aujourd'hui on peut dire qu'elle provient de la Bisquet du pays d'Auge elle-même issue de la Biscait.

Et le cidre du pays de Caux advint.

Au regard du 14 et 15e siècle, après le Guerre de Cent Ans, la démographie se trouve en pleine croissance. [Lepert, DRAC HN, 2014] C’est à cette période que se produit l’implantation des vergers, en lisière des forêts d’un côté et de l’autre dans la masure cauchoise selon plusieurs raisons : la paix retrouvée, le verger abrité dans la masure, le Clergé introduit le pommier pour tous adapté au terroir et à la masure, enfin une nouvelle boisson durable pouvant remplacer la cervoise, en l’absence de vin peu adapté au climat. En effet la viticulture n’a pas connu de vif succès, cultivée d’abord par les abbayes de Fontenelle et de Jumièges puis davantage après l’arrivée des scandinaves en amont d’Heurteauville et de la boucle de Jumièges et sans succès aucun sur l’approche du littoral malgré quelques rares tentatives. Les ducs Anglo-Normands voulaient être indépendant du royaume de France, mais la concurrence revenant dès l’annexion de la Normandie au royaume de France sous Philippe-Auguste sa culture disparut vite d’autant que me climat ne fut jamais favorable sous l’influence maritime. En pays de Caux, il fallait donc recourir à d’autres boissons d’ autant que le plateau n’est pas un château d’eau en dépit de ses quelques sources disséminées. Le paysan ne buvait guère de vin et davantage de cervoise avant qu’il en produise une nouvelle : le cidre.

« Des plants de pommiers se forment sur divers points du pays de Bray et du pays de Caux vers la fin du 15e siècle, mais surtout au siècle suivant, il est aisé d'en suivre les progrès [Hauchecorne/De Boutteville, 1875]

Brioux en 1925 nous signale La culture du pommier à cidre dans notre département ne date guère que de la fin du 15e  siècle.

Quant aux premiers pommiers à cidre du pays de Caux, ils n’ont été plantés qu’à partir de la fin du 15e siècle avec des entes du Roumois à partir de la fin de la Guerre de Cent-Ans (1452-1475),  entes de variétés cultivées auparavant en pays d’Auge, Lieuvain, du Bessin et du Cotentin, voire de Biscaye et non plus avec des pommiers sauvages dont on les conservera pour les porte-greffes des plants des variétés déjà hybridées.

ENTE : Jeune branche, scion qu'on prend à un arbre pour le greffer sur un autre. In :  Dictionnaires le Robert

Après la paix retrouvée et le départ des Anglais (1452-1475) il aura donc fallu attendre près de 50 ans de pratique et d’usage pour que le cidre du pays de Caux soit désigné comme tel. 

Pour introduire la notion et sa description il fallut attendre presque un siècle pour que les auteurs et les spécialistes le qualifient : Celle de 1589 de Le Paulmier (1589) convient parfaitement pour désigner le cidre du pays de Caux.

Plusieurs raisons expliquent ce changement en pays de Caux d’autant qu’en pays de Caux l’eau potable a toujours manqué.  Plusieurs contextes peuvent expliquer comment cela s’est-il produit ?

 

Et le cidre du pays de Caux advint : La première raison

 

La première raison, je l’emprunte à Michel Lerond qui à propos du « Vin de pomme » rapporte que qu’il a fallu substituer au « vin de grains », la cervoise des gaulois, le « vin de pomme ». :

« Seulement connu en forêt, à l’état sauvage, le Malus sylvestris est progressivement mis en culture sous l’influence de coutumes venues du sud de l’Europe et pour échapper à la taxe que Louis XI avait imposée sur le vin. » Lerond, 1978

Les denrées alimentaires connurent des taxations de Charles VI à Louis XI. [Dupont-Ferrier, 1941]

Comme point de départ fut la raison tient aux directives de Saint-Louis (1226-1270) puis de Philippe le Hardi (1272) explique [Delisle , 1903] vis-à-vis des disettes du 13e siècle qui a conduit et propulsé deux siècles avant le pays de Caux le pays d’Auge et - jusqu’à Touques et la vallée de la Risle -  à produire du cidre comme boisson potable pouvant remplacer la cervoise, consommatrice de céréales car à cette époque le peuple se nourrissait de pain d’orge ce qui posait problème en cas de disette en raison de son affectation à la fabrication de la cervoise.  Ce que nous indique à juste titre :

« Si l’usage du cidre se généralisa vers le 16e siècle dans la Normandie orientale, c’est que la fabrication de la cervoise avait l'inconvénient d’absorber une partie importante des céréales récoltées. » [Sion, 1909]

« Le seul cas qui jusqu'à présent ait fait l'objet d'une enquête relativement étendue est celui du pommier à cidre.  Sa généralisation permit de rendre à la panification la part de la récolte d'orge (ou plus rarement d'avoine) utilisée jusque-là pour fabriquer la boisson la plus usuelle, la cervoise. La culture du pommier à cidre semble avoir pris son essor d'abord dans la vallée d'Auge, vers la fin du XIe siècle (premier texte en 1082), puis avoir gagné le reste du Pays d'Auge et le Bessin aux XIIe siècle, l'ensemble de la Basse-Normandie aux XIIIe et XIVe siècles. On ignore si la production du poiré, si essentielle dans les Bocages au XVIIIe siècle, a suivi une courbe parallèle ou plus tardive : les textes les plus anciens n'en font aucune mention. La Haute-Normandie, on le sait, ne suivit l'exemple bas-normand qu'avec un décalage sensible : les dernières conquêtes du cidre y datent seulement du XVIe siècle et elle semble être restée rebelle au poiré. » [Musset, 1992]

 

Et le cidre du pays de Caux advint : La deuxième raison

 

La seconde raison s’explique par la paix retrouvée après la guerre de Cent Ans. Le territoire retrouve une stabilité, de la main d’œuvre pour s’occuper d’agriculture dans l’intérieur du pays de Caux, et la démographie se trouve en pleine croissance.

En effet durant le Guerre de Cent Ans les affres de la guerre touchèrent sévèrement le monde rural et agricole : « La guerre de Cent-Ans et l'occupation anglaise furent pour la Normandie une période de désolation et de ruines, durant laquelle l'agriculture eut nécessairement beaucoup à souffrir. Le 21 janvier 1352, Charles VI avait établi un droit de huitième sur le vin et sur tous autres breuvages vendus au détail, pour les dépenses de la guerre contre les Anglais.  L'un des actes par lesquels Henri V, roi d'Angleterre, inaugura sa prise de possession de la Normandie ; fut la levée du « quartage de tous les beurages, c'est, assavoir, vin, cidre, cervoise et hochet) qu'il ordonna par ses lettres patentes du 7 mai 1410.» [Duval, 1896]

La Guerre de Cent Ans est un conflit multilatéral qui a impliqué nombre de belligérants, les royaumes d’Angleterre et de France et l’« État bourguignon » pour les principaux, ainsi que de nombreux acteurs secondaires. Elle s’est déroulée sur une période d’environ 116 ans, de 1337 à 1453 pour sa période la plus active. [ Dambrine, 2017]

La locution « guerre de Cent Ans » est récente. En effet, on en trouve les premières occurrences au XIXe siècle (Contamine 2012 / Dambrine, 2017).

Beaucousin L.A. raconte l’épisode de la Guerre de Cent Ans qui a touché dramatiquement le pays de Caux relatant des faits de 1415 consignés dans la Chronique de Pierre Cochon, p. 340 : et ceux de 1419. Ce pays de Caux  a eu à souffrir des passages de l’armée anglaise.

