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22 février 2025 6 22 /02 /février /2025 19:39

Le saviez-vous?

Je l'ai découvert à Chambéry aux Charmettes en 2020  grâce à Jean-Jacques Rousseau,  - moi qui croyait que seul Proust avait inventé-  ce concept dû au geste ou  à l'observation ...  à l'écoute... qui ont fait remonter chez ces auteurs, autrices  un souvenir ou une série de souvenirs déclenchant chez eux une forte charge émotionelle.

Proust fut le dernier de ces auteurs à témoigner du toucher et du goût, contrairement aux idées reçues

 

Analyse et synthèse proposée par Pascal Levaillant [2020-2025]

 

 

 

LA PERVENCHE de Rousseau en 1764

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LA GRIVE de Chateaubriand en 1849

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LA SOIE, la VERVEINE ET LE TABAC de Mme Bovary (Flaubert) en 1858

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LA POMME de Lucie Delarue-Mardrus en 1902

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LA MADELEINE  de Proust en 1913

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On peu

On peut noter que pour se remémorer des jours heureux Jean-Jacques Rousseau a évoqué le premier une mémoire sensorielle par la seule vue de la pervenche, que Chateaubriand l’a traduite par l’ouïe - avec la grive – et que Proust l’a sublimée par le geste, le goût avec la madeleine.

Mais qu’en est-il du toucher ? Le toucher est à notre connaissance absent de la dimension mémorielle (mémoire implicite) et c’est donc peut-être à Flaubert que l’on pourrait attribuer cette dimension.

 

 

Le premier réveillant ses sens fut Rousseau avec la pervenche (vue) , le second fut Chateaubriand avec la grive (l'ouïe) , le troisième fut Flaubert avec la soie, la verveine et le tabac ( le toucher, l'odorat) et le dernier fut Proust avec sa madeleine (le geste et le goût) et enfin Delarue-Mardrus avec l'odeur de la Pomme.

Deux siècles séparent quasiment ces écrivains et cette écrivaine.

Redécouvrant Les confessions de Jean Jacques Rousseau, et deux autres de ses livres (Les rêveries du promeneur solitaire, Les lettres élémentaires sur la botanique ...), je me suis aperçu que Proust n'avait rien inventé sinon de répliquer l'idée de la  "pervenche" en "madeleine", passant de la dimension sensorielle de la vue (Rousseau) au goût grâce à sa madeleine.

Le premier fut donc Rousseau qui à la vue de la pervenche, chemin faisant, il se mit à se remémorer le souvenir heureux de la présence de Mme de Warens lorsqu'il vivait à ses côtés à Chambéry, aux Charmettes.

Le livre 6ème s’ouvre sur des citations allant toutes dans le même sens, qu’il reprend dans une phrase -  oh ! Combien connue :

« Ici commence le court bonheur de ma vie ».

 «Le premier jour que nous allâmes coucher aux Charmettes, Maman était en chaise à porteurs et je la suivais à pied. Le chemin monte, elle était assez pesante, et craignant de trop fatiguer ses porteurs, elle voulut descendre à peu près à moitié chemin pour faire le reste à pied. En marchant elle vit quelque chose de bleu dans la haie et me dit : « voilà de la pervenche » je ne me baissai pas pour l’examiner car j’ai la vue trop courte pour distinguer à terre les plantes de ma hauteur.
Je jetai seulement en passant un coup d’œil sur celle-là, et près de trente ans se sont passés sans que j’aie revu de la pervenche ou que j’y aie fait attention.

In : https://entre-semnoz-et-cheran.over-blog.com/article-la-pervenche-et-jean-jacques-rousseau-101054078.html

 

 

« En 1764 étant à Cressier avec mon ami M. Du Peyrou, nous montions une petite montagne au sommet de laquelle il a un joli salon qu’il appelle avec raison Bellevue. Je commençais à herboriser un peu. En montant et regardant parmi les buissons je pousse un cri de joie : Ah voilà de la pervenche ; et c’en était en effet. Du Peyrou s’aperçut du transport, mais il en ignorait la cause ; il l’apprendra, je l’espère, lorsqu’un jour il lira ceci. »

Les Confessions, Jean-Jacques Rousseau, 1764

« Le plus étonnant exempte, déjà proustien, du pouvoir de réminiscence contenu dans le symbolisme d'une image, est donné au Livre VI des Confessions : découvrant dans une promenade de la pervenche, Rousseau est envahi par le souvenir, vieux de trente ans, d'une promenade faite avec Mme de Warens, qui lui avait montré « de la pervenche encore en fleur ». L'herbier est une tentative pour capter ce pouvoir.»