« Tout le monde connait les désastres qui, pendant la première moitié du 15e siècle, accablèrent la France et spécialement la province de Normandie. Le 14 août 1415, Henri V, roi d’Angleterre, après avoir débarqué à Graville, vient mettre le siège devant Harfleur. Lorsqu’il eut réussi à s’emparer d’Harfleur, Henri traversa le pays de Caux pour retourner en Angleterre par Calais.  Fauville fut sa première étape, et l’on peut imaginer quelles calamités causa dans les environs une armée sans discipline, sans respecter l’âge ni le sexe. Une grande mortalité s’étendit sur toute la contrée, principalement vers Fauville et Baons-le-Comte. Cette dernière paroisse confinait à la principauté, dont les habitants eurent grandement à souffrir du fléau. […]  L’armée anglaise s’étant alors divisée pour aller attaquer les diverses forteresses du pays de Caux, plusieurs détachements passèrent par Yvetot, et, si nous en croyons la tradition, il aurait été presque entièrement brûlé par les soldats. […] Yvetot et la principauté resta moins de 18 ans entre leurs mains.

En 1432, un complot visant à livrer Rouen aux Français rata de peu. Le pays de Caux se souleva contre la domination anglaise en 1434. [Dambrine, 2017]

L’épisode de la Guerre de Cent ans : échanges entre l’Angleterre et la France

« Au cours de la Guerre de Cent Ans et probablement aussi postérieurement, de nombreuses sortes de pommiers à cidre de Normandie ont été introduites en Angleterre. Selon Hogg on désigne plusieurs variétés anciennes de Grande Bretagne sous le nom de Norman’s. Il s'est donc établi depuis des temps très reculés, des échanges, de variétés de pommiers, entre diverses régions, mais ces variétés transplantées loin de leur lieu d'origine, finissent par se transformer, soit qu'elles s'altèrent à la longue si elles sont multipliées indéfiniment par la greffe, soit qu'elles se modifient si elles sont renouvelées par semis. » [Chevalier, 1921]

Le territoire retrouve une stabilité, de la main d’œuvre pour s’occuper d’agriculture, dans l’intérieur du pays de Caux et en lisières. On s’appuie sur le transfert de compétences des fermiers, curés et moines qui faisaient le verjus de pomme et de cidre pour les abbayes depuis le 13e siècle, à l’abri des invasions et de la Guerre de Cent Ans ou devant importer du cidre de plus loin notamment de la Basse Normandie ou d’Espagne. Les clairières déjà repérées suite aux premiers défrichements du Moyen Age à Montigny étaient notamment considérées comme de bons terrains propices au verger comme l’atteste la pomme Montigny- [Luce, De Paumier 1589, Cahaignes, Travers, 1895]

Auguste Chevalier le rapporte également :  « A certains moments, par suite de la disette des grains (de 1095 à 1444), causée par le manque de bras (à l'époque des Croisades et de la Guerre de Cent Ans), l'agriculture étant alors très délaissée, il fallut renoncer dans certaines provinces à l'usage de la cervoise, et l’on constate que c'est précisément à ce moment que l'usage du cidre se répandit et que l'on commença à cultiver le pommier en Normandie. » [Chevalier,  1921]

La Clairière de Montigny, au nord-ouest de Rouen dont altitude est de 136 m, se situe à la limite du pays de Caux, enchâssée au sommet de la forêt de Roumare, voisine de La Vaupalière.  Montigny comprend le village lui-même et un hameau, l'Essart, situé à 1 km au nord.  La commune est exposée à un « climat maritime », correspondant au Pays de Caux, frais, humide et pluvieux. La DREAL n’a pas situé Montigny au pays de Caux et pourtant en raison des indications précédentes tout laisse à penser qu’il y serait sous couvert forestier de la forêt de Roumare classée dans la vallée de la Seine. Faut-il rappeler que l’attitude du pays de Caux varie de 100 à 180 mètres d'altitude.

Et le cidre du pays de Caux advint : La troisième raison

 

La 3e raison s’explique par le rôle protecteur des seigneuries et des « agriculteurs » résidant dans leurs masures [Sion, 1909], entourées de fossés et talus pouvant abriter des vents marins des pommiers et poiriers au centre de la masure et/ou de la cour et s’explique par le fait que déjà depuis la fin du 13e siècle des arbres plantés sur les talus de l’enclos permettaient aux propriétaires et aux fermiers d’assumer leur propre besoin de bois du aux défrichements de grande ampleur. (Lerond, 1978] ; par le fait également du rôle qu’ont tenu les fiefs aidés de leurs fermiers résidant dans leurs masures déjà protégées des vents violents à organiser la plantation des entes de pommiers et de poiriers venus du Roumois, sur l’impulsion et l’égide de l’Evêché de Rouen après la Guerre de Cents Ans., en pays de Caux et en pays de Bray par ailleurs.

Ainsi poursuit Sion :  « C’est à la fin du 15e siècle, lors de l’œuvre de restauration qui suivit le départ des Anglais et la pacification du plat pays, que le pommier fut cultivé dans le pays de Caux et dans le Vexin. De grands propriétaires, Comme l’archevêque de Rouen, obligèrent alors leurs fermiers de planter les entes, souvent achetées dans le Roumois, après avoir essarté le sol et l'avoir « déroché » s’il était nécessaire. Le verger était établi dans une partie de la masure, souvent dans le jardin, près de la grange ; parfois, « afin de rompre les vents qui pourroient grever ou abattre les dits pommiers », on plantait, comme à Fresne-l’Archevêque, « 100 chesnes de 16 à 18 pieds de hauteur tout à l’entour ».  C’est peut-être de cette époque que date l’aspect typique des fermes cauchoises, avec les grands arbres qui surmontent leurs « fossés ». Parfois aussi, le verger excédait les limites de l’ancien jardin et l’on closait des champs voisins. La masure s’agrandissait, et l’extension de la culture du pommier correspond’ peut-être à un développement des prairies. […] au pays de Bray des fossés et lisières de taillis, qui entouraient jadis les masures, entremêles d’arbres de haute futaie ont été remplacés entre le 16e et le milieu du 17e siècle par des haies vives qui bordent les chemins afin de préserver la valeur acquise des prés. » [Sion, 1909] 

Parfois aussi, le verger excédait les limites de l’ancien jardin et l’on enclosait des champs voisins. La masure s’agrandissait, et l’extension de la culture du pommier correspond peut-être à un développement des prairies.

Cet aspect fera l’objet ultérieurement d’un inventaire au pays de Bray pour repérer les traces d’anciens talus et fossés du pays de Bray car parait-il il en subsiste quelques-uns ici et là.

Revenons et attardons nous sur les talus fossés car il est noté qu'ils "auraient existé" durant au moins un millénaire avant de se trouver démantelé progressivement en pays de Caux et avant cela au pays de Bray.

 l'Etude suivante nous apporte quelques éclaricissements sur l'origine et la nature des talus-fossés :  sur le Droit privé et Institutions régionales, Études offertes à Jean Yver, Sous la direction de Société d'histoire du droit et des institutions des pays de l'Ouest de la France ; Fossés cauchois et normands, André Dubuc, p. 183-196 ; 1976.  In : books.openedition.org

 

« Du point de vue de la géographie agraire comme du droit normand, les fossés-talus ont toujours intrigué et posé divers problèmes d’interprétation, en particulier ceux du Pays de Caux, beaucoup plus élevés et apparents qu’ailleurs. Ils ont certainement répondu à des buts agricoles, à des moyens de protection et ils ont fatalement entraîné des conséquences juridiques encore mal connues et réglées de nos jours, à la surprise de beaucoup, par un arrêt du Parlement de Normandie de 1751. Leur ancienneté est certaine. [...] 

Si, en Pays de Caux, ils sont plus élevés qu’ailleurs, c’est que l’argile se manie facilement et que lorsqu’on a cru devoir y planter des rangées d’arbres, pour leur donner plus d’assise on a pensé à les surélever.

Sincénus (Voir l’ouvrage de Jules Sion citant le texte latin de Sincenus, p. 471. )  parcourant le Pays de Caux en 1616, entre Rouen et Dieppe rapporte dans son récit sa surprise d’avoir traversé « des bourgs en plaine ayant de loin l’aspect de forêts, parce que chaque maison est entourée de cours très larges et est environnée de tous côtés par des arbres très élevés à ce point que le sommet des arbres cache les maisons. 

et il ajoute  : En normandie, il te faut six jours entiers pour la traverser [...] On y trouve en abondance le poisson, le bétail, le blé ;  les pommes et les poires y poussent avec une telle profusion, qu'on les exporte dans les autres provinces et que le peuple s'en fait une boisson qu'il appelle cidre. » Repris par Gaguin. [ Sincerus, 1616]

Cette surprise manifestée par cet auteur latin est encore éprouvée de nos jours par ceux qui plus rapidement que lui le parcourent plus profondément. L’aspect agraire n’a guère changé depuis, bien que l’élevage des bovins s’y soit développé depuis un siècle, ce qui s’est traduit par une multiplication d’herbages, non plantés de pommiers comme les masures et seulement entourés avec des pieux en fer ou en ciment armé portant des fils de fer. Aujourd’hui même, ces talus maintenus sont parfois détruits par des tracteurs, après en avoir scié les arbres avec des tronçonneuses électriques. Le paysage agraire s’est donc modifié, si les talus demeurent encore nombreux au cœur des villages ou dans les grandes fermes isolées dans la plaine, sorte de panache de fierté et d’aisance.

Deux auteurs à notre connaissance, Moll et Sion, l’un au début du dernier siècle, l’autre au commencement du nôtre ont essayé, l’un en agriculteur et l’autre en géographe, de les expliquer et de les justifier2.

2Moll, Excursion agricole dans quelques départements du Nord, dans Mém. Soc. centr. agric. S.-Inf., t. VIII, 1835, p. 400 et 1836, p. 10 et 67.

Moll, à la demande du gouvernement a fait une excursion dans des départements au nord de la Seine vers 1833, en voiture, et il rapporte : « Depuis la Seine jusqu’au Pays de Bray, de Rouen jusqu’au Havre, tous, soient châteaux, maisons de plaisance ou exploitations rurales sont modelées les unes sur les autres. Elles sont placées dans une enceinte plus ou moins vaste, une cour comme on l’appelle ici, plantée en pommiers et entourée d’un fossé, derrière lequel s’élève un mur ou rempart de terre large et haut, sur lequel sont plantés trois ou quatre rangées de grands arbres : hêtres, ormes, chênes, d’une belle venue. Cette ceinture garantit les batiments, les vergers, les jardins et même les champs des vents impétueux de la mer. Cet avantage dans un pays élevé et voisin de l’océan compense bien la privation des points de vue qui en résulte. Le grand nombre de ces bocages dispersés dans la plaine forme un coup d’œil admirable. Mais ce n’est pas leur seule utilité. Il y a une grande valeur dans ces plantations, dans une contrée où le bois est aussi cher qu’il l’est ici. Elles fournissent le combustible de la ferme. On vend aussi maint bel arbre... On suit, en les exploitant, la méthode du jardinage, c’est-à-dire on n’enlève que quelques arbres des plus vieux chaque année, en ayant soin de ne jamais dégarnir la place. Ces enceintes ou cours ont depuis deux à douze hectares et plus d’étendue. Elles sont plantées de pommiers, sous lesquels croît une herbe touffue qu’on fait pâturer au piquet ou tière3.

3Le terme tière est encore employé dans le Pays de Caux. On emploie aussi le verbe entierrer ; il signifie attacher un bovin par un collier de cuir au cou avec une longue chaîne de fer terminée par un anneau rond que l’on passe dans un piquet de fer comme une grosse pointe et que l’on enfonce en terre avec un maillet à long manche. C’est ce piquet qu’on appelle tière : mettre un animal au tière. Moll dit que les vaches étaient ainsi mises dans les cours masures, ce qui est possible. De nos jours, on ne met plus que les taureaux plus ou moins furieux, que l’on attache au pied. Dans les cours masures de nos jours, on met librement les jeunes veaux (bétons). Du temps de Sion, les vaches étaient mises au tière dans les champs, en longues files, et les domestiques venaient tous les trois ou quatre heures les changer de place. Ce spectacle champêtre du Pays de Caux, s’est modifié depuis que l’on fait usage des clôtures électriques déplaçables. Le terme tière est encore employé dans le Cotentin, avec le même sens que dans le Pays de Caux. Dans cette région, de la Manche, on emploie le mot tiérée, pour indiquer l’espace circulaire qu’un bovin peut parcourir avec sa chaîne.

 

 

Des issues sont pratiquées dans le rempart et sont fermées de barrières... » Moll exploitait un domaine important ailleurs qu’en Normandie et l’un de ses buts était d’inciter les grands propriétaires terriens à utiliser les méthodes modernes, à les faire connaître autour d’eux et pour lui de découvrir leurs initiatives, leurs réussites ou leurs déboires dans leur entreprise.

Cette enquète peu utilisée se relie à l’ouvrage de Jules Sion sur les Paysans de la Normandie Orientale, paru au début de ce siècle et toujours bien actuel. Ayant parcouru les deux départements axés sur la Seine en bicyclette il écrit : « Arbres fruitiers et bâtiments sont protégés contre le vent par les « fossés » dont l’enceinte rectangulaire délimite la masure, comme partout en Normandie. On appelle fossé, non une rigole plus ou moins profonde, mais une levée de terre, une « banque4 » dressée avec des mottes de gazon et des pelletées de limon, large de 1 m 50 à 3 m à la base, de 0 m 70 à 1 m au sommet ; quelquefois, elle est assez haute pour cacher l’intérieur de la ferme.

4Banque, mot dialectal fréquemment employé au nord de la Seine, équivalent au mot levée et talus. Grimper sur la banque équivaut à grimper sur le talus.

Sur toute la longueur, elle est surmontée par des arbres de haute futaie, des hêtres près d’Yvetot, des ormes près du Havre, des chênes, des frènes, des sapins, disposés sur deux ou trois rangées. Tous ceux qui ont visité le Pays de Caux ont conservé dans leur souvenir la silhouette de ces arbres rigoureux, régulièrement alignés, presque de même taille qui cachent chaque ferme par un rideau de verdure. C’est là une des beautés les plus originales de ce pays et c’est un élément de sa richesse. Dans cette région dépouillée de ses forêts depuis plusieurs siècles, les ormes et les hêtres qui poussent si drus atteignent une grande valeur...5 » Moll et Sion concordent dans leurs observations.

5Sion (Jules), Les paysans de la Normandie orientale (thèse de géographie) Paris, 1908. Cet ouvrage qui peut apparaître ancien est encore fort utilisé. Devenu très rare et fort recherché, il n’a pas d’égal pour les deux départements de Haute-Normandie, p. 471, les masures).