In : Symboles de la nature dans les Rêveries de J.-J. Rousseau,  -    Année 1984  11  pp. 31-42

 

La pervenche aux Charmettes

 

Chez Proust la madeleine est connue pour raviver et se remémorer également un souvenir heureux.

"Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière."

Du côté de chez Swann (1913), Marcel Proust

 

Me rendant aux Charmettes en 2019, à l'occasion d'un si bel automne, mon heureuse surprise fut de voir au jardin un carré de pervenche.

Poussant ma curiosité plus loin, je découvre dans une autre lecture avec bonheur la "grive" de Chateaubriand qui en l'écoutant  a réveillé chez Chateaubriand une émotion similaire.

« Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. A l'instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel. J'oubliai les catastrophes dont je venais d'être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive. Quand je l'écoutais alors, j'étais triste de même qu'aujourd'hui. Mais cette première tristesse était celle qui naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience ; la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n'ai plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie. Les heures fuient et m'entraînent ; je n'ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires. Dans combien de lieux ai-je déjà commencé à les écrire, et dans quel lieu les finirai-je ? Combien de temps me promènerai-je au bord des bois ? Mettons à profit le peu d'instants qui me restent ; hâtons-nous de peindre ma jeunesse, tandis que j'y touche encore : le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s'éloigne et qui va bientôt disparaître. »

Les Mémoires d'Outre-Tombe - Chateaubriand
Première partie - Livre troisième - Chapitre 1 - Promenade. - Apparition de Combourg, 1849.

 

En 2021, deux ans plus tard relisant Flaubert je m'aperçois que le toucher et l'odorat n'avait été interprété par un auteur : du geste à l'odeur

Le coffret à tabac en soie qui en le touchant libera chez elle un parfum et une sensation lui remémorant le souvenir de son amant.

« Souvent, lorsque Charles était sorti, elle allait prendre dans l’armoire, entre les plis du linge où elle l’avait laissé, le porte-cigares en soie verte.
Elle le regardait, l’ouvrait, et même elle flairait l’odeur de sa doublure, mêlée de verveine et de tabac. »

Mme Bovary, Flaubert, 1958

 

et l'odorat avec Delarue-Mardrus : la pomme, 

magnifique texte rendant hommage à la Normandie : 

de l'odeur au patrimoine

L’Odeur de mon pays

L’odeur de mon pays était dans une pomme.
Je l’ai mordue avec les yeux fermés du somme,
Pour me croire debout dans un herbage vert.
L’herbe haute sentait le soleil et la mer,
L’ombre des peupliers y allongeaient des raies,
Et j’entendais le bruit des oiseaux, plein les haies,
Se mêler au retour des vagues de midi…

Combien de fois, ainsi, l’automne rousse et verte
Me vit-elle, au milieu du soleil et, debout,
Manger, les yeux fermés, la pomme rebondie
De tes prés, copieuse et forte Normandie ?…
Ah! je ne guérirai jamais de mon pays!
N’est-il pas la douceur des feuillages cueillis
Dans la fraîcheur, la paix et toute l’innocence?

Et qui donc a jamais guéri de son enfance ?…

Lucie Delarue-Mardrus (Ferveur, 1902]

 

De mon expérience la vue rarissime d'une gentiane bleue ou d'un bleuet me rappelle des souvenirs heureux comme rarement le parfum d'une rose ancienne se diffusant à ma rencontre. De même la poire de coq au jus me procure le même effet ou l'écoute d'une chanson folk de Dylan, sur les ondes de FIP, la lumière dans les masures qui au soleil rasant de la fin de l'hiver ombre les herbages plantés de pommiers ou même l'odeur des foins tout graichement coupés et couchés séchant au soleil d'été. Ces endroits et circonstances me rappelant des sensations heureuses de mon enfance ou de ma jeunesse à l'endroit du pays de Caux ou du pays de Savoie.

 

 

 

 

 

 

 

 

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