Il s’agit là d’un type agraire plus accentué dans le Pays de Caux, plus faible dans le Pays de Bray encore visible sur la rive gauche de la Seine, dans le Roumois, mais presque inexistant dans le Vexin. Il semble bien que depuis la Révolution de 1789, ce mode de création de fossés-talus a été abandonné. Les grands domaines avec leurs terres environnantes, fermes seigneuriales autrefois, demeurées longtemps dans les mêmes familles, sont entourées de ces talus plantés. Dans de nombreux villages demeurés stables, de petites exploitations, même des chaumières avec leurs petites masures sont également entourées de la sorte y compris de nombreux cimetières mais seulement dans le pays de Caux6.

6M. Fauvel, préparant actuellement une thèse d’histoire et de démographie sur son canton natal de Goderville et le connaissant fort bien, m’a rapporté que son père, journalier agricole, durant la période d’hiver après les battages était souvent sollicité pour réparer les talus-fossés. A sa connaissance, il n en a fait qu’un seul à Ecrainville et encore à la demande d’un propriétaire mécontent de ce que l’un de ses prédécesseurs ait fait abattre deux des quatre côtés du fossé de sa cour masure et le lui a fait refaire avant 1939, pour avoir une cour plus équilibrée et plus logique. Il n’est pas rare dans cette commune de voir des chaumières entourées d’une cour d’une trentaine d’ares, avec un talus-fossé planté, mais surtout celles construites avant 1789. En général, ce sont les fermes grandes ou petites et surtout les grands domaines qui étaient entourés d’un fossé planté.

Les arbres des fossés servaient aux fabriques pour la réparation des églises et des clochers7.

7Manneville (P.), Les arbres des cimetières du Pays de Caux au XIXe siècle, dans « Les eaux et forêts en Normandie » (actes du 8e congrés des sociétés historiques et archéologiques de Haute-Normandie, Lyons-la-Forêt, octobre 1973, offset, lmp. adm. de l’Eure. (En dépôt aux Arch, de la S.-Mme) pp. 97-107.

Les habitants continuent d’ailleurs d’appeler fossés ce qu’il serait logique d’appeler talus. Cette mutation est due à ce qu’antérieurement le fossé marquait la limite de la propriété, mais celui-ci non entretenu depuis longtemps a pratiquement disparu, si bien que le talus encore appelé banque, est toujours appelé fossé.

Sans doute, avant l’apparition du pommier, les talus-fossés n’étaient pas nécessairement plantés, mais ceux-ci dans un terrain détrempé par les eaux, se déracinent facilement, si bien que l’on a dû songer aux arbres de futaie pour les préserver de l’action brutale des vents. A l’intérieur d’une cour-masure, les vents sont apaisés, la température est plus douce que dans les champs et les vents coulis à ras du sol dessèchent moins cette terre argileuse qui durcit rapidement et contrarie la pousse de l’herbe. A leur origine, les fossés ont dû indiquer un autre but : une limite qu’on ne devait pas franchir. Les masures8 étaient entourées, soit d’une haie vive9, soit d’un fossé qui faisait mur. Sous l’ancien régime, à cause du droit de parcours mais aussi des dîmes, on ne pouvait clore à sa volonté.

8Masures : sens provincial, la cour plantée entourant la maison d’habitation et les batiments agricoles d’un cultivateur. « On appelle masures en Normandie, les terrains en campagne, enclos de haies, fossés ou murs, en nature d’herbage et ordinairement plantées d’arbres fruitiers ». (Journal des arrêts des cours royales de Rouen et de Caen, t. VII, 1827, p. 41).

9Haie vive ou haie de plantes vives : généralement en épine blanche, mais aussi charme, coudrier, houx. Pour les bornes de coin, on ne tolérait comme pieds corniers que les pieds d’épine blanche, le chêne et l’érable. L’épine noire, le saule, le peuplier était considéré comme usurpateurs à cause de leurs racines et rejets. Dans le pays d’Auge, les harts d’osier qui ligaturaient les jeunes plans aux jalons ont été remplacés par du fil de fer, mais dans toute la Normandie, on considère que le côté de la haie ou le fil de fer est tordu et serré, appartient en droit au propriétaire pour l’ensemble.

 

On se trouve donc, dans cette région de champs ouverts, au centre d’un ancien système agraire qui a perdu sa signification, mais qui la conserve suffisamment pour servir de référence, avec les avantages agricoles que la cour masure pouvait tirer de ces talus-fossés. On comprend alors que Maupassant, dont toute la jeunesse espiègle s’est passée dans un petit château de Grainville-Ymauville, entre les marchés bien cauchois de Fauville et de Goderville, jouant et vivant avec les enfants du village, ait dépeint, devenu adulte, avec une précision touchante, les fossés-talus de son enfance et rendu leur curieuse atmosphère : « La cour de ferme enfermée par les arbres semblait dormir. L’herbe haute où les pissenlits jaunes éclataient comme des lumières, était d’un vert puissant, d’un vert tout neuf de printemps. L’ombre des pommiers se ramasssait en rond à leurs pieds et les toits de chaume des batiments, au sommet desquels poussaient des iris pareils à des sabres fumaient un peu comme si l’humidité des écuries et des granges se fut envolée à travers la paille... Il y avait là, dans le creux du fossé, un grand trou plein de violettes dont l’odeur se répandait, et, par dessus le talus, on apercevait la campagne, une vaste plaine où poussaient les récoltes avec des bouquets d’arbres par endroits et de place en place, des groupes de travailleurs lointains, tout petits comme des poupées, des chevaux blancs pareils à des jouets, traînant une charrue d’enfant poussée par un bonhomme haut comme un doigt...10 » Maupassant a traduit simplement la sorte de sécurité, de tiédeur, de douceur du temps que l’on éprouve à l’intérieur de ces cours masures, protégées par les talus élevés et leurs arbres défiant les vents furieux du large.

10Maupassant, Contes et nouvelles (T. I, bibl. de la Pléiade, 1974) : Histoire d’une fille de ferme, p. 226.

Ailleurs qu’en pays de Caux, ces fossés-talus étaient beaucoup moins élevés, notamment dans le pays de Bray voisin, demeurant faiblement perceptibles, couverts non plus de rangées d’arbres de futaie, mais d’une haie de plantes vives, rarement d’épine blanche ou noire, mais plutot de coudrier, de charme, d’orme, aussi de houx. Ces haies que l’on laisse pousser à dessein, sans les couper par le haut, forment de place en place des « têtards » à grosses têtes, comme des saules au bord des rivières. Ils sont coupés tous les six ans et ramenés à une hauteur de cinq à six pieds, travail d’hiver pour les ouvriers agricoles à demeure dans les fermes, fait à la serpe et permettant de confectionner des fagots appelés « bourrées », servant au chauffage rapide dans les grandes cheminées d’autrefois. Ces talus affaissés par le temps et par les bestiaux qui venaient s’y réfugier contre les vents et les pluies ne sont plus guère apparents. Ce talus, si médiocre qu’il ait été, avait une signification en partie oubliée.» [Dubuc, 1976]

Le premier à évoquer ce changement de paradigme fut Féret en 1855.

« Au 15e siècle seulement le cidre paraît avoir commencé à l'emporter sur la boisson rivale, l'insuffisance des récoltes provoquant quelquefois des mesures prohibitives de l'emploi des grains à tout autre objet qu'à l'alimentation publique mais cette substitution s'opéra sans doute assez lentement, car ce n'est qu'en 1692 que l'on rencontre les statuts qui régissent et organisent la corporation des marchands de cidre à Rouen. » [Féret, 1855]

C’est donc à ce moment que l’évêché de Rouen obligèrent leurs fermiers à planter  les entes du Roumois sur le relief du plateau de Caux battu par les vents, dans ses masures, cours, pourpris et vergers (closages).

« Des plants de pommiers se forment sur divers points du pays de Bray et du pays de Caux vers la fin du 15e siècle, mais surtout au siècle suivant, il est aisé d'en suivre les progrès. » [Hauchecorne et De Boutteville, 1875]

« La culture du pommier à cidre dans notre département ne date guère que de la fin du 15e siècle. » [Brioux, 1925]

Yvetot : un exemple de l’implantation de pommier et vergers dont témoigne le terrier de 1566, de la Principauté d’Yvetot que L.A. Beaucousin, historien a traduit du vieux français à la fin du 19e siècle. [ADSM 76] :

Ce témoignage est très important à signaler « in situ » comme la présence des pommiers au pays de Caux et dans la principauté d’Yvetot même. C’est le terrier de la principauté d’Yvetot qui témoigne de la présence de pommiers plantés et de closages et vergers à Yvetot. Ce terrier datant de 1566 rédigé à la demande du prince d’Yvetot, Martin du Bellay nous décrit les fiefs et propriétés de cette époque nommées masures dont celle de Jehan Houel.

Rarement les terriers décrivent la nature foncière et de ses biens avec tant de précision. Le plus souvent nous pouvons consulter un plan mais dans ce cas c’est l’inverse : Il existe le descriptif en l’absence du plan ; égaré ou aujourd’hui parti en Amérique.

C’est L.A. Beaucousin, historien yvetotais qui la transcris du vieux français dans sa langue commune de la fin du 19e siècle, que j’ai retranscris moi-même à partir de ses écrits archivés au Département de le Seine-Maritime.

Voici des extraits du plan terrier de 1566 transcris par Beaucousin à la fin du 19e siècle avant la parution  de son histoire de la principauté d’Yvetot (1884)  : 

« Jehan Houel tient une pièce de terre en masure assise au bourg d’Yvetot contenant une acre demye vergée ou envyron édifiée de maisons, close et plantée […] Idem je tiens par droiture de fief la propriété franchise de coullombier à pied une pièce dessus la terre de la dite principauté d’Yvetot[…] Idem  Je tiens une autre pièce en closage contenant trois acres trois vergées assise au dite Yvetot[…] Item  une autre pièce de terre contenant sept acres   […] Idem  Tient une autre pièce de terre contenant trois vengées ou envyron partye d’un closage  […] Idem Une autre pièce de terre  contenant ½ acre ou environ assise au dit Yvetot près les monts […], un espynne dessus plantée[…] D.B. la sente ou chemyn tendant du dit Yvetot a Calvare […] -Idem  Je tiens une pièce de terre contenant neuf acres, partie en  cinq pièces qui sont partie du fief Lhuilllier – La première pièce en masure contenant 1 acre ou envyron assise  au dit Yvetot, bournée D.C.  ladite Grand rue d’avant la ville D.C. et D.R. en pointe la sente  tendant à la sente des foryères […] La seconde pièce contient trois vergées ou environ partye en closage […] – La troisième contenant  deux acres ou  envyron […] – La quatrième pièce contenant quatorze acres  ou envyron […]- La cinquième et la dernière pièce contient deux acres […] Le chemin qui mayne d’Yvetot à la justice […] Idem. Je tiens une autre pièce de terre contenant trois acres ou envyron assise au dit Yvetot[…]Idem Je tiens vingt-deux acres trois vengées ou environ en deux pièces […] Idem.  Une autre pièce de terre contenant une acre envyron aussy close et plantée comme elle est, assise au D. Yvetot, bournée […] le grand chemin tendant du dit bourg au manoir du chemyn […] et ladite pièce partye d’un clos à pommiers du dit Houel. Une mare séante au-dedans. »

« L’utilisation d’arbres de haute futaie, pour protéger les arbres fruitiers de la parcelle répond à la nécessité d’abriter les enclos des vents dominants dans le pays de Caux. (…) La cour seigneuriale ou la basse-cour de nombreux manoirs était en effet plantée d’arbres fruitiers, en général des pommiers, comme l’attestent l’Atlas de Trudaine (…) On notera cependant que ce type de clôture caractérise le plus souvent des manoirs d’importance secondaire »

 « Des aveux des XVIe et XVIIe siècles, l’Atlas de Trudaine du XVIIIe, de nombreux plans cadastraux anciens du début du XIXe et des photographies du début du siècle dernier présentent les cours des manoirs normands plantées d’arbres fruitiers. Ces cours vertes, qui ressemblent fort à des vergers, ne doivent pas nous égarer : elles répondent sûrement moins à la volonté d’agrémenter le manoir (qu’il ne faut cependant pas exclure) qu’à celle de rentabiliser un terrain, qui, on l’a vu, pouvait être très étendu. Car la cour est avant tout, dans une majorité de manoirs, l’enclos où se trouvent réunis les bâtiments utilitaires : une basse-cour au sol boueux, où circulent charrettes, serviteurs et animaux de la ferme. » [Pagazini, 2014]

On trouve transmis la trace de closages chez : Jehan Houel, Jehan Caumont, Pierre Delamare, Allain Tassin, Loys Greffier, Wandrille Daupmalle, Cyril Nepveu, Marin Nepveu, Pierre Cornu, Andrieu Crevel, Raoullin Letellier, Guillaume Nepveu, Estienne Letellier, Pierre Basin l’Aisné, Nicollas Deniscourt, Nicollas Dubosc, Guille Lelièvre, Jehan Gombault.

Dans la principauté d'Yvetot : 

A Yvetot et Saint-Clair-sur-les-Monts (1240). La toponymie du hameau du Verger. Vergié, (Arch. Nat. P. 303-130). Le Verger, 19-11-1420 (Arch. S.-M. Tab. Rouen)[dicotopo.cths.fr]

Le closage  au 16e siècle autrefois nommé Clausage entre le 10e et 15e siècle : en Normandie, petit verger entouré de haies, avec ou sans habitation, H. Moisy, Noms de famille normands, [Littré, définition Closage]

David Marescot rapporte à propos de l’existence du hameau « le Verger qui comportait une ferme et un Manoir sur les communes actuelles de Saint-Clair-sur-les-Monts et d’Yvetot au temps Du Royaume d’Yvetot :  « Au 11e siècle, Jean 1er d’Houdetot et Colard, son frère, de 1096 partent avec Robert, duc de Normandie en Terre-Sainte du temps des Croisades. Ils reviennent en 1099. [G.David-Marescot, De César à Henri IV au pays des Calètes, 1955 ]

G.David-Marescot estime à ce titre que c’est à partir de cette  époque que les premiers vergers sont créés en pays de Caux ». L.A. Beaucousin dans son registre des fiefs et arrières fiefs du baillage de Caux [G.David-Marescot, De César à Henri IV au pays des Calètes, 1955 ]

« En la paroisse de Sainte-Marie-des-Champs et de Saint-Clair-su-Les-Monts, il y a un quart de fief nommé le Verger, appartenant à Marc de Houdetot, tenu du Roy nostre sire ». [Registre des fiefs et arrière-fiefs du bailliage de Caux en 1503, Auguste Beaucousin]

Cette terre possédée par la famille Houdetot aurait été obtenue par un don royal comme le mentionne G.David-Marescot. Ce fief fut constitué d’un manoir sur lequel fut construit l’actuel château de Marseille -Maseille - , comme l’atteste L.A.Beaucousin qui dans le terrier de 1566 précise qu’il possède bois taillis, collombier à pied…[G.David-Marescot, 1955 ]

Ainsi G. David-Marescot reprenant des informations dans Liste des fiefs de Beaucousin mentionne que le fief du Verger était déjà situé - le 3 février 1428 - sur la paroisse de Saint-Clair-sur-les-Monts. [G.David-Marescot, De César à Henri IV au pays des Calètes, 1955 ]

(Aujourd’hui, une des masures de l’ancien fief du Verger se trouve désormais sur la commune d’Yvetot, à côté du C.D.I.S qu’on peut observer de la rocade, sur sa droite juste avant le rond-point du C.D.I.S. venant d’Auzebosc.

Le dictionnaire topographique nous renseigne sur l’origine d’un des hameaux historiques du territoire de l’ancienne royaume devenue principauté fin du 16e siècle : Le Verger dont des terres appartiendront à la fin du Moyen Âge à un dénommé Legrand qui par ailleurs en possédait également entre Yvetot et la paroisse de Sainte-Marie-des-Champs à l’endroit même où M. Legrand, le grand-père eut de mémoire d’homme ses premières pépinières, agrandies un demi-siècle plus tard par l’acquisition d’autres pépinières par P.M. Legrand, père, sur le quartier clos des Parts pour en faire la pépinière de ses variétés d’élite et de collection, prêtes à partir en Europe dès 1884. Quant à son fils, en association avec sa mère, veuve, il poursuivit mais de courte durée car il mourut précocement 10 ans plus tard.

Le Verger, fief de l’ancienne principauté d’Ivetot (Yvetot)

Verger (Le), SEINE-MARITIME (76) YVETOTSAINT-CLAIR-SUR-LES-MONTS

In : Dictionnaire topographique de la Seine-Maritime, p. 1054

Vergié, (Arch. Nat. P. 303-130)

Le Verger, 19-11-1420 (Arch. S.-M. Tab. Rouen)

En la paroisse de Sainte-Marie-des-Champs 1/4 de fief nommé le Verger, 1503 (Beaucousin 210 — Vic. de Caudebec, serg. de Baons-le-Comte)

La commune du Vergier, 516 (Arch. Vauquelin Aveu)

Le Verger, 1566 (Yvetot Beaucousin : « nommé autrefois le fief Bouquelon »)

Les communes du Verger ; sentes de Bures au Verger ; sente du hamel du Verger au hamel du Bailly ; sente d’Yvetot au Verger ; grande rue de Reffigny tournant au Verger ; commune du Verger ; sente qui mène au Verger ; rue commune de Réffigny au manoir du Verger ; grande rue de Reffigny tournant au Verger : Le Verger (Jacques de Houdetot escuyer) ; chemin du Verger à Réffigny ; chemin du Verger et chemin du Verger à Bailly  (Jacques de Houdetot escuyer) ; sente de Saint-Clair au Verger ; chemin aux communes du Verger, la rue commune de Reffigny au Verger, Sente du Verger à Bailly (Charles Legrand escuyer)

Charles Legrand possédait d’autres terres décrites dans le terrier de 1566 par Beacousin

Rue commune de Reffigny ; Chemin de Rethymare à Ste Marie des Champs ; Chemin vers Ste Marie des Champs ; Rue commune de Reffigny au Verger ; -Sente du Verger a Bailly ;

Le Verger, 1876 (Tougard Yvetot 22) [dicotopo.cths.fr]

Dans la Géographie du département de la Seine-Inférieure co-écrit par les Abbés J. Bunel et A. Tougard, il est rapporté que les Sires d'Yvetot  participèrent à la bataille d'Hastings puis aux Croisades de 1096 ; 1147 ; et avec Saint-Louis (1270). Un des seigneurs d'Yvetot a possédé le fief dudit Verger. [Abbé Tougard, 1876]

 

Sur le E et T d'Yvetot : Le Verger

A l'endroit de l'ancien fief du Verger (Vergié) au dessous de la dite ferme de la Rétimare, à côté de la Mi-Voie et limitrophe à Saint-Clair sur les Monts.

Le verger - IGN remonter le temps, carte d'Etat-Major du 19e siècle.

Ci-dessus,  Le Verger 1947 - IGN remonter le temps

La masure du Verger (Seigneur d'Houdetot) dont l'origine se situe au moins au  14e siècle d'après L.A.Beaucousin si ce n'est avant peu après  le  retour des Croisades faites avec le Sire d'Yvetot.

La partie en haut est sur Yvetot, l'autre partie dessous est sur la commune de Saint-Clair.

 

La locution clos-masure est née à Saint-Clair sur les Monts et à Yvetot,  au hameau du  Verger en 1968.

A l'insu des propiétaires en 1967-1968, c'est cet endroit  - masure avec château ayant remplacé le manoir, avec colombier, jardin nourricier, vergers, fossés et talus plantés, ferme etc... -  qui a  servi de décor et de toile de fond à M. Warnier et à Mme Garofalo  pour leur projet de diplome d'archictecture  publié en 1968.  Ce sont eux qui finalement  ont inventé la locution  "clos masure"   dont je ne goûte guère pour multiples raisons déjà exprimées en amont notamment pour ce qui a inauguré après eux, quelques décennies plus tard - comme au quartier du Fay à Yvetot - de nombreux lotissements au sein des anciennes "masures" et "cours" n'étant plus à cette époque de véritables "théâtre d'agriculture"/

Faut-il rappeler ci que déjà la locution cour-masure avait été inventée par les notaires dès 1866 pour vendre les masures aux particuliers, aux parisiens et aux rouennais  préférerant acheter une cour-masure qu'une "masure"  connotée sur l'image des contes de Maupassant en cette fin de 19e siècle.

masure = maison délabrée

Question d'époque, question immobilière et de plus value sûrement avec un vocable plus alléchant.

Les annonces immobilières à partir des années 1866 sont éloquentes.

Depuis le 17e siècle les gens de la ville achetaient les fermes  les masures et cours comme placement,  aux beaux rendements  comme le décrit le terrier de la Principauté d'Yvetot de 1566. Au 18e et au 19e siècle on a commencé à les acheter comme résidence secondaire ... loin de la ville, à la campagne dans un havre "du vivons heureux, vivons caché" au coeur de ma masure.

Aujourd'hui on y  fait construire des maisons modernes qui n'ont plus, à vrai dire,  un caractère cauchois dans ce soi-disant "clos-masure" où le talus semble parfois  même menacé de disparition ... 

Paradoxe contemporain du lieu : voir la masure, la cour  se délabrer, se démambrer ou voir les voir renaître sous la forme de  clos-masure  puisqu'il est moins en moins théâtre d'agriculture accueillant pommiers et poiriers, vaches, moutons ...

 

Affiche pour l'exposition cours-masures, oeuvre picturale d'Odile Penelle 1979, avec l'aimable autorisation de Didier Le Scour.

 

L'Abeille Cauchoise, 1838, ADSM 76

L'Abeille Cauchoise, 1861, ADSM 76

L'Abeille Cauchoise, 1866, ADSM 76

L'Abeille Cauchoise, 1868, ADSM 76

puis l'avènement de la locution  clos-masure à Yvetot, hameau du Verger

CROQUIS-DESSIN DE GAROFALO WARNIER 1968, qui donna naissance à la locution "clos-masure",  avec leur aimable autorisation :  projection imaginée au Hameau du Verger, Yvetot (voir cliché IGN 1947, déjà montré ci-dessus, dont vous reconnaitrez les traits qu'ils ont reproduits en vert)

Voilà ce que relatent ces deux architectes à propos de l'invention de la locution "clos-masure"

 

« Chaque unité agricole possède sa végétation propre sous la forme d'un vaste clos-masure (ou cour-masure). Le clos-masure qui «marque» l'emplacement d'un établissement humain est un quadrilatère très régulier d'une surface moyenne d'un hectare (ils peuvent parfois être de trois hectares ou plus), fermé d'un talus de 1,50 mètre à 2 mètres planté d'arbres de haut jet (hêtre, chêne, orme, frêne) sur une ou deux rangées.

Dans la prairie ainsi constituée se regroupent l'habitat, les bâtiments agricoles d'une unité agricole : le clos-masure favorise dans cette région ventée un micro-climat localisé dont bénéficient habitants et bétail. Cette prairie est souvent parsemée de pommiers à cidre.» [Les clos-masures du pays de Caux, Garofalo/Warnier, 1974]

 

 

Et le cidre du pays de Caux advint : La quatrième raison. 

La transmission des savoirs du Clergé aux agriculteurs

La 4e raison réside dans le fait que le cidre d’alors réservé au Clergé se devait d’être propagé par la transmission des savoirs des moines et des curés.

En Pays de Caux, notamment à l'abbaye de Fontenelle, les vergers des moines étaient protégés dans leur enclosoù ils cultivaient leurs fruits et leur vigne.  Ces savoirs ont pu être transmis aux fermiers, aux agriculteurs  afin de  s’en emparer à plus grande échelle,  pour tous,  pour les paysans eux-mêmes, pour les journaliers, les villageois des paroisses, pour les seigneurs, les notables autant cauchois que brayons dans cette période de la paix retrouvée où la main d’œuvre était à nouveau disponible  après cette longue guerre de Cent Ans.

Je vous propose de revenir ici sur les vergers du 9 et 10e siècle des abbayes en pays de Caux.

Et le cidre du pays de Caux advint : La cinquième raison. 

La Science de l'Arboriculture, l'art de la Taille, l'art de la Greffe et l'art du Semeur et du Pépinier se distille dans des ouvrages qui deviendront des points de repère et de référence pour l'amélioration des vergers et le la boisson du cidre.

La 5e raison réside dans le fait qu’en France ce fut sous la Renaissance que la méthode scientifique appliquée à l’amélioration des arbres fruitiers et du cidre donna naissance  aux premières publications : Dany de Brossard (1540), de Pierre Belon du Mans (1558), de Julien Le Paulmier et Jean Cahaignes de Caen (1590), d'Olivier de Serres (1623), de Parkinson (1629), de Le Gendre (1662), de Jean Merlet (1684), de Jean de la Quintynie (1690), marquant les principales étapes des progrès réalisés. » [Chevalier, 1921]

Mais encore fallait-il donner une notoriété au cidre du pays de Caux qui a d’emblée souffrait une piètre réputation.

Sion évoque un préjugé tenace en pays de Caux à la fin du 15e siècle par ce témoignage :

« Il faudrait aussi tenir compte des préjugés, puissants pour ou contre l’introduction d’une boisson ou d’une culture nouvelle. Les paysans du Bourg-Dun redoutaient encore, en 1490, ces effets du cidre sur l’organisme que continuent à lui reprocher les habitants des pays de vignobles ; il est possible que plus tard, le cidre ait paru, au contraire, une « liqueur plus plaisante et salutaire » que la cervoise. « Quelle faute serait-ce aux médecins, écrivait Jacques de Cahaignes à la fin du 16e siècle, de rechercher si curieusement et avec tant de frais tant de remèdes jusqu’aux extrémités de la terre et mépriser cestuy-ci, qui est si plaisante et si excellente médecine d’une infinité de maladies ! » [Sion, 1909]

« Le sidre n’estoit anciennement si commun en Normandie qu’il est de présent […] et il n’y a pas cinquante ans qu’à Rouen et en tout le pays de Caux la bière estoit le boire commun du peuple comme est à présent le sidre. » [Le Paulmier -Jacques de Cahaignes 1589]

Le cidre n’ayant pas encore pris des lettres de noblesse sous la plume de Le Paulmier et De Cahaignes, Rabelais nous offre quelques faits de littérature en citant le cidre dans la légende de Gargantua et le discréditant quelque peu.  Faut-il rappeler que Rabelais (1483 ou 1494-1553) était le contemporain de Ronsard, de François 1er, de Joachim Du Bellay, de Le Paulmier (1520-1588), de Martin Du Bellay (1495-1559), un de ses protecteurs comme il est signalé par cette information :    

« Martin du Bellay aux côtés de Palissy et de Rabelais. Jean et Guillaume Du Bellay furent les amis et protecteurs de Rabelais. Il faut probablement ajouter Martin Du Bellay. En effet, lui et François Rabelais se trouvent à la même époque en Picardie, lors du conflit contre les Anglais. (Étude de Franck Rolland Palissy, Rabelais, Serlio et le Château et le Jardin de Troissereux. Martin Du Bellay, frère de Jean et Guillaume né à Souday dans le Loir-et-Cher comme ses deux frères (Guillaume et Jean), fut lieutenant général de Normandie. Ses Mémoires Historiques sont plus célèbres que celles de Guillaume. » [jcraymond.free.fr]

Se connaissant, se fréquentant, guerroyant ensemble, Rabelais avait la connaissance du pays de Caux et de la petite cité cauchoise de Duclair arrimée à la vallée de Seine :

« Evidemment, dès qu'on parle de boisson, Gargantua n'est jamais bien loin. Ainsi, dans la basse vallée de la Seine, il existe une légende de fondation du village de Duclair :  « Le géant s'était levé de sa chaise pour se dégourdir les jambes au bord de la Seine. Une vieille portait un fagot trop lourd pour elle. Gargantua lui a pris son fardeau et l'a déposé devant sa maison.  Pour le remercier, la vieille lui a offert un fût de cidre nouveau. Gargantua l'a bu aussitôt sans attendre que le cidre soit 'fait'. En retournant chez lui, pris par le cidre vert, il a fait 'du clair » [Marchand, 2000]

Par ce fait (fiction) littéraire, le cidre n'est plus invisible au yeux de la société dès lors qu’il met en relation le bon géant Gargantua et la boisson normande exposant la prédominance du cidre sur la bière, comme le montre cet autre extrait choisi par Patrick Lajoye [2005] auteur de - La Normandie, le cidre, Gargantua et Saint Gerbold :

«Et pour autant que ledict Gargantua avoyt fort cheminé ce jour-là il a voit grant soif, car il pria les  Normans de luy  donner à boire, lesquelz luy  apportèrent de  la bière, dont il eut si grant despit qu'il jura sainct Troubaise qu'il s'en vengeroit,  ce  qu'il fist,  car tout  incontinent il s'en partit et arracha  toutes les  vignes du pays  de Normandie et  n'y en  laissa pas  ung  bourgeon  qu'il n'emportast tout  tellement qu'il  n'y croist plus  que du cidre […] Par la suite, Gargantua donne les vignes aux Orléanais, aux Beaunais et aux Auxerrois, tellement que tous ces troys pays en sont bien peuplez et y croist de fort bons vins, Ce faict incontinent qu'il eut ainsi arrachées toutes les vignes de Normandie il s'en partit du pays sans que les Normans s'en apperceussent en aulcune sorte, car il n'estoient pas encore si caulx qu'ils sont maintenant. » [Lajoye, 2005]

Patrice Lajoye poursuit tout en la qualifiant d'« historiette »,  il insiste sur le contexte bien historique : « au début puis dans tout le courant du 16e siècle, on a planté en masse des pommiers à cidre, et on a cessé de faire de la bière. Ce phénomène a été consigné par l'auteur du premier traité du cidre, Julien Le Paulmier, en 1589 » [Lajoye, 2005] :

« il pourrait neantmoins sembler que le sidre n'estoit anciennement si commun en Normandie qu'il est de présent :  d'autant qu'il ne se trouve monastere, ne chasteau, ne maison antique, où il n'y ait vestiges manifestes & apparentes ruines des  brasseries de  Biere, qu'on  y soulait faire  pour la provision ordinaire.  Et n'y a pas cinquante ans qu'à Rouen, & en tout le pays de Caux, la biere estoit le boire commun du peuple, comme est de présent le sidre. » [Le Paulmier, 1589]

 

 

Peu avant la fin de la Guerre de Cent Ans il est important d'évoquer la troisième vague aux quelles fait référence Auguste Chevalier en 1532 :  

 

Nous ne sommes pas encore à témoigner du cidre du pays de Caux qu'un premier signe de notoriété en Cotentin survient :

1532, le roi Francois 1er goutte au cidre normand du Cotentin

« L’une des greffes porte le nom de greffe de Monsieur de Lestre ou de greffe de Monsieur. Ces greffes, dit Cahaignes, ont été naguères apportées de Biscaye. Monsieur de Lestre, à deux lieues de Valognes, a esté le premier qui les a entées, à ce que j’ay entendu au pays. Il enrichit le pays de deux nouvelles espèces mentionnées plus tard dans les nomenclatures de Gilles de Gouberville : le Barbarie et le Pycey ou, pour parler plus exactement l’Epicé. C’est le cidre d’Epicé qui ravit François 1er lorsqu’il en goûta, pour la première fois, au moment de son passage en Normandie. Le feu grand roi François passant par-là, l’an mil cinq cent trente-deux, en fit porter en barraux à sa suite dont il usa tant qu’il put durer. « Et ce fut le Navarrais Guillaume Dursus, naturalisé par Louis XII, qui eut l’honneur de présider à cette évolution bienfaisante. ». [De Paulmier, Cahaignes 1589 ; Travers, 1895]

Vers 1550, l’introduction de nouvelles greffes venant de Biscaye se faisait encore en Normandie. » [Chevalier, 1921]

« Parmi les formes introduites de Biscaye à cette époque (vers 1550) et dont les noms se sont conservés jusqu'à nous (car il n'est pas certain que l'appellation actuelle désigne exactement les variétés cultivées au 16e siècle sous le même nom), on doit citer les suivantes :

1° La Marin-Onfroy, ainsi nommée du nom d'un gentilhomme du Bessin, seigneur de Saint-Laurent-sur-Mer et de Véret, qui l'apporta de Biscaye sur ses terrés au 16e siècle. Truelle croit que c'est le Macasgorriya des Basques. On la trouve partout aujourd'hui en Normandie, mais elle dépérit, probablement à cause de son ancienneté.

2° La Vèret ou Doux-Vérêt (on prononce doux vré). C'est l’Argile blanche ou Argile Barbarie blanche. D'après Emile Travers, a été aussi importée de Biscaye par le seigneur Marin-Onfroy, dans son domaine de Véret.

3° L’Epicé ou le picey, introduit d'Espagne à Morsalines, près Saint- Waast-la-Hougue, par Guillaume Dursus donne le meilleur de tous les cidres (de Gouberville). C'est la Belle- fille ou Petit-Damelot, donnant le roi dès cidres pour la bouteille [Lecoeur].

4° D’après Jacques Cahaignes, le même Dursus introduisit au 16e siècle, dans le Cotentin, la Barbarie de Biscaye qui s’était répandue dans toute la Normandie et la Bretagne et est probablement l’origine de diverses sortes de pommes dites Barbarie ou Barberiot » [Chevalier, 1921]

Ces variétés nous les retrouvons pour certaines sous ces noms ou sous leurs nombreux synonymes.

Il semble qu'à cette époque  qu'on fabriquait des cidres de cru, c'est à dire avec une pomme ou deux pommes comme décrit par Gouberville, ce qui leur donnait une saveur particulière voire sucrée selon la nature du fruit comme le fut le cidre d'Epicé ou Picey qui ravit François 1er, habité à boire l'hypocras, vin sucré  épicé à la mode à la cour, ou le Claret comme le souligne Eric Birlouez  dans ses publications. [Birlouez, 2015]. Mais ce ne fut pas le cas du cidre du pays de Caux qui n'est pas par nature sucré, fruit d'un mélange de bon nombre de variétés d'amer, d'acide et de douce sans compter qu'on y ajoutait parfois des poires à cidre. Le pays de Caux a produit peu de Poiré mais le" pé de cô", le "croixmare" et d'autres ont été incorporées au cidre à moins de 10% du volume.

Eric Birlouez souligne  que dans les régions comme la Bretagne et plusgénéralement  sur les côtes de l'Atlantique et de la Manche,  les producteurs de Galice et du Pays basque  se mettent à diffuser vers la France de nouvelles variétés de pommes et des méthodes de culture plus productives qui viendra detroner la cervoise  [Birlouez, 2015]

C’est donc au début du 16e siècle qu’il fallut attendre que le cidre du pays de Caux  entre en littérature et dans divers récits et témoignages. Les citations qui suivent explicitent l'importance du cidre de la fin du 15e siècle au début du 17e siècle. Ces citations  rapportées le seront chronologiquement pour insister sur l'impact qu'auront les auteurs scientifiques ou littéraires sur la société dont les ouvrages vont apparaître ainsi  au fil du temps, dont certains sur lesquels nous nous attarderons. 

1534 : Rabelais

« Le géant s'était levé de sa chaise pour se dégourdir les jambes au bord de la Seine. Une vieille portait un fagot trop lourd pour elle. Gargantua lui a pris son fardeau et l'a déposé devant sa maison. Pour le remercier, la vieille lui a offert un fût de cidre nouveau. Gargantua l'a bu aussitôt sans attendre que le cidre soit 'fait'. En retournant chez lui, pris par le cidre vert, il a fait 'du clair’ » [Rabelais, 1534-1535]

1579 : Isabelle Chenu et Martin du Bellay, princesse et prince d'Yvetot, amis et protecteurs de Rabelais

« Le 12 février 1579, Isabeau Chenu obtint que les princes d’Yvetot prissent et perçussent dorénavant et à toujours les droits du quatrième sur le vin et les autres boissons – le cidre- vendues et débittées dans la principauté. »[…]

Après maintes péripéties, un peu plus tard le Roi ordonnait, quant à l’avenir, que la Dame d’Yvetot jouirait de son droit de percevoir la quatrième, de la même manière que le Roi et ses fermiers adjudicataires en jouissaient au pays de Normandie.  Confirmation des droits des seigneurs d’Yvetot, reconnus encore par Henri 111 en 1584. » [Beaucousin, 1884]

1583 :  Estienne & Liebault

Distinction entre pépinière [Traversat, 2001] et bâtardière [Estienne & Liebault, 1583]

«La pépinière est le lieu où après avoir semé et repiqué de tout jeunes plants… on laisse se développer la nouvelle plante pendant 18 à 20 mois. La batardière, elle, est destinée à recevoir les plants qui y sont g